Mormons : comment Joseph Smith a changé le visage du christianisme américain
Le fondateur de l’Église mormone secoua les États-Unis au 19e siècle avec des visions spirituelles qu'il disait avoir eues, la promotion de la polygamie et même des ambitions présidentielles.

Joseph Smith Jr., fondateur et chef spirituel de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.
Il y a presque deux cents ans, un ouvrier agricole du nom de Joseph Smith fonda une branche du christianisme qui allait devenir l’un des groupes religieux les plus célèbres des États-Unis : l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, aussi connue sous le nom d’Église mormone. Comment Joseph Smith, jeune homme issu d’une famille modeste de l’État de New York, changea-t-il le visage du christianisme américain à jamais ? Tout commença par la vision de plaques d’or, une expérience mystique qui le conduisit à fonder une Église, à mener ses fidèles vers l’ouest, à prendre plusieurs épouses et même à se présenter à l’élection présidentielle américaine.
DES DÉBUTS MODESTES
Quatrième d’une fratrie de dix enfants, Joseph Smith vit le jour dans l’est du Vermont dans une famille de peu de moyens. Ses parents étaient « souvent au bord du précipice », ainsi que l’écrit John Turner, professeur à l’Université George-Mason et auteur d’un ouvrage tout juste publié, Joseph Smith : the Rise and Fall of an American Prophet. La famille déménageait sans cesse pour trouver du travail et s’ouvrir de nouvelles perspectives, repartant de zéro et se réinventant chaque fois. Une vie confortable semblait parfois à portée de main, mais sa possibilité était aussitôt anéantie par la malchance ou par les circonstances : un investissement imprudent dans le ginseng chinois ou encore une rencontre malheureuse avec la fièvre typhoïde, qui faillit coûter la vie au jeune Joseph et à sa sœur et réduisit à néant les économies de la famille, ne sont que deux exemples parmi tant d’autres. En 1816, une famine causée par une explosion volcanique en Indonésie conduisit à un refroidissement mondial et contraignit les Smith et de nombreux autres Vermontois à se réfugier plus à l’ouest, dans le nord de l’État de New York. Après une année sans été dans le Vermont, cette région prospère située sur le tracé prévu d’un canal entre le fleuve Hudson et le lac Érié apparaissait comme une terre d’opportunités.
PREMIÈRES VISIONS
Dans les années 1820, Palmyra, dans l’État de New York, était une ville en plein boom, portée par un certain espoir économique et par un renouveau religieux. Là, le jeune Joseph Smith eut l’occasion d’assister à de nombreux rassemblement où des fidèles se jetaient à terre, saisis de convulsions spirituelles. L’adolescent de quatorze ans commença à se préoccuper du sort de sa propre âme. Il se retira dans les bois pour prier et, ainsi qu’il le raconta plus tard dans ses écrits spirituels, aurait été assailli par les ténèbres avant de recevoir une vision dans laquelle deux glorieux « personnages » apparurent devant lui dans l’air. L’un désigna l’autre et dit à Joseph Smith, dans une formule rappelant le baptême de Jésus dans les Évangiles : « Voici mon fils bien-aimé. Écoute-le ! » Joseph Smith demanda à Jésus quelle Église il devait rejoindre et se serait entendu répondre : « Aucune, car elles étaient toutes dans l’erreur. »
Le pasteur méthodiste de Joseph Smith accueillit son récit avec scepticisme et lui dit qu’il « n’y avait rien de tel que des visions ou des révélations en notre temps ». Mais Joseph Smith avait grandi dans un foyer où les rêves et les visions étaient pris au sérieux. Sa mère, Lucy, consignait par écrit aussi bien ses propres songes que ceux de son époux afin qu’ils soient transmis et la famille faisait souvent l’objet de moqueries de la part de voisins car ses membres utilisaient des baguettes de sourcier pour tenter de découvrir des trésors enfouis, comme l’écrit John Turner, historien et professionnel des études religieuses, qui est l’un des seuls spécialistes non mormons de la vie de Joseph Smith.

Joseph Smith traduisant la Bible d’or mormone à voix haute à Oliver Cowdery, au 19e siècle. Ses partisans croyaient qu’il avait traduit le Livre de Mormon à partir de plaques d’or que lui avait remises un ange.
Joseph Smith était pour sa part attiré par un outil particulier de divination, la « pierre de voyant ». Il devint « verromancien » (glass-looker), c’est-à-dire quelqu’un qui situait des objets en regardant dans des roches ou objets de verre. En une occasion, il fit creuser par un groupe d’hommes un tunnel de 15 mètres, guidé par une vision lui ayant révélé qu’il trouverait de l’argent enfoui au bout. Cette excavation se révéla vaine, mais, selon John Turner, elle montre que beaucoup de personnes dans l’entourage du jeune Joseph croyaient à ses visions.
LES PLAQUES D’OR
Selon ses propres dires, dans les années qui suivirent, il continua à recevoir des visiteurs surnaturels. En septembre 1823, un être angélique qu’il identifia plus tard comme l’ange Moroni, lui aurait révélé que ses péchés avaient été pardonnés et lui parla de « plaques d’or » enfouies dans les environs. L’ange, raconta-t-il, aurait livré une histoire condensée des Amériques dans laquelle des descendants d’Abraham débarquaient sur le continent. Il affirmait également que le Christ avait transmis la plénitude de l’Évangile à ces anciens Américains.
À l’aide d’une pierre de voyance de couleur claire qu’il venait d’acquérir et des instructions qu’il croyait provenir de Moroni, Joseph Smith se rendit à quelques kilomètres au sud de son domicile et affirma avoir découvert là une boîte en pierre contenant des tablettes en or. Selon lui, malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à les récupérer et l’ange lui dit de revenir plus tard, ce qu’il se résolut à faire un an plus tard avec son frère aîné, Alvin. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu : Alvin, héros de Joseph et, à bien des égards, soutien de famille, mourut avant qu’ils ne puissent récupérer les tablettes. Joseph se retrouva en position de responsabilité au sein du foyer. Il passa du temps à travailler pour d’autres en tant que voyant chercheur d’argent (du genre raté) et fut arrêté au moins une fois et accusé d’être une « personne tapageuse » et d’être « un imposteur ».
Malgré tout, cette période ne fut pas stérile. Il persuada Emma Hale, méthodiste issue d’une famille plus aisée, de l’épouser. Leur fugue amoureuse fit grincer bien des dents. Bien qu’il eût promis au père de sa jeune épouse de se fixer et de consacrer ses efforts à subvenir aux besoins de sa famille, Joseph Smith ne cessa pas de chercher les plaques. En septembre 1827, à la faveur d’un pèlerinage annuel, il revint sur la colline pour y chercher le trésor. Cette fois-ci, selon ses dires, l’ange tint sa promesse. Sa mère écrivit qu’il prétendait également avoir découvert deux pierres montées sur des arcs en argent. Il en parla d’abord comme des « lunettes », puis les désigna sous les noms d’Urim et Thumimm (des noms tirés de l’Ancien Testament renvoyant à des objets placés sur le pectoral du héros israélite Aaron).
Personne d’autre que Joseph Smith ne vit jamais les plaques d’or, bien que d’autres aient affirmé les avoir vues dans des visions. Selon la description qu’en donne Joseph Smith dans ses écrits, celles-ci étaient fines, d’aspect doré et couvertes de gravures. Elles ressemblaient, ainsi que l’écrit Sonia Hazard, spécialiste des religions dans l’Amérique des débuts, aux plaques utilisées dans la presse d’imprimerie. Joseph Smith affirma plus tard que les caractères gravés sur les plaques se lisaient de droite à gauche, comme en hébreu.
Dès le début, certains doutèrent des affirmations de Joseph Smith. S’il avait effectivement trouvé les plaques d’or, il avait certainement de bonnes raisons de les garder cachées : elles étaient censément faites d’un métal précieux et quelqu’un aurait facilement pu les voler. Les membres de sa famille étaient convaincus, mais aucun ne vit jamais non plus les plaques directement. Les premières personnes à affirmer avoir vu les plaques parlaient d’expériences visionnaires. Des témoins ultérieurs assurèrent qu’un ange était apparu et leur avait permis de tenir les plaques. Leurs témoignages émergèrent alors que les projets de Joseph Smith de publication d’un livre se concrétisaient. En 1830, l’année même où il paya pour faire imprimer le Livre de Mormon à Palmyra, Joseph Smith fonda l’Église du Christ (à distinguer de l’actuelle Église du même nom), dont les membres seraient plus tard appelés Saints des derniers jours ou mormons.
Joseph Smith affirma que le Livre de Mormon était une « traduction » des plaques d’or, mais à lire les témoignages de ceux qui assistèrent au processus d’écriture, on a plutôt l’impression d’une simple dictée. Joseph Smith plaça Urim et Thummim dans un chapeau, puis dicta les mots qu’il prétendait voir à des scribes : l’instituteur Oliver Cowdery, le riche soutien palmyrien Martin Harris et son épouse Emma. Tous trois étaient convaincus de l’authenticité de ses propos. Martin Harris alla même jusqu’à hypothéquer sa ferme pour financer l’impression du livre, mais il perdit son investissement.
VERS L’OUEST
Le Livre de Mormon attira l’attention sur Joseph Smith, quoique pas toujours de manière positive. On l’arrêta de nouveau et il dut faire face aux revendications concurrentes de certains fidèles qui affirmaient avoir eux-mêmes reçu des révélations. Il envoya vers l’ouest un groupe de missionnaires conduit par Oliver Cowdery pour évangéliser des Amérindiens. En chemin, ils convertirent une importante congrégation du nord-est de l’Ohio placée sous l’autorité de Sidney Rigdon, ministre bien connu du mouvement des Disciples du Christ. Du jour au lendemain ou presque, la jeune Église mormone, qui ne comptait encore que quelques dizaines de membres dans l’État de New York, gagna plusieurs centaines de nouveaux adhérents dans l’Ohio, ce qui en fit le plus dense noyau de fidèles du pays.
Dans le même temps, Joseph Smith annonça qu’il avait reçu par une révélation l’ordre de faire se réunir les Saints à Kirtland, dans l’Ohio, où ils pourraient bâtir une communauté, renforcer l’Église et se préparer en vue d’une expansion dans le Missouri, qu’il identifia comme le site ultime de Sion. C’est au cours de cette première expansion que Brigham Young, artisan et prédicateur, entra en contact avec le mormonisme. Baptisé en 1832, il entreprit un voyage pour aller rencontrer Joseph Smith et s’engagea rapidement auprès du mouvement. Il devint l’un des missionnaires les plus loyaux et dynamiques de Joseph Smith et était reconnu pour son pragmatisme et ses capacités d’organisation. À Kirtland, Brigham Young gagna en importance et fut nommé apôtre en 1835. Son rôle de leader durant ces années formatrices, quand l’Église était encore fragile et souvent attaquée, le prépara à assumer de futures responsabilités.
LE PROBLÈME DE LA POLYGAMIE
L’une des facettes les plus connues et les plus controversées de Joseph Smith fut sans doute son adhésion totale à la polygamie, une adhésion qui demeura secrète au début. Son intérêt pour le mariage plural commença avec Fanny Alger, séduisante domestique qui vivait chez lui et était de dix ans sa cadette. Que leurs rapports se soient résumés à une simple aventure ou qu’ils aient été liés par un mariage plural, cela demeure toutefois sujet à débats. Oliver Cowdery lui-même qualifia cette relation de « sale et répugnante liaison ». Des rumeurs d’adultère entouraient Joseph Smith et nuisaient à sa réputation, ce qui le contraignit à quitter Kirtland. Quant à Fanny Alger, on dit qu’Emma l’aurait expulsée de la maison en pleine nuit. Joseph demanda à un ami de confiance, Levi Hancock, de se débarrasser d’elle. Celle-ci finit par se marier en dehors de l’Église mormone et par se détourner complètement de la religion.
Certains membres de l’Église considèrent que la liaison avec Fanny Alger fut l’un des premiers pas de Joseph Smith vers la polygamie. Au moment de sa mort, il avait épousé plus de trente femmes et été lié à elles pour l’éternité. Beaucoup furent mariées à lui à un très jeune âge (deux d’entre elles, Helen Mar Kimball et Nancy Winchester, avaient quatorze ans, et dix avaient moins de vingt ans). Certaines se virent promettre des récompenses spirituelles pour elles et pour leur famille. Joseph Smith dit à sa future épouse Zina, déjà mariée, qu’un ange le tuerait s’il ne concluait pas ces mariages. Certaines femmes étaient disposées à s’unir éternellement à Joseph Smith et d’autres, comme Zina Huntingdon, restèrent avec leur premier époux après la cérémonie de mariage. Certaines, comme Mary Rollins Lightner, étaient enceinte de leur premier époux au moment de leur union. Fait notable, Joseph Smith épousa un jour une certaine Sylvia Lyon, dont il a avait dirigé la cérémonie de mariage quelques années auparavant, avant d’épouser sa mère, Patty, elle aussi mariée.
Certaines de ces unions avaient pour but de consolider des liens sociaux entre Joseph Smith et d’autres familles éminentes du mouvement, comme l’observe John Turner. « Un nombre certain de ces mariages furent consommés et Smith semble avoir été épris d’au moins quelques-unes de ses épouses plurales. Il n’y eut cependant pas beaucoup de relations sexuelles, ainsi qu’en témoigne le fait qu’aucun de ces mariages pluraux ne donna, que l’on sache, d’enfants », raconte-t-il.
Il existait une base théologique et biblique pour soutenir les mariages pluraux, mais cette perspective n’en heurta pas moins les mœurs de la société protestante américaine du 19e siècle. Selon Andrew Jenson, historien indépendant de la fin du 19e siècle, ce principe fut révélé à Joseph Smith en 1831, mais il lui fut interdit de le rendre public pendant plus d’une décennie. D’un point de vue théologique, la justification semble avoir été l’augmentation de la gloire éternelle individuelle (celle de l’homme). « Smith enseignait que le but de l’existence terrestre était l’exaltation de l’homme jusqu’à la divinité, explique John Turner. L’un des prérequis pour atteindre l’exaltation était le mariage par l’autorité sacerdotale de l’Église unique et véritable du Christ. Mais il y avait des degrés d’exaltation, des degrés de gloire éternelle et Joseph Smith semble avoir relié l’étendue de la gloire éternelle d’un individu à la taille de sa famille terrestre. C’est pourquoi il conclut un si grand nombre de mariages polygames. »
La polygamie, qui n’était permise qu’aux hommes mormons, suscita d’bord une vive réaction au sein de l’Église, puis dans la société. Certains des premiers Saints des derniers jours, par exemple William Law, un membre éminent de la hiérarchie ecclésiastique, résistèrent initialement ou bien quittèrent l’Église en apprenant son existence. Cette opposition culmina avec la publication en 1844, dans le Nauvoo Expositor, d’un article dans lequel on dénonçait Joseph Smith et la polygamie. Comme la polygamie était pratiquée en secret, seuls quelques chefs mormons, comme Brigham Young, Herber Kimball et Willard Richards, entrèrent dans des mariages pluraux du vivant de Joseph Smith.
UNE CANDIDATURE PRÉSIDENTIELLE ET UN RETOUR DE BÂTON ANTI-MORMON
À la fin des années 1880, les Saints des derniers jours connurent un cycle d’implantations et d’expulsions qui allait marquer le cours de leur histoire. Dans le Missouri, des tensions religieuses, politiques et foncières dégénérèrent en conflit ouvert et débouchèrent sur la guerre des mormons de 1838, dont le point culminant fut l’Extermination Order du gouverneur Lilburn W. Boggs, qui déclarait que les mormons devaient être « exterminés ou chassés de l’État ». S’ensuivirent des épisodes violents : des foules s’en prirent aux communautés mormones, notamment à Hawn’s Mill le 30 octobre, où dix-sept hommes et garçons furent massacrés sans pitié. Des milliers de saints furent forcés de quitter leur domicile et de franchir le Mississippi pour rejoindre l’Illinois au beau milieu de l’hiver.
L’Illinois fut un moment la promesse d’un nouveau départ. Les Saints asséchèrent des marais le long du Mississippi, fondèrent la prospère ville de Nauvoo et la dotèrent de sa propre milice, de ses propres tribunaux et d’un temple majestueux. Mais à mesure que la ville se garnissait de milliers de convertis venus de tous les États-Unis et d’Europe, ses voisins commencèrent à s’inquiéter. Joseph Smith, qui faisaient tout à la fois office de maire, de prophète et de commandeur de la légion de Nauvoo, incarnait une sorte d’autorité théocratique qui alarma à l’extérieur de la ville. Les rumeurs de polygamie, combinées à l’essor politique des Saints, nourrit suspicion et ressentiment.
Confronté à une opposition croissante dans le Missouri et dans l’Illinois et au constat que les appels à l’aide adressés au gouvernement demeuraient lettres mortes, Joseph Smith tenta de briguer des fonctions plus élevées. En janvier 1844, il annonça sa candidature à la présidence des États-Unis. Dans son programme, intitulé General Smith’s Views of the Powers and Policy of the Government of the United States, il appela à un gouvernement fédéral plus fort pour protéger les droits des minorités et la liberté religieuse, mais également à l’abolition de l’esclavage avec indemnisation des propriétaires et à la réforme du système judiciaire. Il défendit également des mesures expansionnistes, comme l’annexion du Texas, de l’Oregon et d’autres territoires.
Après l’article publié par des dissidents de l’Église dans le Nauvoo Expositor, Joseph Smith exigea la destruction de la presse du journal. Le gouverneur de l’Illinois, Thomas Ford, ordonna que Joseph Smith soit poursuivi pour avoir provoqué une émeute. Le mormon fut arrêté et, avant même son jugement, assassiné par une bande à la prison de Carthage. La violence se répandit dans les rues, on brûla des maisons et l’on entendit l’écho des coups de feu courir le long des rives du Mississippi : la guerre contre les mormons de l’Illinois venait d’éclater. En moins de deux ans, sous une pression incessante, les Saints abandonnèrent Nauvoo, inaugurant ainsi leur légendaire exode vers l’ouest. Pour les mormons, ces épreuves (l’ordre d’extermination dans le Missouri et les violences en réunion dans l’Illinois) devinrent des symboles inextinguibles de persécution et de résilience et marquèrent le moment à partir duquel cette nouvelle foi allait marcher vers les déserts de l’Ouest américain.
John Turner fait observer que Joseph Smith adorait l’aventure et ajoute que le fondateur de l’Église mormone « trouvait le risque palpitant ». « Il adorait traverser les bois à toute allure et échapper à ses ennemis. Il adorait marcher jusqu’au Missouri accompagné de nombreux autres membres de l’Église. La poursuite secrète de la polygamie était également exaltante et même s’il avait beaucoup à perdre, le fait de se cacher des forces de l’ordre l’était tout autant. »
Pour son nouveau livre, John Turner s’est plongé dans de nombreux écrits de Joseph Smith, de ses amis et de ses détracteurs. L’Église des Saints des derniers jours et d’autres organisations lui ont en sus donné accès à leurs archives pléthoriques. L’impression principale qu’il retient de Joseph Smith est celle d’un homme audacieux. Joseph Smith publia une nouvelle Bible, fonda une Église, mobilisa ses fidèles pour migrer vers la frontière en prévision du retour du Christ. Il créa une banque et fut candidat à la présidence de son pays. Et face à chaque revers, il avait un plan de secours. Dans ses derniers instants, il tentait de s’échapper de la prison de Carthage par une fenêtre.
Quand on tua Joseph Smith, en juin 1844, les Saints des Derniers Jours sombrèrent dans une crise de succession sans ligne d’autorité claire. Plusieurs prétendants se manifestèrent. Sidney Rigdon, dernier survivant de la Première présidence, organe suprême de l’Église composé du prophète-président et de ses conseillers, soutint qu’il devait devenir le « gardien » de l’Église. James Strang brandit une lettre de nomination supposément écrite par Joseph Smith (il fonda plus tard son propre mouvement et affirma avoir découvert ses propres plaques scripturales).
En tant que président du Collège des Douze Apôtres, deuxième organe dirigeant de l’Église, chargé d’exercer son autorité lors que la Première présidence n’était pas en fonction, Brigham Young affirma quant à lui que Joseph Smith avait confié aux Douze toutes les « clés » de la direction de l’Église. Lors d’une réunion à Nauvoo le 8 août 1844, Brigham Young prononça un discours qui, selon de nombreux témoins, évoquait de manière troublante Joseph Smith, tant par la voix adoptée par son auteur que par l’apparence de celui-ci, et fit tant impression qu’il convainquit la majorité de son auditoire. Les Saints votèrent pour suivre les Douze et Brigham Young consolida son pouvoir en supervisant l’achèvement du temple de Nauvoo et plus tard, en menant une migration vers l’ouest.
Emma Smith s’opposa à Brigham Young au sujet de la polygamie, de l’inhumation de la dépouille de Joseph Smith et de l’héritage de ses enfants. Elle resta à Nauvoo et se remaria en 1847. Jusqu’à son dernier souffle, Emma continua de nier que son époux ait jamais pratiqué la polygamie. La plupart des autres épouses plurales de Joseph Smith suivirent Brigham Young vers l’ouest. Beaucoup se remarièrent et certaines, comme Zina Huntingdon, épousèrent Brigham Young lui-même.
Aux États-Unis, le 19e siècle fut une période marquée par des chefs religieux charismatiques qui, pour la majorité, sont retombés depuis dans l’obscurité ou bien ne subsistent que dans la mémoire des historiens. Mais ainsi que l’écrit John Turner, Joseph Smith laissa des « marques indélébiles ». Des millions de mormons continuent de participer aux rituels et à l’Église qu’il a fondés. « Le mormonisme », affirme Benjamin Park, auteur d’American Zion: A New History of Mormonism, « est sans doute la religion la plus prospère à avoir vu le jour sur le sol américain ».
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
