Extraordinaire : plonger sous une pyramide

Moins connues que celles d'Égypte, les pyramides du Soudan renferment pourtant des sites funéraires royaux que les archéologues peuvent encore atteindre et explorer… du moins si la plongée sous-marine ne leur fait pas peur.

De NICHOLE SOBECKI
Photographies de Nichole Sobecki
Publication 10 juin 2022, 18:48 CEST
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Creasman utilise des techniques innovantes d'archéologie sous-marine pour sauver des pans de l'histoire de Nouri qui, autrement, auraient été perdus lorsque les eaux du Nil submergèrent certaines parties de la nécropole.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Chaque pas dans le passage rocheux me rapprochait de ce que j’avais longtemps imaginé : le bassin d’eau kaki, le tunnel inondé qu’elle cachait, et le moment où je devrais pénétrer dans cette obscurité. Au-dessus de moi, la splendeur croulante d’une pyramide.

Ici, dans la nécropole antique de Nouri, dans le désert du nord du Soudan, les rois koushites reposaient depuis des millénaires dans une série de chambres funéraires souterraines, sous d’imposantes pyramides. Les chambres étaient inondées par les eaux souterraines provenant du Nil, non loin de là. L’archéologue Pearce Paul Creasman, financé en partie par une subvention de la National Geographic Society, dirigeait une équipe qui serait la première à tenter de faire de l’archéologie sous-marine sous une pyramide. Au départ, j’étais calme, j’avais même hâte d’aller photographier cette mission ambitieuse et risquée, en 2020. Mais alors que je m’enfonçais sous terre, mon cœur s’emballait et je pouvais à peine respirer.

Le Soleil perce l'horizon dans cette vue du cimetière royal de Nouri. Sa caractéristique la plus marquante est un arc de près de vingt pyramides qui semblent reliées les unes aux autres comme des pierres précieuses sur un collier.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Ce n’était pas la première fois que je connaissais une angoisse existentielle. Il y a neuf ans, accroupie dans un tuyau de drainage en Libye, alors que des mitrailleuses à bande visaient le sol au-dessus de ma tête. Il y a sept ans, attaquée par des terroristes d’Al Shabaab dans un centre commercial de Nairobi alors que de la musique pop jouait en fond. Il y a quatre ans, sur une plage anarchique en Somalie. Ici, aucun ennemi extérieur ne m’attaquait, mais une voix dans mon propre esprit me criait : « Ne descends pas ».

Creasman et le maître plongeur Justin Schneider voyaient mon inquiétude. « J’ai besoin d’un moment », dis-je. Tenant fermement mon appareil photo, une ceinture lestée en bandoulière sur ma poitrine, je pris une bouffée de mon détendeur et je plongeai sous l’eau, les jambes croisées. Respirer. Il suffit de respirer.

En remontant à la surface, je fis un signe de tête à mes compagnons : j’étais prête. Nous descendîmes, et nous nous engouffrâmes dans une chute étroite pour atteindre l’obscurité déconcertante des profondeurs.

L'archéologue Pearce Paul Creasman se prépare à entrer dans une tombe inondée de la nécropole de Nouri, au Soudan.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Toutes les cultures du monde ont leurs traditions funéraires, destinées à faciliter le passage des êtres chers dans leur prochaine vie, et à apaiser ceux qui restent dans celle-ci. Dans cette tombe vieille de 2 300 ans reposait Nastasen, un roi qui dirigea Koush pendant environ deux décennies. Avant lui, plusieurs rois koushites, connus sous le nom de pharaons noirs, devinrent si puissants qu’ils régnèrent sur toute la Nubie et l’Égypte. Nastasen fut le dernier d’entre eux à être enterré à Nouri, avant que les menaces de ses rivaux n’obligent les Koush à déplacer leur capitale vers le sud. Ils laissèrent derrière eux des temples extraordinaires, des pyramides… et leurs pharaons enterrés.

Des ouvriers dégagent les décombres de la pyramide vieille de 2 300 ans qui marque la tombe de Nastasen, qui régna sur Koush pendant environ deux décennies et qui fut le dernier roi enterré sur le site de Nouri.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Fouiller Nouri, avec ses trésors cachés sous la surface, était un défi particulièrement redoutable. Il y a un siècle, George Reisner, égyptologue à Harvard, s’y rendit pour explorer, entre autres, la chambre funéraire du roi Taharqa qui régna sur toute l’Égypte au 7e siècle avant notre ère, et qui fut même mentionné dans l’Ancien Testament pour avoir rallié ses troupes à la défense de Jérusalem.

La plupart des autres tombes de Nouri, cependant, restèrent inexplorées. Les eaux prirent de la hauteur, sous l’influence du changement climatique, des besoins agricoles croissants de la région et des barrages modernes qui transforment le Nil.

Depuis le début du travail de Creasman, le Soudan connut un coup d’État, une pandémie mondiale, des inondations record et une révolution en 2019. Lorsque les manifestants renversèrent la dictature d’Omar el-Bechir, qui durait depuis trente ans et dont le gouvernement avait tenté d’effacer l’histoire préislamique du pays, ils scandèrent les noms des monarques de Nubie : « Mon grand-père est Taharqa, ma grand-mère est une kandaka (reine) ! ». Bechir est désormais jugé devant la Cour pénale internationale. Dans les rues, les manifestants dénoncent les militaires qui prirent le pouvoir et sabotèrent la transition du Soudan vers la démocratie. L’histoire longtemps submergée commence à remonter à la surface.

L'archéologue Gretchen Emma Zoeller fouille le site funéraire d'une femme adulte à Nouri, une ancienne nécropole qui s'étend sur plus de 70 hectares de désert près de la rive est du Nil, dans le nord du Soudan.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Je nageais à travers un canal sombre dans les chambres de la tombe. Des nuages de sédiments obstruaient toute visibilité et, malgré le petit espace, il était incroyablement facile de se perdre et de se retrouver à tourner en rond. Une main s’empara de la mienne, et nous sortîmes dans la deuxième chambre, où le plafond effondré avait créé une poche d’air bienvenue. Sous la lumière des lampes de poche, le travail commença.

L’équipe de Creasman dut développer de nouvelles techniques, souvent à la volée, pour découvrir les secrets de ce royaume méconnu. L’archéologie sous-marine est aujourd’hui un domaine spécialisé mais, à ses débuts, les compétences et les outils étaient adaptés à partir de ceux des sauveteurs d’épaves, et avaient rarement été utilisés dans un espace aussi restreint.

Il n’y avait pas de place non plus pour des bouteilles de plongée encombrantes. Nous respirions à travers des tuyaux jaunes qui venaient de là par où nous étions rentrés, nous reliant à l’air du dessus. Le risque d’un effondrement n’était pas à ignorer, mais l’entrée était renforcée par 15 mètres de poutres en acier, et on ne parlait pas beaucoup du risque. Les membres de l’équipe cherchaient tout ce qui présentait un quelconque intérêt : feuilles d’or, figurines, poteries, et notaient leurs découvertes à l’aide de tableaux et de marqueurs imperméables. Un mince cordon reliait la troisième et dernière chambre funéraire au monde du dessus ; c’était notre guide dans l’obscurité.

Un rythme s’installa. Creasman descendit dans la dernière chambre, qui contenait ce qui aurait pu être le sarcophage non ouvert de Nastasen. Quelques minutes plus tard, il revint avec un seau rempli, qu’il porta à l’extérieur pour que les membres de l’équipe puissent examiner et trier son contenu.

Gauche: Supérieur:

Creasman et le maître de plongée Justin Schneider plongent pour explorer les chambres funéraires de Nouri, aujourd'hui submergées en raison du changement climatique, de l'activité agricole et de la construction de barrages.

Droite: Fond:

Les découvertes faites dans la nécropole inondée comprennent des ouchebtis, des statuettes funéraires destinées à servir le roi dans l'au-delà.

Photographies de Nichole Sobecki

Après environ une heure de cette routine, Creasman se rendit dans la deuxième chambre, prit une inspiration et cria « Ouchebti ! ». Il souleva tendrement la statuette funéraire pour que nous puissions tous et toutes la voir. En la regardant dans sa paume, je me rendis compte que ma respiration était redevenue normale et que mon esprit s’était éclairci. L’homme sculpté était brisé en deux, mais gardait son expression digne et dévouée. Il semblait prêt à accomplir sa destinée. Il y a des milliers d’années, un laps de temps si long qu’il est difficile à concevoir, on croyait que ces personnages prenaient vie pour servir leurs maîtres dans l’au-delà. Maintenant, j’étais là, avec eux, dans le monde souterrain. Ma peur s’envola, et l’admiration m’envahit.

Dans le cadre de mon travail, quelques occasions comme celle-ci se sont présentées à moi : celles de vivre une merveille antique que la plupart des gens ne connaîtront jamais, et de la photographier pour que le monde entier puisse la découvrir. Je me concentrai sur l’ouchebti humide et scintillant ; l’obturateur de l’appareil photo clignota, et rendit l’éphémère permanent.

Les casques portés par Creasman et Schneider sont mis à sécher au soleil après une journée de plongée dans des sites funéraires royaux.

PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

Nastasen reposait ici, dans l’obscurité, depuis deux millénaires, accompagné de centaines de petits gardiens. Je n’allais pas tarder à retourner au monde de la surface, avec ses cieux incroyablement bleus. Mais pas tout de suite. D’abord, je pris une photographie après l’autre, figeant cet endroit dans le temps et m’efforçant de me souvenir des choses que je ne pouvais pas capturer.

Nichole Sobecki est une photographe, réalisatrice et exploratrice National Geographic établie à Nairobi, au Kenya. Cliquez ici pour en savoir plus sur le soutien que la National Geographic Society apporte à ses explorateurs.

Cette histoire apparaît dans le numéro de juillet 2022 du magazine National Geographic.

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