Ces restes humains révèlent un bouleversement politique majeur dans une cité maya

Selon les archéologues, les restes humains et ornements précieux auraient été exhumés et brûlés lors d'une cérémonie publique dans le but de marquer la fin d'un ancien régime et l'arrivée d'un nouveau souverain dans le Guatemala du 9e siècle.

De Tom Metcalfe
Publication 18 avr. 2024, 18:03 CEST
Alors qu'ils fouillaient un dépôt calciné dans un temple maya, des archéologues ont découvert des artefacts, ...

Alors qu'ils fouillaient un dépôt calciné dans un temple maya, des archéologues ont découvert des artefacts, qui auraient été enterrés avec des membres de la royauté maya. Sont représentés ici : un diadème en pierre verte (avec dessin de reconstruction), un pendentif représentant une tête humaine, un fragment de plaque en pierre verte, et un disque décoré.

PHOTOGRAPHIE DE C. Halperin

La mystérieuse découverte de restes humains brûlés et de milliers d’ornements précieux, qui auraient appartenu à des dirigeants royaux d’une cité maya, pourrait constituer une preuve archéologique rare et directe d’un changement de régime politique vieux de plus d’un millénaire, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Antiquity.

L’étrange dépôt, mis au jour sur le site archéologique d’Ucanal, au Guatemala, autrefois connu sous le nom de K’anwitznal, suggère que la cité fut le théâtre, au début du 9e siècle de notre ère, d’une cérémonie publique au cours de laquelle la tombe de précédents souverains fut profanée, leurs cadavres brûlés et leurs restes déposés dans le remblai de construction d’une pyramide en cours d’agrandissement.

Cet événement coïncide avec l’avènement d’un nouveau souverain de K’anwitznal, Papmalil, qui semble avoir joui d’un règne prospère à une période à laquelle de nombreux autres royaumes du monde maya connaissaient un déclin important.

Cet effondrement maya ne fut toutefois pas total, révèle Christina Halperin, archéologue à l’Université de Montréal et directrice du projet archéologique d’Ucanal, qui étudie les ruines depuis dix ans.

« Un certain nombre de dynasties politiques [mayas] s’effondrèrent, mais pas toutes. Tandis que des bouleversements avaient lieu dans certaines régions et que certains sites étaient abandonnés, d’autres perdurèrent, voire connurent une période de prospérité par la suite. Ce fut le cas d’Ucanal. »

 

UN ACTE DE DESTRUCTION

La nouvelle étude, rédigée par Halperin et ses collègues, décrit la découverte de restes humains brûlés et de fragments d’ornements précieux, notamment un masque de jade similaire à ceux qui étaient habituellement placés dans les tombes royales mayas, au milieu des ruines de ce qui était autrefois un temple pyramidal à K’anwitznal.

Les archéologues chargés de la fouille du site d'Ucanal, dans le nord du Guatemala, ont dû creuser des couches de remblai de construction de pyramides pour atteindre le dépôt brûlé.

PHOTOGRAPHIE DE Proyecto Arqueológico Ucanal

Le site n’est aujourd’hui qu’un terrain plat, mais le dépôt a été découvert sous des blocs de calcaire enterrés qui furent utilisés pour la construction d’un niveau supérieur dans la pyramide qui, à l’époque, devait mesurer plus de 45 mètres de haut.

Contrairement aux dépôts rituels mayas retrouvés habituellement dans les restes de construction de pyramides, celui-ci ne semble pas avoir été laissé là par respect pour les défunts.

« Il ne fut ni placé dans une urne, ni déposé avec soin, et il fut endommagé par des blocs de pierre qui furent jetés par-dessus », explique Halperin. « Selon notre interprétation, il s’agit là d’un acte de destruction… tout semble indiquer que ce n’était en aucun cas révérencieux. »

 

MARQUER LA FIN D’UN RÉGIME

Le dépôt contenait les restes de quatre corps qui, selon les chercheurs, pourraient avoir appartenu aux membres d’une famille royale, tous enterrés dans la même tombe au cours d’au moins un siècle. Ont également été retrouvés plus de 1 500 fragments de pendentifs en jade, de plaques, de mosaïques et de morceaux d’obsidienne, ainsi que plus de 10 000 perles brûlées faites de coquillages marins, un trésor extraordinaire typique des joyaux qui étaient enterrés avec la royauté maya, explique Halperin. À ce jour, les équipes de recherche n’ont pas encore retrouvé la tombe originale dans laquelle les corps étaient enterrés avant d’être exhumés et déplacés.

Les preuves suggèrent que cette découverte est le fruit d’un « rite d’entrée de feu », ou och-i k'ak' t-u-muk-il en langue maya classique, ce qui signifie « le feu est entré dans sa tombe ». Selon Halperin, ces rites étaient communs dans le monde des Mayas, et étaient probablement dérivés de leur utilisation rituelle des flammes et de la fumée. « C’est comparable à la combustion d’encens », illustre l’archéologue. « Brûler est une manière de se transformer et d’atteindre le royaume surnaturel. C’est une sorte de procédé de purification. »

Certains de ces rites d’entrée de feu visaient à vénérer les morts, voire à consolider l’avènement d’un nouveau règne en l’associant à celui d’anciens souverains inhumés. Dans ce cas, le rite de K’anwitznal semble cependant avoir constitué un acte de profanation visant à déshonorer les anciens souverains et à célébrer le passage à un nouveau régime politique.

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    Des fragments d'un masque funéraire en pierre verte destiné à des rois mayas (avec des pupilles en obsidienne, en haut à droite) ont également été mis au jour dans le dépôt d'Ucanal.

    PHOTOGRAPHIE DE C. Halperin

    L’état des fragments d’os humains indique que certaines parties du feu dépassaient les 800 °C, ce qui suggère que le feu utilisé pour la crémation était très imposant et très public. En outre, des découvertes archéologiques ont révélé que d’autres sites mayas semblent avoir été le lieu d’actes de crémation similaires à la même époque ; selon Halperin, un tel événement « n’aurait donc pas été exceptionnel » pour les Mayas.

    Comme l’indique l’emplacement des restes, vulgairement déposés au milieu du remblai de construction d’un bâtiment, la cérémonie avait probablement pour objectif de souligner la fin d’un régime et de célébrer l’avènement d’un nouveau. Il s’agit ainsi d’un rare exemple de traces visibles d’un changement de régime politique dans des vestiges archéologiques, selon la chercheuse.

     

    L’AVÈNEMENT D’UN NOUVEAU SOUVERAIN

    Malgré ce changement de régime spectaculaire et le chaos qui régna dans le monde maya du 9e siècle, Papmalil semble avoir été un souverain plutôt bienveillant. À la suite de son règne, de nombreux bâtiments publics furent rénovés et de nouveaux projets de construction, notamment de nouvelles maisons, d’un système de canaux et d’un immense terrain de jeu de balle, furent entrepris à K’anwitznal.

    Papmalil ne régna pas en tant que roi maya, mais en tant que ochk'in kaloomte', un titre de chef militaire ou de membre de la noblesse. Le souverain parvint à établir de nouvelles alliances au sein du contexte politique en pleine évolution que connaissaient alors les cités mayas des Basses-Terres du sud, une région qui s’étendait sur ce qui est aujourd’hui le Belize et le nord du Guatemala. Les différentes représentations de Papmalil le montrent en train d’échanger des cadeaux avec les dirigeants d’États voisins, non pas en position de dominance comme c’était souvent le cas à l'époque, mais assis ou debout à côté de ces derniers.

    « C’est un grand changement, car les souverains mayas étaient principalement représentés en hauteur, et avec une carrure bien plus imposante que celle de leurs interlocuteurs », explique Halperin. De son côté, Papmalil semble avoir traité les autres souverains comme ses égaux : « Dans un certain nombre d’images, il apparaît à la même taille et la même échelle… et ce type de représentation commence au 9e siècle et se poursuit », note-t-elle.

    Pour Stephen Houston, anthropologue à l’Université Brown et spécialiste des Mayas, qui n’était pas impliqué dans cette étude, il est clair que ce mystérieux dépôt est en effet lié à la royauté.

    « Cet article montre de quelle manière nous devrions interpréter les vestiges inhabituels », commente-t-il, en référence au lien établi par les chercheurs entre le dépôt retrouvé et la pratique de « l’entrée de feu » décrite par les Mayas et avec l’ascension d’un personnage glorifié, Papmalil, dans les archives historiques.

    Thomas Garrison, archéologue à l’Université du Texas à Austin et explorateur National Geographic, qui n'a pas non plus pris part à ladite étude, ajoute lui aussi que la découverte du dépôt à Ucanal est remarquable.

    « Le fait de reconnaître un tel dépôt mélangé à l’environnement complexe qu’est le remblai d’un bâtiment, plutôt que dans une sépulture formelle, constitue déjà une prouesse technique. Je pense que la théorie qu’ils proposent, selon laquelle celui-ci serait lié à ce changement spécifique de régime, est également très cohérente. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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