Irak : de magnifiques œuvres découvertes sur un site détruit par l'État islamique

Selon les archéologues, ces panneaux en reliefs découverts à Mossoul représenteraient des scènes historiques de l'époque à laquelle ils ont été taillés, sous le règne d'un souverain assyrien, il y a près de 2 600 ans.

De Kristin Romey
Publication 14 nov. 2022, 17:17 CET
Un membre d'une équipe archéologique irako-américaine retire doucement la saleté d'un panneau de pierre taillée, caché ...

Un membre d'une équipe archéologique irako-américaine retire doucement la saleté d'un panneau de pierre taillée, caché sous terre depuis près de 2 600 ans, à la porte Mashki du site antique de Ninive, près de l'actuelle Mossoul. Cette œuvre d'art remarquable fut probablement récupérée dans le palais du roi assyrien Sennachérib (qui régna de 705 à 681 avant notre ère) pour servir plus tard de matériau de construction pour la porte du palais. Les panneaux furent alors installés latéralement au mur, et toute décoration visible au-dessus du sol fut effacée.

PHOTOGRAPHIE DE Zaid Al-Obeidi, AFP, Getty

Une équipe d’archéologues irakiens et américains a creusé dans les ruines d’une porte historique détruite par l’État islamique, et y a découvert des œuvres d’art étonnantes cachées sous la terre depuis près de 2 600 ans.

Les sept panneaux de gypse proviendraient à l’origine du palais sud-ouest de Ninive, près de l’actuelle Mossoul, dans le nord de l’Irak, et remonteraient à l’époque de Sennachérib, roi d’Assyrie (705-681 avant notre ère). « Aucun d’entre nous ne s’y attendait », confie Ali al-Jabouri, doyen à la retraite du département d’archéologie de l’université de Mossoul, qui fait partie de l’équipe de fouilles.

Des reliefs similaires, découverts dans le palais de Sennachérib au milieu du 19e siècle et qui sont désormais conservés dans les collections du British Museum, représentent la campagne militaire du souverain assyrien contre le roi Ézéchias de Judée en 701. Selon Al-Jabouri, si les reliefs exposés au British Museum sont intouchables, il ne risque pas d’oublier le moment où il a posé la main sur cette nouvelle découverte.

Gauche: Supérieur:

Cette plaque représente un campement militaire assyrien, et le travail qui fut réalisé pour effacer la plupart des reliefs visibles au-dessus du sol.

Droite: Fond:

Un détail du coin inférieur droit de la plaque révèle un « étranger » portant une coiffure et une barbe, caractéristiques courantes dans les populations iraniennes de l'époque. Les personnages assyriens sont généralement représentés avec une barbe et des cheveux bouclés et longs.

Photographies de Michael Danti

Une plaque enterrée représente des archers assyriens ; le motif conique en arrière-plan indique que ces derniers se trouvent dans un environnement vallonné ou montagneux.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Danti

« Lorsque l’on découvre de telles choses et que l’on peut les toucher avec sa main, c’est tout bonnement formidable », a-t-il affirmé depuis Mossoul lors d’un entretien téléphonique avec National Geographic.

 

DES ŒUVRES D'ART « RÉVOLUTIONNAIRES »

Sennachérib compte parmi les dirigeants les plus célèbres de l’Empire néo-assyrien qui, à son apogée, s’étendait de l’actuel Irak jusqu’au Caucase et à l’Égypte. Sa campagne militaire de 701, relatée notamment sur les panneaux du British Museum, apparaît également dans des récits bibliques.

Le règne du roi est également considéré comme un moment charnière dans l’histoire de l’art : en effet, les artistes de Sennachérib se débarrassèrent des restrictions contraignantes de la tradition et adoptèrent une nouvelle approche radicale. Le souverain commanda des représentations artistiques à grande échelle de ses campagnes militaires sous forme de récits continus qui occupaient toute la surface, en accordant une attention particulière aux détails des paysages et des peuples de son vaste empire et des régions au-delà.

Les panneaux récemment découverts, dont l’un porte une inscription de Sennachérib, représentent des soldats et des camps militaires assyriens ainsi que des déportés ou prisonniers de guerre étrangers.

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    L'équipe de fouilles travaille à la porte Mashki, à Ninive. Lorsque les archéologues ont creusé sous le niveau du sol, les panneaux de pierre qui paraissaient vierges au-dessus du sol se sont révélés arborer des scènes richement détaillées.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Danti

    Une plaque représentant des soldats assyriens. Les reliefs furent enterrés pendant plus de 2 600 ans et survécurent au sac de Ninive en 612 avant notre ère, ainsi qu'à la destruction aux mains de l'État islamique au 21e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Danti

    Ces œuvres d’art anciennes survécurent à la fois au sac de Ninive par les Babyloniens et les Mèdes en 612 avant notre ère, et à la destruction causée par l’État islamique au 21e siècle. Malgré cela, les portions de reliefs sont si bien préservées qu’elles semblent avoir été taillées tout récemment, ce qui émerveille les archéologues.

    « Elles sont meilleures que celles du British Museum », affirme Michael Danti, professeur d’archéologie à l’université de Pennsylvanie et directeur du projet conjoint irako-américain. « Elles montrent vraiment le travail en haut-relief, les détails des sculptures de Sennachérib qui étaient révolutionnaires à l’époque. »

     

    UNE DÉCOUVERTE INATTENDUE

    Le site improbable de cette remarquable découverte a récemment fait l’objet de violentes destructions. Au cours d’une campagne de terreur à travers le nord de l’Irak et de la Syrie entre 2014 et 2017, l’État islamique a pris pour cible la ville antique de Ninive. À son apogée, vers 700 avant notre ère, cette dernière était la capitale de l’Empire néo-assyrien et la plus grande ville du monde. La citadelle de Ninive, qui abrite des palais construits par Sennachérib et son petit-fils Assurbanipal, était entourée d’un mur de plus de 11 kilomètres de long ponctué de dix-huit portes.

    La porte Mashki, qui se trouve à côté du fleuve Tigre, a été restaurée dans les années 1970 après avoir été reconnue comme un monument précieux de l’héritage antique des résidents de l’actuelle Mossoul. Elle a été détruite par l’État islamique en avril 2016.

    La porte Mashki après sa reconstruction en 1977. Elle a été rasée par l'État islamique en 2016.

    PHOTOGRAPHIE DE Vivienne Sharp, Heritage Images, Getty

    Le projet conjoint entre le programme de stabilisation du patrimoine irakien de l’Université de Pennsylvanie et le comité d’inspection de Ninive du Conseil d’État irakien des antiquités et du patrimoine, financé en partie par la Fondation ALIPH, a commencé à fouiller les ruines de la porte Mashki avant la reconstruction qui était prévue en avril de cette année. Ils ont rapidement découvert une porte scellée, qui n’aurait pas été touchée lors de la restauration des années 1970. Au-delà de cette dernière se trouvait un couloir dans lequel personne n’avait pénétré depuis 2 634 ans, lorsque la porte Mashki et l’ensemble du palais furent détruits lors du sac de Ninive, à la fin du 7e siècle avant notre ère.

    En creusant dans la couche laissée par la destruction, les archéologues ont trouvé les restes squelettiques des victimes du sac. C’est toutefois en creusant en profondeur le long d’un mur fait de panneaux de pierre ciselés qu’ils ont mis au jour quelque chose de plus intriguant encore. Sous le niveau du sol, sept panneaux qui paraissaient vides se sont révélés arborer des scènes taillées : de puissants soldats et archers assyriens, et des paysages montagneux luxuriants avec une végétation détaillée.

    Gauche: Supérieur:

    Les archers assyriens sont représentés dans un paysage montagneux.

    Droite: Fond:

    Les détails des scènes, tels que le bétail dans un campement militaire, aident les chercheurs à mieux comprendre comment les dirigeants assyriens organisaient et menaient leurs campagnes dans leur vaste empire.

    Photographies de Michael Danti

    Selon les chercheurs, ces panneaux auraient été récupérés dans le palais de Sennachérib et réutilisés comme matériaux de construction, potentiellement lors d’une rénovation de la porte Mashki par Sîn-shar-ishkun, l’arrière-petit-fils du roi. Les panneaux de 1,5 m sur 2 m environ furent placés latéralement contre les murs en briques de la porte, et tout relief visible au-dessus du sol fut ensuite effacé.

     

    L'HISTOIRE NE DISPARAÎT JAMAIS VRAIMENT

    C’est la première découverte significative de tels bas-reliefs de l’époque de Sennachérib depuis les fouilles du palais du sud-ouest au milieu du 19e siècle par Austen Henry Layard, dont la majorité des découvertes furent envoyées dans des musées européens. Ces panneaux, cependant, seront les premiers à rester en Irak.

    Ce dessin, qui représente peut-être des rois assyriens de profil, a été aperçu par les archéologues sur une partie vide d'un panneau exposé. Il fut probablement réalisé par un garde ou un passant qui s'ennuyait.

    PHOTOGRAPHIE DE Michael Danti

    Les chercheurs n’ont pas encore confirmé quels événements ou campagnes militaires spécifiques sont représentés sur ces morceaux d’Histoire, et ils continuent à fouiller la zone. Les fragments de décor trouvés dans la salle fourniront aux archéologues des informations supplémentaires pour reconstituer les scènes, tandis que les panneaux révèlent des détails sur les méthodes de recyclage et de réutilisation des matériaux de construction dans tout l’empire.

    Zainab Bahrani, professeure d’art et d’archéologie du Proche-Orient ancien à l’université de Columbia, a remarqué qu’un personnage taillé sur l’un des panneaux portait une coiffure et une barbe de style non assyrien, que les habitants de l’Iran portaient à l’époque ; cela suggère qu’il pourrait s’agir d’une autre campagne militaire plus tardive menée par Sennachérib dans les monts Zagros.

    « J’ai trouvé [la découverte] vraiment réconfortante parce que nous avions tellement perdu lors de l’attaque de l’État islamique », confie Bahrani, qui rappelle d’autres découvertes étonnantes réalisées sous l’ancien sanctuaire de Nabi Yunus à Mossoul, qui a également été détruit en 2014. « Le fait que ces choses ne puissent jamais être vraiment détruites apporte un certain réconfort. Elles trouveront toujours un moyen de réapparaître. »

    « La terre est pleine d’antiquités », ajoute-t-elle. « Elle est pleine de sites antiques. Et il est impossible d’effacer toute cette histoire. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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