L’épave de ce navire pirate continue de livrer ses trésors

L’Histoire présente l’équipage du Whydah Gally comme des marins pleins de panache ayant fait main basse sur d’immenses richesses avant de périr dans une tempête. Mais avant devenir un bateau pirate, le navire avait pris part au commerce triangulaire.

De Roff Smith
Publication 16 sept. 2025, 16:16 CEST
Le capitaine Samuel Bellamy et son équipage en train de faire main basse sur le Whydah ...

Le capitaine Samuel Bellamy et son équipage en train de faire main basse sur le Whydah après une course poursuite de trois jours dans les Bahamas. Avant d’être capturé, l’équipage du navire avait vendu 312 esclaves africains en Jamaïque et embarqué des biens précieux qui devaient être rapportés en Angleterre.

ILLUSTRATION DE Don Maitz, National Geographic Image Collection

Célèbre pour son élégance vestimentaire, le capitaine Samuel Bellamy affectionnait les gilets de velours noirs hors de prix, les hauts-de-chausses, les bas de soie et les chaussures à boucles d’argent. Ce flamboyant pirate originaire du comté anglais du Devonshire portait habituellement pas moins de quatre pistolets de duel raffinés glissés dans sa ceinture avec son épée. Bellamy ne s’accommodait que du meilleur et dédaigna les perruques poudrées de son temps, leur préférant un simple ruban qui lui servait à attacher sa chevelure de jais, une mode qui lui valut, dit-on, le surnom de Black Sam.

On dit que Samuel Bellamy portait quatre pistolets de duel à la ceinture.

On dit que Samuel Bellamy portait quatre pistolets de duel à la ceinture.

PHOTOGRAPHIE DE Artwork by Gregory Manchess

À l’âge de vingt-huit ans, moins de deux ans après le début de sa fulgurante carrière dans la piraterie, Samuel Bellamy et son équipage avaient amassé une fortune qui vaudrait 120 millions d’euros aujourd’hui. Il fut donc l’un des pirates les plus riches de l’Histoire.

Durant des mois, le jeune pirate et sa flotte pillèrent des navires dans les Caraïbes et le long du littoral de l’Amérique coloniale. Mais un violent nor’easter survenu au large du cap Cod au printemps de 1717 précipita son navire amiral, le Whydah Gally, contre une rangée de bancs de sable, entraînant la noyade de Bellamy et de 144 des 146 membres d’équipage.

 

DE NAVIRE NÉGRIER À NAVIRE AMIRAL

Conçu spécifiquement pour le commerce triangulaire, le Whydah était une frégate négrière de 33 mètres de long et de 300 tonnes dotée de trois mâts et capable de filer à l’allure soutenue de treize nœuds. Inaugurée à Londres par la Royal African Company en 1716, le navire avait effectué deux étapes sur trois de son voyage lorsque Samuel Bellamy s’en empara près des Bahamas après une poursuite de trois jours et en n’ayant tiré qu’un seul coup de feu.

L’âge d’or de la piraterie, puisqu’il faut l’appeler ainsi, eut lieu entre 1630 et 1730, et fut intimement lié à l’essor de l’économie sucrière dans les Caraïbes. Les énormes richesses générées par le sucre, le rhum et la mélasse tirés des champs de canne à sucre où travaillaient des esclaves s’accompagnèrent d’une demande bondissante en main-d’œuvre asservie pour s’occuper des cultures et maximiser les profits. Le commerce triangulaire explosa. L’océan grouillait de navires marchands transportant produits et denrées. Les convois espagnols, chargés de biens de luxe et d’or et d’argent sud-américain extrait par des ouvriers autochtones réduits au travail forcé ou parfois maigrement payés, sillonnaient les Caraïbes et faisaient route vers l’Espagne. Les pirates allaient là où était l’argent et gravitaient autour des ports négriers animés du littoral ouest-africain et des colonies prospères des Caraïbes et d’Amérique du Nord. Les navires négriers étaient fréquemment pris pour cible. Les pirates s’emparaient non seulement des biens transportés, mais recrutaient ou forçaient également des membres d’équipage et d’anciens esclaves à les rejoindre.

Pour les esclaves africains dans les cales, le fait d’être capturés par des pirates représentait parfois une occasion périlleuse. Bien qu’on les considérât souvent comme un butin et qu’on les vendait dans des ports où l’on ne posait pas de questions, il arrivait qu’ils rejoignent un équipage de pirates où la vie, sous les ordres de certains capitaines, pouvait parfois être étonnamment égalitaire ; bien plus qu’à terre, du moins. On trouvait par exemple cinq hommes noirs dans l’équipage de Barbe Noire au moment de sa mort en 1718. Lorsqu’elle vainquit le terrible pirate gallois Bartholomew Roberts, dit Black Bart, en 1722, la Royal Navy captura 250 membres d’équipage, dont soixante-quinze anciens esclaves. Jusqu’à cinquante membres d’équipage de Samuel Bellamy auraient été originaires d’Afrique.

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    Pistolet à silex découvert sur l’épave du Whydah dont la platine et la crosse sont ornées ...

    Pistolet à silex découvert sur l’épave du Whydah dont la platine et la crosse sont ornées de dragons, avec une balle en plomb, de la bourre et un morceau de cartouche.

    PHOTOGRAPHIE DE Bill Curtsinger, National Geographic Image Collection

    Plus de douze millions d’Africains furent kidnappés et vendus durant les près de quatre siècles que dura le commerce triangulaire. Historiens et archéologues ne connaissent que peu de détails concernant la première étape du voyage du Whydah, mais à l’instar de nombreux autres négriers européens, ce navire, qui doit son nom au port négrier d'Ouidah, au Bénin, partit d’abord pour l’Afrique de l’Ouest chargé d’armes, de tissus et de vin à échanger contre des esclaves auprès de chefs africains ou de leurs agents. Ces esclaves étaient souvent capturés lors de conflits tribaux ou bien enlevés lors de raids et venaient de milieux très variés : il y avait là des ferronniers aussi bien que des médecins ou des paysans, et même des figures royales. Toutefois, l’on sait peu de choses sur les 367 Africains qui furent achetés et transportés de force à bord du Whydah. Avec cette cargaison humaine et des tonnes d’ivoire entassées dans sa cale, le navire embarqua pour la deuxième partie de son voyage : une traversée de l’Atlantique, jusqu’à Kingston, en Jamaïque. Là, on vendit les 312 esclaves ayant survécu à la violence et aux traumatismes émotionnels de cette traversée, que l’on appelle aujourd’hui le Passage du milieu. Quand Samuel Bellamy prit le contrôle du navire, celui-ci avait déjà fait escale dans plusieurs ports des Caraïbes et embarqué de précieuses matières premières qui devaient être vendues à prix élevé lors de son retour à Londres.

    « Les navires négriers faisaient également d’excellents bateaux de pirates », explique Dave Conlin, archéologue sous-marin du Service américain des parcs nationaux (NPS). « Ils ont été conçus pour être rapides, pour réduire le temps passé en mer et pour minimiser les morts, non par souci humanitaire, mais par pur égard pour la profitabilité de la traversée. C’est un secteur d’activité brutalement efficace. »

    Une fortune en or, en argent, ainsi qu’en indigo, en rhum, en sucre, en mélasses et en épices se trouvait à bord du Whydah quand Bellamy le détourna ; un butin considérable, sans parler de la valeur du navire lui-même.

    Séduit par ses lignes, Bellamy décida de le garder et d’en faire son vaisseau amiral. De plus, en témoignage de reconnaissance pour sa reddition pacifique, il offrit son propre bateau, la Sultana, au désormais ex-capitaine du Whydah, ainsi que vingt livres Sterling, soit l’équivalent de 3 400 euros aujourd’hui, pour l’aider à passer le cap. Ce geste ressemblait typiquement à Bellamy, qui était connu pour la pitié dont il faisait preuve envers les capitaines et les marins dont il confisquait les bateaux.

     

    UNE VIE DE PIRATE

    Né dans le Devonshire en 1689, Samuel Bellamy prit la mer dès son jeune âge, rejoignant la Royal Navy à la fin de son adolescence et partant combattre à l’étranger. Mais en 1714, un retour à la paix après des années de guerres incessantes en Europe vit la marine réduire ses effectifs et, de même que bien d’autres marins aguerris, Bellamy se retrouva désœuvré. En 1715, il voyagea jusqu’au Massachusetts pour y rechercher des opportunités et rendre visite à des proches au cap Cod. Là, il s’éprit d’une femme que les sources appellent soit Goody Hallett, soit Maria Hallett. Selon le folklore de la Nouvelle-Angleterre, sa famille l’appréciait, mais elle estimait que leur fille pouvait faire mieux que d’épouser un marin impécunieux, aussi séduisant et affable fût-il.

    Bellamy décida de leur donner tort.

    Le sort lui offrit bientôt une occasion de briller. À l’été 1715, un ouragan détruisit la Flotte des Indes, qui laissa derrière elle des épaves et une quantité vertigineuse d’or, d’argent et de bijoux qui allèrent s’échouer sur le littoral floridien. Après avoir eu vent de la nouvelle, Bellamy s’associa à un aristocrate de Nouvelle-Angleterre nommé Palsgrave Williams, dont le père était procureur général de Rhode Island. En 1716, ils naviguèrent ensemble vers le sud avec l’intention de faire fortune en pillant des épaves.

    Cette bague, ces pièces et autres objets en or font partie des 200 000 artefacts découverts sur ...

    Cette bague, ces pièces et autres objets en or font partie des 200 000 artefacts découverts sur le Whydah. Des objets de l’épave continuent à s’échouer sur le littoral américain près de Wellfleet, dans le Massachussetts.

    PHOTOGRAPHIE DE Richard Nowitz, National Geographic Image Collection

    Mais remonter ces trésors engloutis ne s’avéra pas aussi simple qu’ils l’avaient imaginé. Déjà considérés comme des pirates par les Espagnols, qui voyaient dans leurs tentatives de piller leurs épaves chargées de trésors rien de moins que du brigandage, les deux hommes décidèrent d’assumer pleinement la vie de pirate et dirigèrent leur attention vers des navires encore à flot. Il ne fallut pas longtemps avant qu’ils ne s’allient à Benjamin Hornigold, capitaine pirate chevronné dont le second était alors un personnage redoutable répondant au nom d’Edward Teach, que l’on surnommerait plus tard Barbe Noire.

    Samuel Bellamy s’engagea dans la piraterie avec un tel panache que Benjamin Hornigold et son second se virent bientôt exclus du navire à l’issue d’un vote de l’équipage. À la place de Benjamin Hornigold, les hommes élurent le charismatique nouveau venu en tant que capitaine.

    Sous ses ordres, ils multiplièrent les razzias dans les Caraïbes à un niveau jamais vu alors : ils dépouillèrent cinquante-trois navires en un temps record. De plus, comme de nombreux pirates de la même époque, Samuel Bellamy répartissait le butin équitablement entre les membres de son équipage. Quand le capitaine de l’un des bateaux que lui et ses hommes avaient saisis déclina l’invitation de rejoindre son équipage, Bellamy railla sa timidité et, dans un discours resté célèbre et cité dans un ouvrage du capitaine Charles Johnson intitulé A General History of the Robberies and Murders of the Most Notorious Pyrates (1724), il énonça sa philosophie de vie, sans concession pour les nantis :

    Ils nous vilipendent, ces crapules, alors que ne nous distingue que cette chose : ils volent les pauvres sous le couvert de la loi, en vérité, et nous pillons les riches sous la protection de notre propre courage. Ne vaut-il pas mieux être un des nôtres que de ramper derrière ces coquins pour gagner sa vie ?

    Pour un simple matelot, la vie de pirate avait assurément de quoi séduire : égalité, démocratie, argent facile et même indemnisations généreuses en cas de blessure ou d’infirmité, avec des montants préétablis pour la perte d’un œil, d’une main ou d’une jambe, par exemple. Les pirates avaient également tendance à être en meilleure santé que leurs homologues respectueux des lois. Pas de farine vermoulue ni de porc rance pour eux ; ils se régalaient des mets délicats volés dans les mess d’officiers des navires qu’ils pillaient. Et puisque leur boisson de choix était un punch agrémenté de jus de citron vert, le scorbut les épargnait le plus souvent. Ainsi était l’âge d’or, plus tard idéalisé par le romancier victorien Robert Louis Stevenson dans L’Île au trésor et dans des illustrations d’artistes tels que Howard Pyle et N.C. Wyeth. Ce romantisme ne reflétait pas toujours la réalité historique, mais certains pirates avaient bel et bien pour animaux de compagnie des perroquets, hissaient le pavillon noir et buvaient d’importantes quantités de rhum.

    Les équipages de pirates menaient des vies excessives. Au port, ils ne dépensaient pas leur argent comme de simples marins ivres, ils le dépensaient comme les pirates qu’ils étaient, festoyant, jouant et écoulant leur butin.

    Cloche en bronze portant l’inscription « The Whydah Gally 1716 ». Sa découverte, en 1985, confirma que l’épave ...

    Cloche en bronze portant l’inscription « The Whydah Gally 1716 ». Sa découverte, en 1985, confirma que l’épave gisant au large du cap Cod était bel et bien le Whydah.

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, National Geographic Image Collection

    Alexandre Exquemelin, chirurgien et aventurier français qui aurait navigué un temps avec le corsaire gallois Henry Morgan, raconte l’histoire d’un pirate qui aurait dilapidé plus de cinq cents pièces de huit, une somme gigantesque au 17e siècle, en une seule nuit de débauche. Trois mois plus tard, l’homme fut vendu comme esclave pour essuyer ses dettes.

     

    ARTEFACTS MANQUANTS

    Bellamy n’était toutefois pas voué à une ruine aussi extravagante. Peu après avoir fait main basse sur le Whydah, il quitta les Caraïbes et remonta le littoral des colonies américaines jusqu’au Massachusetts pour retrouver Miss Hallett et l’impressionner, elle et sa sceptique famille, avec ses richesses et son charme, dans la perspective éventuelle de se fixer.

    Le 26 avril 1717, Bellamy se trouvait au large du cap Cod où il pilla deux navires de suite. Malgré le temps clément du début de journée, un brouillard dense se leva dans l’après-midi. À la nuit tombée, les puissants vents d’un nor’easter malmenèrent le gréement du Whydah, tandis qu’une houle formidable secoua le navire comme un bouchon.

    Dans les petites heures du matin, le Whydah s’écrasa contre un banc de sable et se brisa, tuant Samuel Bellamy et presque tous les hommes à bord. La nouvelle qu’un navire pirate avait sombré durant la nuit se répandit rapidement dans la ville voisine de Wellfleet, dans le Massachusetts. Dès lendemain matin, et pendant plusieurs semaines, des dizaines de chasseurs de trésors parcoururent les rivages. Ils trouvèrent de nombreux corps et quelques butins, mais nulle trace d’un navire. Il faudrait attendre encore 267 ans pour en découvrir l’épave.

    En 1984, l’épave du Whydah fut repérée par l’explorateur Barry Clifford et son équipe au large de Wellfleet et sous moins de 10 mètres de sable. Depuis lors, environ 200 000 artefacts ont été récupérés dans l’épave, dont des pièces, des bijoux, près de 400 pièces d’orfèvrerie produites par les Akans là où se trouvent aujourd’hui le Ghana et la Côte d’Ivoire, des canons et des armes en tous genres. En 2021, des plongeurs ont récupéré six squelettes prisonniers de concrétions minérales sur le site de l’épave. Bien que l’essentiel de la cargaison de Bellamy demeure introuvable, des artefacts continuent d’apparaître, les plus récents étant un canon et 200 manilles en laiton, de petits bracelets qui servaient de monnaie sur la côte de l’Afrique de l’Ouest. Cela reste à ce jour le premier (et le seul) navire de l’âge d’or des pirates à avoir été entièrement authentifié.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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