Deux siècles plus tard, on ignore encore comment Jane Austen est morte

Fièvre, fatigue et dépigmentation de la peau ; les médecins modernes essayent encore de comprendre les symptômes qui ont conduit à la mort de la célèbre écrivaine à l'âge de quarante-et-un ans.

De Parissa DJangi
Publication 20 juil. 2025, 10:29 CEST
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Ce portrait de Jane Austen a été peint selon les esquisses à l’aquarelle de sa sœur. Il s’agit du seul portrait authentifié de l’écrivaine. Même 250 ans après sa naissance, sa mort reste un mystère médical que les experts tentent de résoudre depuis des générations.

PHOTOGRAPHIE DE Stefano Bianchetti, Bridgeman Images

Au jour de sa mort, le 18 juillet 1817, Jane Austen laisse derrière elle six romans complets et l’un des célèbres mystères médicaux non résolus.

Personne ne sait avec certitude ce qui a causé sa mort. À la fin de sa vie, Austen a souffert de curieux symptômes allant de fièvre récurrente à la fatigue, de problèmes d’estomac à la dépigmentation de sa peau.

Ce mystère, encore tenace, a attisé la curiosité des experts et des limiers du dimanche, qui ont tous proposé une explication médicale aux symptômes qui l’affligeaient et qui ont fini par lui coûter la vie. Cancer et empoisonnement accidentel figurent sur la liste des suspects.

Ce diagnostic posthume de Jane Austen s’inscrit dans une grande tradition de diagnostics rétrospectifs, cette pratique qui consiste à appliquer les connaissances modernes de la médecine pour diagnostiquer un cas du passé.

 

CE QUE NOUS SAVONS DE LA MALADIE DE JANE AUSTEN

Née le 16 décembre 1775, Jane Austen passe sa jeunesse et le début de sa vie d’adulte en bonne santé.

« Jane Austen était vigoureuse et active jusqu’aux épisodes de maladies qui l’ont frappée durant la dernière année de sa vie », explique Juliette Wells, professeure de littérature au sein de l’université Goucher College et co-organisatrice invitée de l’exposition A Lively Mind: Jane Austen at 250 au musée The Morgan Library. « Jusqu’à ce moment-là, elle explique dans ses lettres aimer danser, souvent durant des heures, et faire des longues balades dans la campagne anglaise. »

La santé de l’écrivaine commence à péricliter autour de son quarantième anniversaire, en 1816, alors qu’elle finissait d’écrire Persuasion. Ses symptômes, qui incluaient rhumatismes et fatigue, allaient et venaient. Elle y fait mention dans une série de lettres qui lui survécurent.

Le 23 mars 1817, Jane Austen décrivait sa peau à sa nièce, Fanny Knight, comme étant « noire et blanche et de toutes les mauvaises couleurs », et observait que « la maladie est une dangereuse indulgence à mon âge ».

Deux semaines plus tard, au cours d’une lettre adressée à son frère Charles, elle se plaignait d’avoir été « trop souffrante lors des deux dernières soirées pour écrire quoi que ce soit qui ne fût pas absolument nécessaire ». Elle souffrait « d’une forte fièvre accompagnée d’une attaque biliaire ».

C’est à cette époque que sa nièce, Caroline Austen, est venue lui rendre visite et a remarqué l’« altération » de l'état de santé de sa tante. « Elle était très pâle et parlait d’une voix faible et basse, et son apparence trahissait une faiblesse et de la souffrance. Mais on m’a dit qu’elle n’a jamais souffert d’intense douleur. »

« Jane a rédigé son testament à la fin du mois d’avril, plusieurs mois avant sa mort, suggérant une compréhension de la gravité de son état », remarque Devoney Looser, professeure d’anglais et titulaire de la chaire Regents au sein de l’université publique de l’État de l’Arizona, autrice du livre Wild for Austen: A Rebellious, Subversive, and Untamed Jane.

Le mois suivant, Jane Austen et sa sœur, Cassandra, ont déménagé à Winchester, en Angleterre, où l’écrivaine s'est mise en quête de soins médicaux pour traiter sa mystérieuse maladie. « Le traitement n’a pas fonctionné et Jane est morte […] dans les bras de Cassandra », indique Juliette Wells.

« J’ai perdu un trésor, une telle sœur, une telle amie ne saurait être égalée », écrit Cassandra deux jours après la mort de Jane Austen. « Elle était le soleil de ma vie, la source de tant de plaisirs, elle apaisait toutes les peines. »

Les lettres qui nous restent de Jane Austen, celles de ses amis et de sa famille, sont autant de sources d’informations pour comprendre les circonstances de sa mort. Mais ces lettres n’indiquent pas tout. À l’aube de la mort de sa sœur, Cassandra a détruit un grand nombre de ses lettres, une tentative probable de protéger son intimité et sa réputation. Ce faisant, elle a, sans le vouloir, ouvert la porte à toutes les spéculations.

 

MALADIE D’ADDISON OU LUPUS ?

Quelle est la cause de la mort de Jane Austen ? L’une des théories les plus répandues, proposée pour la première fois en 1964 par le chirurgien Zachary Cope, est que Jane Austen vivait avec la maladie d’Addison, un mal qui empêche les glandes surrénales de produire des hormones comme le cortisol.

Les symptômes de la maladie d’Addison peuvent provoquer des symptômes tels que la fatigue et un assombrissement de la peau, comme le décrit Jane Austen au cours de ses lettres. Mais cette théorie pose un problème. En 2021, Michael Sanders et Elizabeth Graham, consultants émérites de l’hôpital londonien de Saint Thomas, qui s’intéressent à l’histoire de la vie de Jane Austen, ont fait remarquer que la maladie d’Addison était typiquement causée par la tuberculose à l’époque où vivait l’écrivaine.

« Jane ne présentait aucun problème au thorax ou orthopédique qui pourrait suggérer une tuberculose. Et ses deux médecins, Curtis et Lyford, auraient reconnu ce diagnostic », écrivent-ils.

Ils ont, à la place, émis l'hypothèse d'une autre maladie auto-immune, le lupus, qui expliquerait les « rhumatismes, les lésions faciales, la fièvre et la fluctuation évidente des symptômes » de Jane Austen.

 

JANE AUSTEN EST-ELLE MORTE D’UN CANCER ?

D’autres personnes, comme la biographe Carol Shields, pensent que le cancer était « une cause très probable » de la mort de la romancière. Elle spécule que le cancer du sein aurait été une affliction courante dans la famille de Jane Austen.

Devoney Looser reconnaît que le cancer serait un « diagnostic plus plausible » car il était « commun » à l’époque.

Si Jane Austen avait un cancer, le risque de métastases aurait été élevé. « Le seul traitement à disposition pour le cancer, l’intervention chirurgicale, était très risqué en son temps », observe Devoney Looser. « Cela reposait sur la capacité à identifier et à extraire la tumeur, à un temps où les opérations elles-mêmes pouvaient tuer à cause du risque d’infection. »

D’autres théories mentionnent le lymphome de Hodgkin. Anette Upfal, spécialiste de Jane Austen, a étudié l’intégralité de l’historique médical de l’écrivaine et en a conclu qu’elle pourrait en avoir souffert plus tôt au cours de sa vie, remarquant qu’« elle était particulièrement sensible aux maladies infectieuses, et souffrait de conjonctivites chroniques qui affectaient sa capacité à écrire ».

 

JANE AUSTEN A-T-ELLE ÉTÉ ACCIDENTELLEMENT EMPOISONNÉE ?

En 2017, la British Library a soulevé de nouvelles questions quant à la santé de Jane Austen, en testant trois paires de lunettes qui lui auraient appartenues, et a découvert que les lunettes avaient différents niveaux de correction. Un optométriste consultant aurait examiné les résultats et déterminé qu’il était possible que Jane Austen ait développé une cataracte. Il a également émis la théorie que cette cataracte aurait été causée par « un empoisonnement accidentel à un métal lourd, comme de l’arsenic », qui était courant au 19e siècle.

Devoney Looser considère qu’il s’agit de « la dernière théorie crédible ». Les lunettes ont été « découvertes dans [un tiroir du] bureau où elle écrivait » mais « pourraient ne pas lui avoir appartenues ». Et bien que Jane Austen fût « décrite [comme] ayant une mauvaise vue », il peut y avoir plusieurs causes à ce problème, pas seulement liées à une cataracte causée par l’arsenic. « On peut voir que c’est un peu tiré par les cheveux, on passe de lunettes trouvées dans un bureau, à des problèmes de vue pour arriver à un empoisonnement à l’arsenic », relève Devoney Looser.

 

LA DIFFICULTÉ DE POSER UN DIAGNOSTIC POST-MORTEM

En plus d’avoir examiné d’anciennes lettres et possessions, les experts auraient également analysé des rapports médicaux et des notes des médecins de l’époque pour diagnostiquer les personnalités des siècles passés. Mais même ces diagnostics ne peuvent être pris pour argent comptant, remarque Mindy Schwartz, professeure de médecine de l’université de Chicago. « Ces textes, ce qu’ils mettent en avant, ce qu’ils taisent, montrent les biais du temps et les priorités des médecins au moment de leur rédaction. »

Ils sont également des témoins des ressources limitées de l’époque. Par exemple, les médecins du temps de Jane Austen auraient établi un diagnostic clinique, prenant en compte l’historique médical du patient et un examen physique. Mais ils n’auraient probablement pas abouti à un diagnostic définitif car un grand nombre de maladies causent des symptômes similaires.

« La microbiologie, les scanners de tomodensitométrie ou les analyses sanguines n’existaient pas [à l’époque de sa maladie]. Il aurait été complexe d’établir un diagnostic précis », explique Mindy Schwartz.

Osamu Muramoto, expert senior au sein du centre d’éthique de santé de l’université de médecine et de science de l’Oregon, fait également remarquer que « les êtres humains évoluent, les micro-organismes évoluent, les gènes évoluent. Alors comment pouvons-nous dire qu’une maladie X d’il y a 200 ans est la même qu’aujourd’hui ? »

Même si l’on est capables de diagnostiquer les causes de la mort de personnalités disparues de manière posthume, il se pose la question de savoir si l’on devrait le faire.

« Certains pourraient se dire qu’il s’agit là d’une invasion de la vie privée », explique Steven Joffe, professeur titulaire de la Chaire Art et Ilene en éthique médicale et politique de santé et chaire de ce département au sein de l’université de Pennsylvanie. « Selon moi, ces inquiétudes sur la vie privée diminuent avec le temps. »

Il ajoute cependant que les considérations éthiques devraient être des facteurs à prendre en compte lors de ce diagnostic posthume. Par exemple, toutes les maladies génétiques peuvent entraîner des conséquences sur la descendance encore en vie de la personne. Osamu Muramoto remarque également qu’il y a un risque d’établir des diagnostics qui pourraient nuire à la réputation de la personnalité, par exemple si sa mort est liée à une maladie sexuellement transmissible.

D’un autre côté, ces diagnostics posthumes peuvent aider à lever le tabou sur des maladies qui ont longtemps été stigmatisées. « Imaginons que l’on puisse apporter des preuves convaincantes qu’Abraham Lincoln était dépressif », théorise Steven Joffe. « Selon moi, ce serait assez déstigmatisant car cela montrerait que l’on peut souffrir de dépression même en étant l'une des personnes les plus influentes de l’histoire des États-Unis. »

Ces diagnostics peuvent également apporter un certain contexte à la vie et l'oeuvre d'une personnalité. Prenons le philosophe du 19e siècle, Friedrich Nietzsche, suggère Osamu Muramoto. « Il a passé presque dix ans dans un état de santé déplorable, souffrant de démence et de maladie mentale. » L’expert pense qu’une syphilis dans sa phase tertiaire avancée pourrait être un diagnostic possible, pensant que « cela expliquerait les tons paranoïaques de ses derniers écrits ».

Ce n’est apparemment pas le cas de Jane Austen. « Je ne dirais pas que ses romans reflètent son état de santé », avertit Devoney Looser. Elle ajoute cependant qu’au moment de l’intensification des symptômes de l’écrivaine, elle travaillait sur Sanditon, un roman inachevé qui « met en scène de nombreux hypocondriaques et charlatans ».

Nous pourrions ne jamais savoir de quoi est morte Jane Austen. Mais nous savons qu’elle était capable de caricaturer la maladie, explique Devoney Looser, « alors même que ses propres problèmes de santé s’aggravaient ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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