La plus ancienne lettre de réclamation au monde a près de 4 000 ans

Écrite dans la Mésopotamie du 18e siècle avant notre ère par un client insatisfait par la qualité de sa commande de cuivre, la tablette de plainte à Ea-nāṣir est considérée comme la plus ancienne lettre de réclamation de l'Histoire.

De Erin Blakemore
Publication 17 oct. 2023, 17:42 CEST

Cette tablette d'argile, qui porte des inscriptions cunéiformes vieilles de près de 4 000 ans, fut écrite par un client mécontent souhaitant faire part d'une réclamation à la suite de la livraison d'un cuivre de mauvaise qualité. Considérée comme la « plus ancienne lettre de réclamation au monde », elle fut découverte dans ce qui est aujourd'hui le sud de l'Irak, dans la maison d'un marchand de métaux qui, selon sa réputation de l'époque, était peu fiable : Ea-nāṣir.

PHOTOGRAPHIE DE The Trustees of the British Museum

Il y a environ 3 770 ans, un client mécontent nommé Nanni adressa une lettre de réclamation à un vendeur de cuivre peu scrupuleux, un Babylonien du nom d’Ea-nāṣir, à la suite d’une transaction qui ne s’était pas déroulée comme prévu.

Bien que cette situation fâcheuse ait eu lieu dans la cité antique d’Ur, dans l’actuel Irak, il y a plusieurs millénaires de cela, elle pourra parler aux consommateurs d’aujourd’hui. La plainte de Nanni s’est même vu attribuer le record du monde de la plus ancienne lettre de réclamation par le Guinness World Records, et les doléances, vieilles de quatre millénaires, ont ouvert la voie à la création de nombreux mèmes, bandes dessinées et comparaisons sur Internet.

Qui était Ea-nāṣir, et pourquoi la lettre de réclamation de Nanni continue-t-elle de faire écho à nos propres expériences des milliers d’années après sa rédaction ?

 

UN CLIENT MÉCONTENT

La fameuse tablette fut découverte à Ur il y a environ un siècle lors d’une expédition dirigée par le célèbre archéologue Leonard Woolley, qui permit de mettre au jour ce qui pourrait bien être la maison d’Ea-nāṣir, ainsi qu’une série de documents commerciaux enregistrés sous la forme d’inscriptions cunéiformes sur de petites tablettes d’argile. Datant de 1750 avant notre ère, la tablette de Nanni, désormais conservée dans les collections du British Museum, est écrite en akkadien, la langue parlée dans la Mésopotamie à cette époque.

La lettre, dictée par Nanni, reproche à Ea-nāṣir de lui avoir promis des « lingots de cuivre de haute qualité » et de ne pas avoir respecté le contrat. Selon lui, le marchand aurait envoyé du cuivre de mauvaise qualité, l’aurait traité, lui et son messager, avec mépris, et aurait tout de même pris son argent, probablement car Nanni lui devait « une (misérable) mina d’argent » – une mina équivalant à environ 5 grammes.

Lorsque son messager tenta de contester la qualité du cuivre auprès d’Ea-nāṣir, sa demande fut rejetée : « Si tu veux les prendre, prends-les », aurait répondu le marchand. « Si tu ne veux pas les prendre, va-t’en ! »

Dans sa plainte, Nanni se dit furieux de la mauvaise qualité du cuivre et du traitement inacceptable infligé à son assistant. « Je n’accepterai ici aucun cuivre de ta part qui ne soit pas de bonne qualité », conclut-il avec colère, selon un traducteur. « Je choisirai et prendrai les lingots individuellement dans ma propre cour, et j’exercerai contre toi mon droit de refus car tu m’as traité avec mépris. »

Selon une autre traduction, Nanni aurait donné un avertissement au marchand : « Parce que tu m’as méprisé, je te causerai des ennuis ! ».

 

LA MONDIALISATION AVANT L’HEURE

Pour des archéologues comme le professeur Lloyd Weeks, de l’Université de Nouvelle-Angleterre, qui étudie la production et l’échange de métaux dans le Proche-Orient ancien, cette lettre illustre à son échelle les réalités de l’économie de l’époque.

Le cuivre dont il est question dans la réclamation était destiné à être utilisé dans la fabrication d’objets de la vie quotidienne tels que des outils, des récipients et des couverts, et constituait donc une marchandise importante dans la Mésopotamie de l’âge du bronze. Située sur le golfe Persique, Ur était une puissante cité-État sumérienne ainsi qu’une plaque tournante d’un vaste réseau commercial. Toutefois, la cité ne disposait pas de quantités importantes de métaux, révèle Weeks, c’est pourquoi les commerçants devaient aller chercher le cuivre à plus de 1 000 kilomètres de là, à Dilmun, sur l’île aujourd’hui connue sous le nom de Bahreïn.

Pour se permettre ce voyage coûteux, les marchands se regroupaient pour financer l’achat de cuivre à l’étranger, chacun apportant un capital sous la forme d’autres marchandises comme l’argent et l’huile de sésame. Ces entreprises privées vendaient ensuite le cuivre, se partageaient les recettes et versaient la dîme et les taxes au palais, et peut-être même aux temples. Dans sa lettre, Nanni mentionne le paiement de 1 080 livres de cuivre au palais, indiquant que la royauté sumérienne exigeait bel et bien le paiement de telles dîmes.

Près de 4 000 ans plus tard, cette plainte demeure pertinente. Maintenue par des liens de classe, de réputation personnelle et de besoin mutuel, cette ancienne économie mondiale était étonnamment complexe, et ce à cause de marchands comme Ea-nāṣir et Nanni.

« Nous parlons souvent de la mondialisation comme s’il s’agissait d’un phénomène moderne », reprend Weeks. « En général, les archéologues et les historiens de l'économie estiment que l’âge du bronze est la première période dans laquelle ils peuvent étudier les effets de la mondialisation. À l’époque, celle-ci ne s’étendait peut-être pas à la planète entière, mais concernait tout de même de vastes régions de l’Eurasie. »

 

UNE MAUVAISE RÉPUTATION

En réalité, Nanni ne fut pas le seul client à se plaindre du marchand de cuivre. Le British Museum dispose d’encore plus de preuves des transactions malhonnêtes d’Ea-nāṣir dans le commerce de ce métal. Sur une autre tablette, un certain Imgur-Sin exhorte en effet Ea-nāṣir à « transférer du bon cuivre à Niga-Nanna… Donne-lui du bon cuivre, afin de ne pas me contrarier ! Ne sais-tu pas que je suis las ? ».

La mauvaise réputation de ses produits avait manifestement fait le tour d’Ur. Dans un autre message adressé à Ea-nāṣir, un commerçant du nom de Nar-am demande : « Donne [à Igmil-Sin, le messager de Nar-am] du très bon cuivre ! Espérons que la qualité du cuivre dont tu as la charge ne s’est pas dégradée. »

Compte tenu de la persistance du problème d’Ea-nāṣir en matière de service à la clientèle, il serait intéressant de connaître le point de vue de ce dernier. Fait remarquable : une note du marchand babylonien fut également retrouvée et, sans réelle surprise, cette dernière fait elle aussi référence à des problèmes liés à la vente du cuivre. Dans cette lettre, Ea-nāṣir demande à un homme nommé Šumum-libši et à un chaudronnier de ne pas s’emporter lorsque deux autres hommes viendront les trouver à la recherche du métal manquant à leur commande.

« Ne soyez pas critiques », conseille Ea-nāṣir. « N’ayez pas peur ! ».

D’excellents conseils de la part de l’escroc le plus célèbre de l’histoire du commerce du cuivre.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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