Canaries : ces momies dont vous n'avez jamais entendu parler

La méthode de conservation de ces cadavres était étonnamment simple : « les corps étaient traités avec des herbes sèches et du saindoux et étaient laissés à sécher au soleil ou près du feu ».

De Emma Lira
Publication 28 avr. 2022, 15:00 CEST
Cette momie reposait autrefois dans une grotte légendaire de Tenerife dont l'emplacement a été oublié au ...

Cette momie reposait autrefois dans une grotte légendaire de Tenerife dont l'emplacement a été oublié au fil des années, bien que des experts aient pu en déterminer les coordonnées.

PHOTOGRAPHIE DE FERNANDO VELASCO MORA AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DU Musée archéologique national de Madrid

ÎLES CANARIES, ESPAGNE - Je m'arrête sur le chemin à flanc de falaise qui descend vers la mer. J'y suis : une grotte dont l'entrée est à peine visible. Je lève les yeux vers la face imposante de la roche. Elle cache des centaines de grottes, construites au fil des siècles à partir des coulées de lave du mont Teide. N'importe laquelle d'entre elles pourrait être la grotte que nous cherchons - ici, l'Histoire n'a pas encore été écrite.

Dans cette gorge du sud de Tenerife, la plus grande des îles Canaries, une grotte étonnante a été découverte en 1764 par le capitaine d'infanterie espagnol Luis Román. Un prêtre et écrivain local contemporain de la découverte, José Viera y Clavijo, l'a décrite ainsi dans un livre sur l'histoire des îles : « Un merveilleux panthéon vient d'être découvert », et plus loin : « Il y avait tant de momies qu'on en a compté pas moins de mille. » C'est ainsi qu'est né le conte des mille momies, entre l'Histoire et la légende.

Aujourd'hui, deux siècles et demi plus tard, dans la gorge connue sous le nom de Barranco de Herques - également appelée « ravin des morts » pour ses grottes funéraires - nous nous trouvons à l'endroit que la plupart des archéologues locaux considèrent comme la mythique « grotte des mille momies ». Il n'y a pas de coordonnées écrites ; son emplacement a été transmis de bouche à oreille à quelques élus. Les randonneurs qui s'aventurent sur le chemin ignorent son existence.

En compagnie d'amis locaux, je me sens privilégiée de me laisser guider vers l'endroit où, selon eux, leurs ancêtres ont reposé. Je m'accroupis au niveau de l'entrée étroite, allume ma lampe frontale et me laisse tomber au sol. Pour trouver ce royaume caché, nous rampons sur le ventre pendant quelques mètres. Mais au bout de ces instants que je ne pourrais recommander aux claustrophobes, une chambre haute et spacieuse s'ouvre soudain devant moi, promettant un voyage dans le temps.

« En tant qu'archéologues, nous supposons que l'expression "mille momies" était probablement une exagération, une façon de suggérer qu'il y en avait beaucoup, beaucoup, des centaines », explique Mila Álvarez Sosa, historienne et égyptologue locale. Dans l'obscurité, nos yeux s'adaptent lentement. Nous scrutons l'espace à la recherche des signes révélateurs d'une nécropole dans les méandres du tube de lave, qui fait partie d'un système étendu qui traverse l'île.

Ce ne sont pas les premières momies à être déterrées sur l'île. Mais selon la tradition locale, une grande grotte sépulcrale comme celle-ci abritait le panthéon des neuf rois Mencey qui régnaient sur les îles à l'époque précoloniale.

L'emplacement de la grotte était un secret scrupuleusement gardé. Et il n'en existait aucune trace, ce qui n'a fait que l'élever au rang de Saint Graal de l'archéologie canarienne. Les locaux affirment qu'ils ne divulguent pas l'emplacement de la grotte afin de protéger la mémoire de leurs ancêtres qui y reposaient, les Guanches, le peuple natif de cette île - il ne reste plus de population guanche distincte aujourd'hui. D'aucuns disent qu'elle a disparu dans un glissement de terrain, enterrée à jamais.

Ce qui était peut-être une certitude pour ces explorateurs du 18e siècle s'est transformée en légende lorsque les momies ont été arrachées de leur lieu de repos et que leur emplacement a été perdu. Mais les quelques précieuses momies - de cette grotte et d'autres - qui sont restées intactes et sont conservées dans des collections de musées, aident les scientifiques à écrire l'histoire de l'archipel, notamment quand et d'où venaient les premiers habitants, et comment ils honoraient leurs morts.

Les soubassements volcaniques de l'archipel ont créé un système de tubes de lave sur Tenerife - un environnement idéal pour l'ensevelissement.

PHOTOGRAPHIE DE ROBERT HARDING PICTURE LIBRARY, NAT GEO IMAGE COLLECTION

PRÉSERVER LES MORTS POUR L'ÉTERNITÉ

Tenerife a été la dernière île de l'archipel à tomber aux mains de la couronne castillane, à partir de 1494. Ce n'était pas la première confrontation entre les insulaires et les Européens, mais ce fut la dernière. Álvarez Sosa imagine le contraste saisissant lorsqu'à la fin du 15e siècle, à l'aube de la Renaissance, des soldats arrivèrent sur des navires et brandirent des épées, en montant à cheval. Ils se retrouvèrent face à un peuple qui sortait à peine du néolithique, des troglodytes qui portaient des peaux de bêtes et utilisaient des outils faits de bâtons et de pierres. « Pour autant, ils honoraient leurs morts, les préparant pour leur dernier voyage », souligne Álvarez Sosa. 

La fascination pour la mort a conduit les colons à chroniquer en détail ces rituels funéraires. « C'est ce qui a principalement retenu l'attention des conquérants castillans », explique Álvarez Sosa. Ils étaient notamment intrigués par le processus d'embaumement - le mirlado- qui préparait les xaxos, comme on appelait les momies guanches, pour l'éternité.

Les murs de la grotte sont silencieux. Plongée dans l'obscurité, j'imagine l'effroi qu'a dû ressentir Luis Román lorsque, imprégné de l'esprit des Lumières et accompagné de locaux, il est entré dans la nécropole avec pour mission de récupérer quelques spécimens pour les étudier. Il a transporté les corps en Europe où, au 18e siècle, les momies représentaient une curiosité scientifique et une nouveauté pour les érudits et les collectionneurs. J'imagine le moment où Román a levé sa torche, révélant des centaines de corps figés dans le temps. Il a dû avoir un sentiment mêlé, entre sacrilège et exaltation. Curieusement, l'écrivain qui a résumé un rapport de leur visite a omis de mentionner le lieu. Si l'intention était de préserver la grotte du pillage, il a malheureusement échoué : en 1833, de multiples sources ont confirmé qu'il n'y restait plus de corps.

Je me lève et secoue la poussière blanche de mes mains et de mes genoux. Ma lampe frontale éclaire faiblement les parois. Bien que je sache qu'il n'y a pas la moindre possibilité, je rêve toujours d'apercevoir un xaxo (prononcer haho) dans un coin, comme l'a décrit en son temps Viera y Clavo.

La méthode de conservation de ces cadavres pour leur lutte contre le temps qui passe était étonnamment simple. « C'est le même procédé que celui utilisé pour la nourriture », explique Álvarez Sosa. « Les corps étaient traités avec des herbes sèches et du saindoux et étaient laissés à sécher au soleil ou près du feu ». Il fallait 15 jours pour préparer un xaxo, contre 70 pour une momie égyptienne (40 jours de déshydratation dans du  natron naturel, puis 30 jours d'embaumement dans des huiles et des épices avant que le cadavre ne soit rempli de paille ou de tissus et enveloppée de lin). Autre différence essentielle : selon les chroniques, par bienséance, les femmes des îles Canaries participaient au processus, manipulant les cadavres féminins.

Plus tard, la famille du défunt manipulait le xaxo, le plaçant dans un sac en peau d'animal - généralement une peau de chèvre - séchée et soigneusement cousue. Le nombre de couches de peaux correspondait au rang social du défunt. Cette pratique ne se limitait pas à Tenerife. On a également trouvé des momies sur l'île voisine de la Grande Canarie, décorées de gravures ou peintes en de multiples teintes, enveloppées dans une natte de roseau, puis déposées dans des troncs d'arbres creux. Des cadavres y ont également été trouvés dans des grottes funéraires.

« Nous avons encore beaucoup de questions et peu d'échantillons à étudier », déclare l'archéologue María García, conservatrice à l'Institut de bioanthropologie de Santa Cruz de Tenerife. Dans les tiroirs de l'institut, elle a minutieusement répertorié l'histoire, les dates et l'origine des restes d'une trentaine de xaxos. Dans cette morgue immaculée, les corps d'hommes, de femmes et d'enfants dorment, à quelques pas de l'une des artères les plus animées de la ville, la rue Noria. Ces restes de xaxos ont été trouvés par des randonneurs et des bergers sur différents sites de Tenerife. La question reste donc posée : qu'est-il arrivé aux « mille momies » ? Et si ce nombre n'était que pure invention ?

« C'était un pillage systématique », explique sans ambages María García. « Au cours des 17e et 18e siècles, les momies avaient un véritable attrait pour les classes cultivées européennes. Nos xaxos ont fait le tour du monde pour être placés dans des musées et des collections privées, et certains ont même été moulus en poudres aphrodisiaques. »

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    Un scanner réalisé en 2016 sur la même momie - le meilleur spécimen dans les collections du musée - dans un hôpital de Madrid a permis aux chercheurs de l'étudier sans endommager sa structure.

    PHOTOGRAPHIE DE RAÚL TEJEDOR, RTVE / STORY PRODUCTIONS

    D'autres ont peut-être fini au fond de la mer, comme l'affirme Álvarez Sosa dans son livre Tierras de Momias (Terres de momies), probablement jetées par-dessus bord lorsque les conditions trop douces qui régnaient sur le navire ont activé le processus de décomposition pendant le voyage vers le continent.

    Bien que nous disposions d'une momie guanche intacte et des restes de trois douzaines d'autres, nous savons très peu de choses sur leurs tombes. « Aucun archéologue n'a jamais trouvé un xaxo dans son environnement d'origine », explique María García.

     

    CHERCHER DES RÉPONSES

    Ce n'est pas la première fois que je me rends aux Canaries pour chercher des réponses. Il y a huit ans, je suis descendue en rappel le long d'une falaise dans la gorge, jetant un coup d'œil dans une douzaine de grottes à la recherche des mille momies. J'ai relu des chroniques des 15e et 16e siècles et interrogé des experts pour découvrir les origines des premiers Canariens.

    Il s'agissait des mythiques Îles des Bienheureux où les anciens navigateurs de la Méditerranée avaient débarqué. Les Européens qui sont arrivés sur ces îles au Moyen Âge ont constaté que, contrairement aux autres archipels de l'Atlantique, elles étaient habitées, leurs populations semblant isolées depuis des siècles. Les chroniques parlaient de grands Caucasiens, ce qui a donné lieu à des hypothèses aujourd'hui réfutées : ils descendaient alternativement de marins basques, ibériques, celtes ou vikings ayant fait naufrage. J'ai quitté l'île sans même un semblant de réponse. Mais aujourd'hui, la technologie moderne a mis fin à l'énigme qui a duré des siècles. Les momies ont parlé.

    Si le lieu que je suis en train d'explorer est la grotte décrite par Viera y Clavijo, c'est ici que la momie qui se trouvait au sommet a commencé son long voyage. Le récit sinueux commence en 1764, lorsqu'elle a été expédiée à Madrid comme cadeau au roi Charles III pour que la cour se rende compte de l'habileté des Guanches à accompagner leurs morts vers l'au-delà. En 1878, elle a été exposée à l'Exposition universelle de Paris, avant de retourner à Madrid, où elle est restée plus d'un siècle dans ce qui est aujourd'hui le Musée national d'anthropologie. En 2015, elle a rejoint son lieu de repos actuel, le Musée national d'archéologie de la ville. Une nuit de juin 2016, sous sécurité renforcée, la momie a été emmenée pour sa plus courte sortie : dans un hôpital voisin pour un scanner.

    « Nous avions déjà fait passer des tomodensitogrammes à plusieurs momies égyptiennes », explique Javier Carrascoso, chef associé du service de radiologie de l'hôpital universitaire QuirónSalud de Madrid, qui a proposé d'étendre cette technologie à la momie guanche. Le scanner a fourni des données qui ont démenti l'hypothèse selon laquelle ils se seraient simplement déshydratés naturellement, ainsi que la théorie selon laquelle le processus de momification des Guanches était dérivé de l'Égypte, située à environ 5 000 km de là.

    « C'était impressionnant », se souvient Carrascoso. « La momie guanche était bien mieux conservée que les [momies] égyptiennes ». La définition de ses muscles pouvait encore être observée, et les mains et les pieds en particulier étaient dessinés en relief détaillé. « Elle ressemblait à une sculpture en bois du Christ », souffle-t-il. Mais la découverte la plus remarquable n'était pas évidente : contrairement à son homologue égyptienne, la momie de Guanche n'avait pas été éviscérée. Ses organes, y compris le cerveau, étaient encore parfaitement intacts grâce à un mélange - minéraux, herbes aromatiques, écorce de pin et de bruyère, et résine de dragonnier - qui a empêché les bactéries de se saisir du corps et donc le phénomène de décomposition. La datation au radiocarbone effectuée en 2016 a révélé la présence d'un homme grand et en bonne santé, peut-être membre de l'élite, à en juger l'état de ses mains, de ses pieds et de ses dents. Il avait probablement entre 35 et 40 ans lorsqu'il est mort il y a environ 800 à 900 ans, bien avant l'arrivée des Castillans. La colonne vertébrale présentait une dysmorphie commune aux populations d'Afrique du Nord, et les traits du visage indiquaient également le continent voisin.

    Rosa Fregel, chercheuse à l'université La Laguna de Tenerife qui étudie depuis des années les premières populations des îles Canaries, a appliqué les dernières techniques de séquençage de l'ADN aux restes de 40 xaxos. Les résultats ont corroboré les tests antérieurs, ne laissant aucun doute sur la parenté des momies avec les Nord-Africains : les premiers habitants venaient du Maghreb, la région la plus septentrionale du continent, le long de la Méditerranée. Cela ne signifie pas qu'ils venaient du même endroit ou qu'ils ont vécu à la même époque. « Nous avons découvert que les populations de chacune des îles avaient leurs particularités propres », explique-t-elle, de sorte que la population de l'archipel n'était pas nécessairement homogène.

     

    ORIGINES AFRICAINES

    L'étymologie, l'épigraphie et les sources ethnohistoriques avaient déjà indiqué des origines africaines, et les scientifiques sont maintenant d'accord. Des siècles avant l'arrivée de l'islam dans la région, l'Afrique du Nord était habitée par des clans numides. Les Grecs et les Romains les méprisaient en les qualifiant de « barbares », tandis que les Numides se désignaient eux-mêmes par le terme Amazighs, ou « hommes libres ». Ils étaient agriculteurs et éleveurs, et certains sont arrivés dans l'archipel avec leurs métiers et leurs animaux domestiques. Pourquoi ont-ils abandonné leurs foyers en Afrique du Nord ? Et comment ont-ils atteint ces îles, à une centaine de kilomètres de la côte ?

    « On a toujours parlé de vagues d'immigration », explique Teresa Delgado, conservatrice du musée canarien de Las Palmas. « Mais peut-être qu'il ne s'agissait que de groupes de familles arrivant à des moments différents. Peut-être que les événements survenus en Afrique du Nord, depuis la domination romaine jusqu'à l'arrivée de l'islam, ont déclenché des périodes de migration. »

    Selon José Farrujia, professeur d'archéologie et d'Histoire à l'université de La Laguna à Tenerife, sept des huit îles ont été continuellement habitées au moins pendant les dix derniers siècles. Leurs populations partageaient des traits physiques, et leurs langues, aujourd'hui disparues, ont évolué à partir du berbère libyen. Farrujia souligne également que les peintures rupestres mises au jour dans l'archipel sont similaires à celles du Sahara occidental, de l'Algérie et des montagnes de l'Atlas marocain.

    "On aurait dit une sculpture en bois du Christ", se souvient le radiologue Javier Carrascoso à propos du xaxo de Guanche, vieux de 900 ans, dont les mains et les pieds étaient soigneusement liés.

    PHOTOGRAPHIE DE FERNANDO VELASCO MORA AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DU Musée archéologique national de Madrid

    Mais le consensus s'arrête là. Les historiens ont avancé diverses théories d'émigration. Selon l'une d'elles, les premiers habitants des îles étaient des rebelles berbères bannis, amenés sur les îles entre 25 avant J.-C. et 25 après J.-C. pendant la révolte berbère contre Rome. « Le droit romain utilisait le bannissement sur les îles comme une punition », explique Antonio Tejera Gaspar, qui a étudié ces affrontements. « Après la chute de Carthage, toute la région est devenue une poudrière. »

    Le roi qui a banni les rebelles, pense-t-il, était Juba II. De nombreux historiens s'accordent à dire que Juba II, fils du roi numibien vaincu Juba Ier, a découvert les Canaries. Il a fait ses études à Rome et a épousé Cléopâtre Séléné, la fille de Cléopâtre et de Marc-Antoine. Dans un effort d'assimilation, Auguste confia au couple la responsabilité de la Mauritanie, qui s'étendait de la Tunisie actuelle au Sahara occidental. Érudit, écrivain et naturaliste, Juba a largement exploré son territoire et certaines zones périphériques : d'après un récit de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, les chroniques de Juba, aujourd'hui perdues, font état d'une expédition dans les Îles des Bienheureux en 46 avant J.-C. C'est la première fois que les îles sont nommées, et il désigne l'une d'entre elles comme Canari. Il décrit les caractéristiques naturelles de chacune des îles. « Et s'il ne mentionne pas leurs habitants, c'est parce qu'elles n'étaient pas habitées », explique Tejera Gaspar. Cela n'arrive qu'au siècle suivant, lorsque Rome bannit les insurgés, note-t-il. Tejera Gaspar soutient que les colons ne cherchaient pas à s'emparer des ressources ou des richesses, car les îles en étaient dépourvues.

     

    QUESTIONS PERSISTANTES

    Ou peut-être pas. Une autre théorie a émergé après la mise au jour en 2012 de tessons de poterie sur la petite île de Los Lobos, suggérant que les premiers colonisateurs ont pu fréquenter les îles pour leurs ressources naturelles. Les archéologues ont mis au jour des pots, des lanternes, des crochets et des harpons, importés et fabriqués dans des matériaux non indigènes, dont certains provenaient d'Andalousie - des artefacts que l'on trouve généralement le long des routes commerciales de la Méditerranée occidentale. Les dépôts de coquillages découverts dans la même région ont amené certains chercheurs à penser que des travailleurs saisonniers débarquaient dans des campements temporaires pour récolter des Stramonita haemastoma, mollusques utilisés pour fabriquer la précieuse teinture pourpre tyrienne, réservée aux empereurs romains. « Un atelier de fabrication de teinture pourpre démontre que l'archipel était dans la sphère romaine, que le territoire avait été exploré », explique María del Carmen del Arco, archéologue du site de Los Lobos, qui a été daté de l'époque romaine. Elle souligne également que les navires romains ont pu transporter des cargaisons d'animaux, de plantes et de personnes.

    Pourtant, Carmen del Arco affirme que Pline l'Ancien mentionne une population antérieure à l'ère romaine, et les découvertes archéologiques confirment ces dates. Certains sites à Tenerife ont été datés du 6e siècle avant J.-C. et à La Palma, du 3e siècle avant J.-C. « Tout cela est logique, surtout si l'on considère que les îles étaient peuplées d'est en ouest, de la plus proche à la plus éloignée de la côte africaine », explique José Farrujia.

    Farrujia décrit des peintures rupestres sur plusieurs des îles représentant des bateaux similaires à ceux des Phéniciens. « Rien ne nous dit qu'ils ne savaient pas naviguer », dit Farrujia. « Il y avait probablement des bateaux, mais les matériaux périssables ne laissent pas de traces archéologiques ». Il est également probable que des personnes aient pu être réduites en esclavage et emmenées de force par bateau, qui repartait ensuite.

    Certains spécialistes affirment que la datation au radiocarbone de ces sites n'est pas concluante. Et les restes humains trouvés sur les îles jusqu'à présent ne sont pas antérieurs au 4e siècle de notre ère, comme le fait remarquer Conrado Rodriguez, directeur du musée de la Nature et de l'Archéologie de Tenerife. La confirmation de l'ascendance des premiers habitants a relancé les efforts de l'archéologie, qui pourrait mettre au jour des preuves.

    Qui sommes-nous ? En fin de compte, tout se résume à une quête pour comprendre nos origines. La réponse se trouve peut-être dans une grotte inexplorée, une nécropole, une gravure. La topographie de l'île - ses ravines, ses coulées de lave durcies, ses grottes et ses sables balayés par le vent - contribue à préserver ces secrets.

    J'éteins ma lampe frontale et me réfugie dans le silence absolu. Je ne ressens ni froid, ni chaleur, ni peur. Je suis venue chercher des réponses, et j'emporte avec moi le cadeau de savoir que des questions demeurent. Mes collègues, tous Canariens, me présentent un vieux bol en céramique qu'ils appellent ganigo, semblable à ceux dans lesquels les Guanches buvaient du lait pour sceller leurs pactes. Ils me posent une question simple : Jurez-vous de ne révéler à personne l'emplacement de cette grotte ?

    Dans l'obscurité, je ne peux pas voir leurs yeux, mais je sais qu'ils brillent de la même excitation que les miens. Avec eux et les âmes qui ont peuplé cette grotte pendant des siècles comme témoins, je réponds : Oui, je le jure.

    Cet article a initialement paru dans l'édition espagnole de National Geographic. Emma Lira est l'autrice de Búscame donde nacen los dragos, une nouvelle historique qui a pour décor Tenerife.

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