Une faille juridique a permis aux femmes du New Jersey de voter un siècle avant le droit de vote
En 1797, la « faction des jupons » se présenta pour voter, et put effectivement le faire grâce à une faille technique. Cette action poussa les législateurs à tout mettre en œuvre pour interdire le vote aux femmes.

Cette illustration de Howard Pyle réalisée en 1880 pour Harper’s Weekly est intitulée « Les femmes aux urnes dans le New Jersey au bon vieux temps ». La scène évoque la période de 1797 à 1807, lorsque les femmes du New Jersey étaient autorisées à voter.
Le 10 octobre 1797, les journaux nord-américains rapportèrent les résultats de ce qui aurait pu être considéré comme une élection ordinaire dans le New Jersey, à une exception près : des femmes avaient voté aux côtés des hommes.
« Dans le comté d’Essex », écrivait le New London Bee, « trois candidats à la législature de l’État du New Jersey ont été élus malgré une violente opposition des deux sexes. À Elizabethtown, les dames fédéralistes, jeunes filles comme matrones, partisanes de la démocrate [Mary] Wollstonecraft et de son essai Défense des droits de la femme, sont sorties soutenir leur candidate et soixante-quinze d'entre elles ont déposé un bulletin dans l'urne. »
De fait, aux États-Unis, les femmes pouvaient voter, mais seulement dans certains endroits et pendant un certain temps, bien avant la ratification, en 1920, du 19ᵉ amendement à la Constitution des États-Unis, qui ouvrit le droit de vote aux femmes au niveau fédéral. Il en allait de même pour les personnes de couleur, dans certains lieux, à certaines époques, bien avant l’adoption du 15ᵉ amendement en 1870. Dans un premier temps, chaque État établissait ses propres lois électorales, avec un ensemble changeant d’exigences liées au lieu de résidence, à la couleur de la peau, au genre, à l’état civil, à la propriété, à la religion, et plus encore. Si vous étiez un homme blanc, riche, protestant et citoyen, vous aviez pratiquement la garantie de pouvoir voter partout. Mais pour les autres, les règles étaient fluctuentes.
Entre 1776 et 1789, par exemple, seuls trois États, la Virginie, la Caroline du Sud et la Géorgie, exigeaient que les électeurs soient blancs. Quatre autres - le Connecticut, le Delaware, le New Jersey et le Rhode Island - ne précisaient pas le genre des votants. En 1789, un cinquième, la Géorgie, les rejoignit. Cependant, il semble que ces règles ne précisaient pas le genre simplement parce que leurs rédacteurs supposaient que tous les électeurs seraient des hommes. À notre connaissance, les femmes ne votèrent pas dans ces États.
Puis, en 1790, le New Jersey apporta un petit mais radical changement aux pronoms employés dans sa constitution : on pouvait y lire que « nul individu ne pourra voter dans un autre canton ou district que celui où il ou elle réside effectivement au moment de l’élection ». L’État reconnut ainsi, intentionnellement et explicitement, le droit de vote des femmes.
LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS
Un obstacle demeurait. Presque tous les États du pays au 18ᵉ siècle exigeaient que les électeurs soient propriétaires ou s'acquittent d’impôts. Cette condition excluait presque toutes les femmes, même dans les États qui ne leur interdisaient pas explicitement de voter, car à cette époque, la plupart des femmes mariées ne pouvaient pas posséder de biens à leur nom. Presque tout ce qu’elles apportaient à leur mariage devenait la propriété de leur époux.
En 1797, une légère révision de la formulation des règles prévalant dans le New Jersey concernant les droits de propriété ouvrit cette porte : les propriétaires n’avaient plus besoin d’une « propriété franche » (clear estate), c’est-à-dire d’une possession entièrement reconnue, exigence qui avait jusque-là exclu de nombreuses épouses et veuves. Cette année-là, des femmes du New Jersey se rendirent aux urnes (leur nombre exact est difficile à déterminer), y compris lors des élections des grands électeurs. L’année suivante, les femmes se mobilisèrent à nouveau pour tenter (sans succès) d’empêcher l’élection d’un candidat républicain. Les journaux les ridiculisèrent, et ils le firent même en vers : « Bien que renforcées par la bande des jupons, La véritable vaillance républicaine, elles ne purent lui résister, Et de leurs désastres nous chanterons triomphants, Car la faction des jupons est une chose dangereuse. »
À mesure que la vie politique devenait plus polarisée dans la jeune démocratie américaine, les décideurs politiques cherchèrent à façonner le corps électoral à leur avantage, une pratique qui perdure encore aujourd’hui. En 1807, le New Jersey révisa sa constitution pour restreindre le vote aux contribuables blancs de sexe masculin. Ce jour-là, les femmes cessèrent de voter partout aux États-Unis. Elles allaient devoir mener une longue lutte pour reconquérir ce droit, une lutte qui ne fut finalement remportée qu’au 20ᵉ siècle, en 1920.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
