Les Appalaches, montagnes "hantées" par des monstres

Les créatures surnaturelles qui peupleraient ces forêts sont étroitement liées au paysage, plus ancien que presque toutes les formes de vie sur Terre.

De Olivia Campbell
Publication 17 oct. 2023, 10:27 CEST
appalachia-geology

Dans les légendes, les forêts sont peuplées de cryptides et il s’y produit des évènements paranormaux. Les histoires d’horreur dans les montagnes des Appalaches sont légion sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok sous le hashtag #HauntedAppalachia.

PHOTOGRAPHIE DE Gerd Ludwig, Nat Geo Image Collection

De l’homme-papillon au wampus, en passant par les corbeaux moqueurs, le monstre de Grafton ou celui de Flatwoods, les Appalaches regorgent de créatures surnaturelles. Sur TikTok, les histoires accompagnées du hashtag #HauntedAppalachia (Appalaches hantées) sont légion. Et de nombreuses personnes pensent que le nombre élevé de phénomènes mystérieux observés dans les Appalaches, une chaîne montagneuse s’étirant sur plus 3 200 km, de Terre-Neuve (Canada) au nord de l’Alabama (États-Unis), s’expliquerait par son âge géologique.

« Quel âge ont ces montagnes ? », allez-vous me demander. Elles sont plus vieilles que les anneaux de Saturne, que la couche d’ozone ou que les organismes qui se reproduisent par voie sexuée. Elles sont suffisamment vieilles pour avoir connu les journées de moins de 24 heures sur Terre. Ces roches se sont formées il y a près de 1,2 milliard d’années, lorsque tous les continents ne faisaient qu’un.

« Il y a environ 750 millions d’années, ce supercontinent a commencé à s’allonger et à se disloquer comme des Carambar chauds en raison de l’expansion de la croûte continentale. » C’est en ces termes éloquents que Sandra H.B. Clark, chercheuse en géologie pour l’U.S. Geological Survey, a décrit la formation des montagnes Appalaches du Sud. Une fois le continent démembré, un bassin profond s’étalant de la Caroline du Nord et du Sud jusqu’en Géorgie s’est rempli d’eau de mer. Le reste de la chaîne montagneuse a dérivé pour devenir les Highlands écossaises.

Au cours des millions d’années qui ont suivi, les sédiments se sont accumulés au fond du bassin sous l’action des rivières tandis que les éruptions des volcans proches se succédaient. Les continents ont ensuite décidé de changer de cap : ils sont alors entrés en collision et se sont chevauchés les uns les autres, provoquant des tremblements de terre et des éruptions de roche en fusion. L’intensité et le caractère imprévisible de ces évènements ont permis de façonner une chaîne montagneuse incroyablement unique, dont la topographie ne permet pas l’agriculture, mais soutient une diversité écologique sans pareille.

 

UN ÉCOSYSTÈME FOURMILLANT DE VIE

Selon Elizabeth A. Byers, écologue spécialiste des Appalaches, cette topographie « crée une multitude de niches écologiques à l’élévation, la déclivité, l’orientation, aux températures et aux chutes de précipitations différentes. Ces niches se sont lentement peuplées d’espèces particulièrement adaptées à leurs environnements ».

Dans certaines zones, les espèces ont eu des dizaines de millions d’années pour migrer et se spécialiser, et elles « occupent donc complètement chaque niche écologique ».

L’écologue, qui est également scientifique en chef pour Appalachian Ecology, un cabinet de conseil en environnement, raconte qu’il est possible de « marcher dans les bois et les zones humides et de trouver des espèces inhabituelles d’une beauté rare ou incroyablement fascinantes. Qu’il y a-t-il de plus formidable que de tomber sur une droséra à feuilles rondes carnivore, dont les tentacules rouges sont recouverts d’un nectar collant ? Ou de trouver les petits trous creusés la veille au soir par un grand polatouche descendant d’un arbre pour manger de fausses truffes ? »

Si les légendes surnaturelles sont monnaie courante dans la région, ce n’est pas uniquement en raison de l’âge des montagnes ; c’est aussi parce qu’elles sont incroyablement préservées. Les Appalaches étant en grande partie inhabitées par les hommes, la biodiversité ancienne subsiste encore largement, explique Elizabeth A. Byers. « Parmi les sublimes habitats qui existent encore figurent les forêts sombres et brumeuses d’épicéas rouges, les forêts de chênes, les marécages aux érables argentés bordant les principaux cours d’eau et les marais de linaigrettes sur les hauts plateaux ».

Des monstres vivraient-ils parmi les espèces anciennes qui peuplent toujours ces niches écologiques ? L’imaginer est amusant et il est souvent assez facile de le faire. Ces montagnes sont, en raison de leur âge, le terreau idéal pour toutes sortes de frayeurs, reconnaît Ursula Vernon, autrice à succès basée en Caroline du Nord qui écrit sous le pseudonyme T. Kingfisher et dont les romans d’horreur qui vous donnent la chair de poule se déroulent principalement dans les Appalaches.

« Les montagnes sont érodées, sinueuses. Elles regorgent de vallons sombres et de sillons profonds dans la terre », souligne l’autrice. « Par endroit, leur âge est assez oppressant ».

Le nombre de légendes est étroitement lié au caractère sauvage des lieux, qui surpasse ce que la plupart d’entre nous connaissent. Dans les Appalaches, « il est facile d’être intimidé par la grandeur de la nature en raison de l’omniprésence du paysage naturel », confie Carl Lindahl, folkloriste de renom qui enseigne à l’université de Houston.

Il évoque les travaux du psychiatre Robert Coles, lauréat du prix Pulitzer, dans lesquels il a demandé à des enfants de dessiner leur maison : « Chez ceux habitant dans les Appalaches, et uniquement chez eux, la maison était le paysage naturel », raconte Carl Lindahl. Les enfants dessinaient des maisons « éclipsées par la nature ». Certains d’entre eux ne dessinaient que les montagnes et les forêts, ce qui témoigne de l’importance de la nature dans les Appalaches.

« Il y a quelque chose dans ce paysage qui vous rend humble et sous-entend qu’il existe quelque chose de bien plus grand que nous et que cette chose est incroyablement puissante », poursuit le folkloriste. « La nature est une porte sur le surnaturel. Sans la nature, le surnaturel n’existe pas ».

 

LÉGENDES DES MONTAGNES

Pendant longtemps, les mythes et les légendes ont été une manière d’expliquer l’inexplicable dans le monde naturel. Les lieux sont devenus des éléments de création de cadres surnaturels une fois imprégnés de légendes. En Islande, de tels lieux sont appelés álagablettir, que l’on peut traduire par « lieux enchantés » en français.

Alors que le concept de langage n’existait pas lorsque les Appalaches se sont formées, ces montagnes sont au centre de nombreux récits depuis qu’il y a une présence humaine. La chaîne montagneuse abrite notamment la pierre de Judaculla, un rocher en stéatite de 22 m² recouvert de plus de 1 500 pétroglyphes, dont les plus anciens ont environ 4 000 ans. Dans la mythologie cherokee, la région dans laquelle se trouve la pierre est le domaine du seigneur du jeu, un géant qui hante les lieux pour les protéger de la chasse excessive.

Comme l’illustre cette légende, les histoires ne se contentent pas de nous faire peur ; elles ont parfois une finalité plus profonde. Leslie J. Anderson, poète et autrice d’horreur vivant dans l’Ohio et coanimatrice du podcast The Cryptonaturalist qu’elle présente avec son mari Jarod, pense que les histoires effrayantes sont une excellente façon d’avoir l’attention des gens pour les avertir d’un danger.

« Je ne veux pas dire à mon petit dernier qu’il ne peut pas jouer près de la falaise parce qu’il pourrait tomber et mourir. Mais nous pouvons nous amuser en lui racontant que des gremlins lui mordront les orteils s’il s’approche trop près du bord », plaisante-t-elle. « Nous avons tendance à oublier à quel point les forêts, les falaises et les marécages sont dangereux ».

Selon elle, dire « Fais attention au loup-garou » a plus d’impact que « Sois prudent ».

Il se peut aussi que nous ayons attribué autant de légendes aux Appalaches pour la simple et bonne raison que ces montagnes ont assisté au développement de la plupart des formes de vie sur Terre. Les ombres et le bruissement des forêts alimentent naturellement la peur, en particulier chez ceux qui n’y sont pas habitués. Pour les connaisseurs des lieux en revanche, les montagnes inspirent tout autre chose.

« Les Appalaches, avec leurs innombrables vallons, leurs pentes à la végétation dense, leurs sources qui jaillissent de nulle part pour mieux disparaître, forment un paysage bien mystérieux. C’est un lieu que le Diable peut arpenter, où vous pouvez vous égarer en suivant d’étranges lumières, où vous pouvez croiser quelque chose qui ressemble à un cerf, mais qui ne se déplace pas comme tel », explique Ursula Vernon. « Ces montagnes alimentent la peur. Mais les gens doivent bien y vivre, alors nous avons des histoires qui vous expliquent comment agir si vous croisez le Diable ou le Not-deer (cryptide ressemblant à un cerf) ou qui vous mettent en garde contre ce qui vous arrivera si vous ne faites pas bien les choses. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’une source d’inspiration intarissable pour les conteurs ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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