Les célèbres statues de l’île de Pâques sont loin d’être tirées d’affaire après un incendie dévastateur

Les flammes ont progressé dans le site classé au patrimoine mondial, causant des dégâts « irréparables » à des centaines de statues sacrées de Rapa Nui.

De Allie Yang
Publication 31 oct. 2022, 19:08 CET
Des centaines de statues, ou moai, parsèment le paysage de l’île de Pâques appelée « Rapa Nui » ...

Des centaines de statues, ou moai, parsèment le paysage de l’île de Pâques appelée « Rapa Nui » par la population locale. La plupart des moai sont disposés le long des côtes de l’île, tournant le dos à l’océan. Néanmoins, beaucoup n’ont jamais été déplacés de la carrière de Rano Raraku, que l’on voit ici, où ils furent sculptés à partir de roche volcanique.

PHOTOGRAPHIE DE Susan Seubert

L’île de Pâques, l’une des régions habitées les plus reculées de la planète, est connue pour ses milliers de statues très énigmatiques et imposantes appelées « moai » qui parsèment son paysage.

Début octobre, un incendie a causé « des dommages irréparables » à des centaines de moai d'après le gouverneur de l’île de Pâques, appelée « Rapa Nui » par la population locale.

Bien que l’étendue des dégâts n’ait pas encore été entièrement estimée, cette catastrophe n’est que l’une des nombreuses menaces qui pèsent sur ces statues sacrées ; il ne faut en effet pas oublier l’impact du changement climatique et des activités humaines. Pour le peuple Rapa Nui, les risques sont bien présents, explique l’archéologue Jo Anne Van Tilburg, directrice du Easter Island Statue Project.

« Les habitants chérissent la mémoire de leurs ancêtres disparus », précise-t-elle, soulignant qu’ils sont en colère d’avoir perdu tant de leur patrimoine alors qu’ils n’en sont en rien responsables.

Bien que des monolithes similaires aient été découverts dans toute la Polynésie, les statues de Rapa Nui sont uniques en leur genre en raison de leurs dimensions et de leur expression solennelle.

PHOTOGRAPHIE DE Susan Seubert

La théorie relative au déplacement des moai est semblable à celle du transport des mégalithes de Stonehenge : les travailleurs disposaient les énormes statues sur des traîneaux en bois qu’ils faisaient ensuite rouler sur des rondins.

PHOTOGRAPHIE DE Susan Seubert

Avec le temps, nous avons perdu nombre d’éléments à propos de l’histoire et des traditions du peuple Rapa Nui. Nous en savons cependant beaucoup au sujet des statues et de la riche civilisation qui les a façonnées ; ainsi que sur la manière dont nous pouvons en assurer la conservation pour les siècles à venir.

QUE SONT LES MOAI ET QUI LES A CONSTRUITS ?

Lors du dernier recensement, l’île comptait 1043 moai achevés, à savoir d'énormes statues à la tête proéminente taillées dans de la roche volcanique. Contrairement à la croyance populaire, les moais ne sont pas que des statues de tête : ils ont aussi un buste, bien que beaucoup d’entre eux soient entièrement ou partiellement enterrés. Les moai mesurent en moyenne 4 mètres de haut pour un poids d’environ 10 tonnes.

La plupart des statues reposent le dos tourné vers l’océan sur des plateformes en pierre appelées ahu, qui peuvent accueillir jusqu’à quinze statues. Certains moai sont coiffés de blocs cylindriques de roche rouge appelés pukao représentant un chignon.

Néanmoins, le véritable nombre de moai sur l’île reste incertain puisque plusieurs d’entre eux sont encore enterrés dans la carrière de Rano Raraku, le site de construction des statues situé sur la côte sud. Le plus grand moai jamais découvert, « El Gigante », repose encore aujourd’hui dans la carrière. Il mesure 22 mètres de long et doit peser près de 200 tonnes.

Ces statues furent érigées plusieurs siècles avant l’arrivée des premiers Européens sur l’île, le jour de Pâques de l’année 1722. Van Tilburg estime que les Polynésiens auraient découvert l’île aux alentours de l’an 1000 et que leurs systèmes social, politique et religieux avancés seraient à l’origine de la construction du noble moai.

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    Rapa Nui était en état de déforestation quand les premiers Européens débarquèrent en 1722. Les données indiquent que les peuples indigènes de l’île purent en partie s’adapter en mettant en place des systèmes d’agriculture résiliente.

    PHOTOGRAPHIE DE Susan Seubert

    Les plus anciennes statues découvertes sur l’île dateraient du 14e siècle et les plus récentes de la fin du 16e ou du début du 17e siècle.

     

    POUR QUELLES RAISONS LES MOAI ONT-ILS ÉTÉ CONSTRUITS ?

    Le peuple Rapa Nui pensait que leurs chefs descendaient des dieux et qu’ils retrouveraient leur statut divin après leur mort. Ces statues furent construites pour temporairement contenir les esprits de leurs ancêtres. Les ahu sur lesquels reposent les moai étaient autrefois des lieux de rituels funéraires : des fouilles ont révélé des restes humains incinérés et enterrés sur certains sites.

    D’après Van Tilburg, les moai seraient des réceptacles dans lesquels ces esprits en mouvement peuvent être capturés et gardés en sécurité afin qu’ils puissent continuer à aider les individus qu’ils ont laissé derrière eux.

    Il y a un lien évident entre les moai de Rapa Nui et les monolithes similaires que l’on trouve en Polynésie. Les experts estiment que ces statues, bien qu'elles ne se ressemblent pas toujours, seraient le fruit d’une même religion.

    Van Tilburg donne en comparaison les statues que l’on trouve à Hawaï qui « semblent plutôt belliqueuses, leurs traits expressifs donnant l’impression qu’elles sont en colère. » Elle ajoute que seules les statues de Rapa Nui confirment que ces représentations sont bien humaines.

    Les moai sont encore aujourd’hui considérés comme sacrés (toucher un moai est illégal) et comme source de force spirituelle, ou mana.

     

    COMMENT LES MOAI ONT-ILS ÉTÉ CONSTRUITS ?

    Le peuple Rapa Nui a sculpté les moai directement à partir de tuf volcanique, une roche poreuse issue de la consolidation de cendres, en l’occurrence celles de Rano Raraku, un volcan éteint.

    Les sculpteurs de moai étaient considérés comme des maîtres artisans et étaient honorés pour leur travail. Leur manière de procéder était un secret absolu explique Van Tilburg, et les sculpteurs veillaient à ne surtout pas offenser les esprits pendant leur construction.

    On pense que les sculpteurs commençaient par travailler la face et les côtés de la statue pour ensuite progressivement séparer le dos de la roche de la carrière. La statue était ensuite descendue du flanc de colline et placée à la verticale dans un trou, où les sculpteurs pouvaient finaliser de tailler le dos et le décorer de pétroglyphes. Passées ces étapes, la statue était achevée.

     

    QU’EST-IL ARRIVÉ AU PEUPLE À L’ORIGINE DES MOAI ?

    La population grandissante eut vite fait d’épuiser les nombreuses ressources de l’île. À l’époque où les Européens débarquèrent sur l’île, au début du 18e siècle, celle-ci en état de déforestation, probablement dans le but de libérer de l’espace pour l’agriculture. Sans arbres, le peuple essaya de s’adapter : les données prouvent qu’il y eut des efforts isolés pour reboiser l'île, explique Van Tilburg.

    Les Rapa Nui ont également migré au sein de l’île, autant à l’intérieur des terres que vers la côte.

    D’après l’archéologue Mara Mulrooney, qui étudie l’utilisation des terres des Rapa Nui, les fermiers avaient créé d’ingénieux systèmes à l’intérieur des terres pour protéger les cultures de taros et de patates douces des grands vents, des variations de températures et empêcher  une évaporation trop rapide de l’eau.

    En dépit de leur ingéniosité, les Rapa Nui pâtirent grandement de la colonisation, de la traite des esclaves et de plusieurs épidémies. En 1877, la population de l’île ne comptait plus que 111 personnes. Depuis, la population a augmenté et atteint désormais plus de 7 000 habitants dont 2 000 autochtones. Cependant, les menaces planent toujours sur l’île.

     

    QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE L’ACTIVITÉ HUMAINE SUR LES MOAI ?

    La vaste majorité des rangées de moai disposées le long de la côte est directement victime de l’élévation du niveau de l’océan causé par le changement climatique et l’érosion des côtes. Les Rapa Nui l’avaient prédit il y a des centaines d'années et avaient construit des digues, dont certaines s’effondrent aujourd’hui et ont besoin d’être renforcées, affirme Van Tilburg.

    Elle explique que le peuple Rapa Nui veille traditionnellement à leur entretien : « Le groupe avait comme responsabilité d’agir sur une base saisonnière pour protéger leurs sites ; ils devaient les désherber avant les cérémonies et réparer les murs. »

    Mais depuis quelques années, rassembler le soutien financier à ces réparations est une tâche ardue, en particulier quand les débats font rages entre les communautés locales, les familles et le gouvernement chilien à propos de la juridiction de l’île.

     

    QUELS DÉGATS L'INCENDIE A-T-IL CAUSÉS ?

    Des centaines de moai, en particulier ceux longeant la carrière de Rano Raraku, ont été endommagés par le feu qui s’est déclaré en octobre.

    Van Tilburg explique à partir des photographies de moai que les dégâts sont plus importants que lors de précédents incendies, ce qui pourrait indiquer la présence de fissures à l’intérieur des roches. Si tel est le cas, précise-t-elle, de fortes précipitations pourraient provoquer l’effritement de la pierre.

    « Les statues, [en particulier] les portions de statues qui ne sont pas enterrées, présentent actuellement d'importants signes de détérioration », souligne-t-elle.

    Cependant, à cause des restrictions liées à la pandémie qui empêchent l’accès de l’île aux visiteurs, le monde devra attendre avant de constater par soi-même l’ensemble des dégâts.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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