Égypte antique : les femmes n'étaient-elles que des « dirigeantes de substitution » ?

Lors de potentielles périodes de trouble, les reines d'Égypte assuraient la stabilité de la société.

De Simon Worrall
Ce buste de la reine égyptienne Néfertiti a été réalisé avant que cette dernière n'ordonne de ne plus être représentée comme une femme, mais uniquement en tant que dirigeant. Dans son nouveau livre « When Women Ruled the World: Six Queens of Egypt » (Lorsque les femmes régnaient sur le monde : six reines d'Égypte), Kara Cooney suggère qu'en laissant les femmes gouverner par période, l'Égypte a gagné en stabilité.
PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

Il n'était pas rare que des femmes détiennent la réalité du pouvoir il y a 3 000 ans, dans l'Égypte antique. Certaines d'entre elles sont même devenues toutes-puissantes, à l'instar de Cléopâtre et de Néfertiti. Toutefois, comme l'explique Kara Cooney dans son nouveau livre intitulé When Women Ruled the World: Six Queens of Egypt (Lorsque les femmes régnaient sur le monde : six reines d'Égypte en français), ces femmes n'étaient finalement que des dirigeantes de substitution, assurant la régence le temps que le prochain pharaon monte sur le trône.

Lors d'un entretien téléphonique avec National Geographic depuis Los Angeles, Kara Cooney nous a expliqué pourquoi Hatchepsout était si parfaite ; comment Cléopâtre avait grandi dans une famille faisant passer les Sopranos pour des enfants de cœur ; et décrit ce que ces femmes symbolisent pour leur société ainsi que la nôtre.

 

Commençons par l'une des dernières et plus célèbres reines d'Égypte : Cléopâtre. Vous écrivez « Elle alliait d'excellentes qualités de dirigeant à un utérus productif ». Parlez-nous de la dynastie Lagide et de la façon dont Cléopâtre s'est servie de ces deux qualités pour régner.

C'est une grande question donc, comme disent les universitaires, laissez-moi la décortiquer. Grandir en tant que membre de la dynastie Lagide devait être une expérience favorisant des troubles de stress post-traumatique. Chaque fils ou fille Lagide avait sa propre suite, sa trésorerie, ses propres sources de pouvoir, tout en partageant ce dernier, mais dans le cadre d'un système de fratrie très exclusif.

 

Et ils se tuaient les uns les autres …

Et ils se tuaient les uns les autres, en toute impunité et de façon régulière. L'histoire que je préfère concernant d'un membre de la dynastie Lagide est celle de Cléopâtre II, qui était mariée à son frère. Un jour, ils se sont violemment disputés et le frère a été tué. Elle s'est alors remariée avec un autre de ses frères. Sa fille, Cléopâtre III, a fini par renverser sa mère, la forçant à l'exil en s'emparant du trône avec son oncle, le frère de Cléopâtre II. Celui-ci envoya ensuite à sa sœur un paquet contenant le fils de cette dernière découpé en petits morceaux en guise de cadeau d'anniversaire. Puis, pour des raisons politiques, ils se sont réconciliés. [rires]

Cette statue en roche calcaire représente la reine Hatchepsout vêtue de la tenue d'un roi, quelque chose qu'elle fit au cours de ses 20 années de règne.
PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

Cléopâtre est probablement la seule femme du livre à avoir utilisé ses capacités reproductives comme un homme, pour créer un héritage. Les autres femmes assuraient soit une régence, soit parce ce qu'il n'y avait pas de descendance masculine et elles montaient sur le trône au cours des années où elles ne pouvaient pas avoir d'enfant. Cléopâtre s'est servie de son utérus pour avoir des enfants avec deux seigneurs de guerre romains. Elle a eu un enfant avec Jules-César, trois avec Marc-Antoine dont des jumeaux, rien que ça, et elle a survécu [aux grossesses et aux accouchements]. Ensuite, elle a minutieusement placé chacun de ses enfants dans une partie différente de son Empire de l'est grandissant. Ce dernier avait pour rival l'Empire romain de l'ouest. Si Marc-Antoine, le seigneur de guerre qui était son partenaire, n'avait pas pris des décisions stupides, nous parlerions peut-être différemment de Cléopâtre et de son héritage.

Bien qu'elle soit résumée à sa grande beauté, nous supposons qu'elle était en partie le résultat d'un inceste. Et l'inceste ne rendait pas les gens beaux. Je pense à Charles II d'Espagne, qui avait une tête géante, avait besoin d'oreillers spéciaux et ne pouvait pas mâcher. La monnaie frappée à l'effigie de Cléopâtre ne la montre pas comme étant d'une grande beauté. Elle se faisait plutôt remarquer par son esprit, sa conversation et son intelligence. Peu importent les raisons pour lesquelles ces deux seigneurs de guerre romains ont été attirés par elle, Cléopâtre s'en est servie. Elle a utilisé ses relations personnelles mieux que n'importe quelle autre femme mentionnée dans le livre.

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    Parlons maintenant d'une autre reine légendaire. Vous dites à son sujet « Plus que n'importe quelle autre reine d'Égypte, c'est Néfertiti qui incarne le pouvoir féminin, le vrai, celui qui a rencontré le succès ». Présentez-nous cette femme remarquable et expliquez-nous comment elle a sauvé l'Égypte à une période critique de son histoire.

    Néfertiti est la reine dont il est le plus difficile de parler car les égyptologues viennent seulement de découvrir ce qu'elle était, une reine pour son peuple. Jusqu'à présent, nous avons seulement évoqué sa beauté, comme l'en atteste le buste exposé au Neus Museum de Berlin. Mais elle a changé d'identité lorsqu'elle est devenue une dirigeante politique. Elle a changé son nom et n'était plus représentée sous les traits d'une femme.

    Quand je dis que Néfertiti est l'une de nos dirigeantes féminines les plus accomplies, je veux dire par là qu'elle a réparé les pots cassés par les hommes qui l'ont précédée. Elle s'est également servie de son émotivité féminine. Sa propre ambition ne l'intéressait pas. Elle n'a même pas revendiqué le pouvoir d'une façon à ce que les historiens puissent aujourd'hui dire qu'elle est montée sur le trône. Elle a caché toutes les preuves qui montraient qu'elle était au pouvoir.

    Le débat fait toujours rage parmi les égyptologues concernant le fait qu'elle soit devenue ou non co-dirigeante et qu'elle ait gouverné seule ou pas. Si tel était le cas, elle a dû cacher sa beauté et son allure féminine. Cela en dit long sur la nature du pouvoir politique et ce qu'il fait à une femme.

     

    En quoi les Égyptiens de l'Antiquité étaient-ils différents ?

    Tout d'abord, mon livre est une tragédie [rires]. Je ne suis pas là pour écrire une histoire révisionniste. Je suis là pour raconter l'histoire telle que je la perçois. Ces femmes de l'Égypte antique étaient au service d'un système patriarcal, dans un contexte d'inégalités sociales. Elles entraient en scène pour soutenir leurs maris, leurs frères ou leurs fils. Si les femmes ont régné encore et encore, c'est parce que l'Égypte était réticente au risque et voulait que la royauté survive coûte que coûte. Les Égyptiens avaient conscience que les femmes gouvernaient différemment, qu'elles n'étaient pas des seigneurs de guerre ou des violeurs, qu'elles n'allaient pas vous étrangler dans votre sommeil. Bien sûr, elles étaient capables de commettre un meurtre ; mais aujourd'hui, les femmes sont moins nombreuses à commettre des crimes violents et nous supposons que c'était aussi le cas dans l'Antiquité.

     

    L'une de vos reines d'Égypte favorites est sans doute Hatchepsout, au nom presque imprononçable. Pourquoi admirez-vous particulièrement cette femme ?

    Elle a laissé l'Égypte dans une meilleure posture qu'elle ne l'a trouvée ! Elle a assuré la sécurité de l'Égypte et de sa dynastie et était la mère du prochain pharaon, Thoutmôsis III, qui a fini par devenir le « Napoléon de l'Égypte », étendant son empire comme cela n'avait jamais été fait auparavant. Hatchepsout était très maline dans la façon dont elle a utilisé l'idéologie pour obtenir un pouvoir irréfutable. Elle disait à son peuple : « Le Dieu m'a choisie, ce n'est pas mon ambition, ce n'est pas mon souhait, mais celui de mon père, le Dieu Amon-Rê m'a parlé et m'a dit que je devais faire cela. »

    Si Hatchepsout m'intéresse tant, c'est parce que tout ce qu'elle a entrepris était parfait. Cela est parfois idéalisé. Le succès est très fongible. Il peut être revendiqué par quelqu'un qui s'en attribuera le mérite. Il est facile de remplacer son nom par un autre sur un ensemble de bas-reliefs qui la représente en train d'ériger des obélisques ou de lancer des expéditions au pays de Pount.

    À l'inverse, l'échec n'est pas abstrait. [rires] Il peut prendre la forme d'un suicide avec des aspics ou d'une bataille navale qui se déroule horriblement mal. C'est quelque chose de très individualisé. Ainsi, nous nous souvenons de Cléopâtre et Shakespeare a écrit une pièce de théâtre sur elle. Mais pour Hatchepsout, nous devons fouiller dans l'histoire et découvrir pourquoi nous ignorons si facilement les réussites d'une femme alors que ses échecs sont si merveilleusement amplifiés.

     

    Vous mettez l'accent sur le fait que, même si les femmes pouvaient régner, leur pouvoir « était une illusion à court terme ». Elles étaient généralement enlevées des archives historiques, n'est-ce pas ? Pourquoi ?

    Les femmes n'étaient que des dirigeantes de substitution pour un stratagème bien plus important qui reposait sur la masculinité. Elles étaient là pour s'assurer que le prochain dirigeant masculin puisse accéder au cercle de pouvoir. Les fondements de la biologie nous aident à comprendre pourquoi il est plus difficile pour une femme de se trouver au centre du cercle : elle ne peut avoir qu'un ou deux enfants par an, alors qu'un homme peut en engendrer des centaines sans se soucier des changements hormonaux et de la vulnérabilité qui découlent de la grossesse. Donc la femme est présente en période de crise, pour protéger la patriarchie lorsque la succession d'un homme par un autre homme ne se déroule pas comme souhaité. Une fois qu'il est possible de revenir au système patriarcal, elle est retirée du pouvoir. Sur les six femmes mentionnées dans ce livre, cinq étaient appelées « roi ». Mais cela ne veut pas dire qu'elles ne seront pas effacées de l'histoire quelques générations plus tard, lorsqu'il sera opportun pour les hommes d'agir ainsi et de s'octroyer complètement leur succès.

     

    Cet interview a été édité dans un souci de clarté et raccourcie.

    Simon Worrall écrit régulièrement pour le site et le magazine National Geographic. Son dernier livre, The Very White of Love, est un roman dont l'histoire se déroule pendant la Seconde guerre mondiale. Suivez-le sur Twitter ou sur son site Internet simonworrallauthor.com.

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