Le conflit au Cachemire : tirs à l’aveugle

Blessé aux yeux par les tirs des fusils à plombs de la police indienne, un adolescent symbolise l ’âpre conflit qui se joue au cachemire.

De Rania Abouzeid
Photographies de Cédric Gerbehaye
Farzan Sheikh a été blessé à l’oeil gauche par un policier indien armé d’un fusil à ...
Farzan Sheikh a été blessé à l’oeil gauche par un policier indien armé d’un fusil à plombs, en mars 2017, quand il avait 16 ans. En août 2017, il a de nouveau reçu des tirs de plombs, qui l’ont rendu aveugle de l’oeil droit. « Il se déplace en faisant appel à ses souvenirs de la maison », explique Muzamil, sa mère.
PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

Farzan Sheikh était dans sa chambre, occupé à faire ses devoirs de mathématiques, quand il entendit du brouhaha à l’extérieur. On était en fin d’après-midi, le 28 mars 2017, et un cortège funéraire traversait son quartier à Srinagar, une ville dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde.

Mû par la curiosité, le garçon, alors âgé de 16 ans, descendit dans la rue, où il aperçut le cadavre enveloppé dans un linceul. Puis il entendit des slogans pro-Cachemire et vit des policiers indiens disperser la foule avec des gaz lacrymogènes et des fusils à plombs.

Farzan Sheikh s’apprête à mettre des gouttes dans son oeil gauche, qui pourrait retrouver une vision partielle si la famille a les moyens de payer de nouvelles interventions chirurgicales.
PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

« Un policier a pointé un fusil sur moi, et il m’a tiré dessus, raconte-t-il. C’est la dernière chose que j’ai vue. » Le collégien tomba au sol, l’œil gauche en sang ; le côté gauche de son abdomen, de son cou et de sa poitrine étaient criblés de plombs. Un inconnu sur un scooter l’emmena à toute vitesse à l’hôpital SMHS de Srinagar.

Farzan Sheikh ne pouvait plus voir de son oeil gauche. On lui avait tiré dessus avec une arme que l’ONG Amnesty International a demandé à l’Inde d’interdire. Chaque cartouche de fusil à plombs contient jusqu’à 630 fragments métalliques qui s’éparpillent au hasard.

Les forces de l’ordre indiennes emploient ces armes pour réprimer la contestation sans avoir recours à des moyens meurtriers, mais les plombs peuvent tout de même occasionner des blessures graves.

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    Les pères de ces jeunes filles – qui pensent que leurs hallucinations, leurs migraines et leurs évanouissements sont des symptomes liés à un stress post-traumatique – viennent chercher de l’aide auprès d’un guérisseur traditionnel.
    PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

    Les troubles au Cachemire sont au moins aussi anciens que les États modernes de l’Inde et du Pakistan, qui ont accédé à l’indépendance en 1947. Depuis lors, ces nations se sont fait la guerre à deux reprises pour le contrôle de cette région himalayenne à majorité musulmane, qu’elles revendiquent l’une et l’autre, mais qu’elles ont fini par se partager.

    La Chine en détient également une partie, équivalente à environ un cinquième de la région. Voilà plusieurs décennies que de nombreux habitants du Cachemire réclament l’indépendance, tandis que les autres souhaitent faire partie soit de l’Inde soit du Pakistan.

    Depuis 1989, une branche armée du mouvement séparatiste a intensifié le problème territorial. Le gouvernement indien considère ces individus comme des terroristes et réplique par l’envoi de soldats ou d’unités paramilitaires telles que la Force centrale de la police de réserve (CRPF).

     

    Un policier indien utilise un lance-pierre contre des manifestants. Le plus souvent, les forces de l’ordre se servent de fusils à plombs, qui peuvent blesser et mutiler de manière aléatoire.
    PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

    Entre 40 000 (selon les Indiens) et 95 000 personnes (selon les séparatistes) auraient déjà perdu la vie dans ce conflit. Au moins un millier de victimes de tirs de fusils à plombs ont été soignées pour des blessures oculaires à l’hôpital SMHS depuis le mois de juillet 2016, quand la mort d’un militant populaire dans un affrontement avec la police a fait descendre les habitants du Cachemire dans la rue.

    Bien que des manifestations relatives à divers problèmes aient lieu périodiquement un peu partout en Inde, la police indienne ne se sert de fusils à plombs qu’au Cachemire. La CRPF refuse de répondre aux questions sur le sujet.

    Des échauffourées éclatent à l’extérieur de Jama Masjid, la principale mosquée de Srinagar, située en plein centre-ville.
    PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

    Le 7 août 2017, Farzan Sheikh était devant chez lui, tard le soir, en train d’actionner un interrupteur afin d’éteindre un lampadaire éclairant directement sa chambre à l’étage. « Au moment où j’ai appuyé sur l’interrupteur, une voiture est arrivée », explique Farzan Sheikh.

    Le véhicule appartenait à la CRPF. Il n’entendit aucune sommation, seulement le sifflement de ce qui ressemblait à une balle, amplifié par le silence de la nuit.

    À Srinagar, des manifestants cessent, l’espace d’un instant, de jeter des pierres sur les policiers.
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    « Quand j’ai ouvert les yeux, c’était l’obscurité totale, poursuit l’adolescent, qui avait cette fois été atteint à l’oeil droit par un tir de fusil à plombs. J’ai surmonté l’accident du premier oeil, mais, quand c’est arrivé à mon autre oeil, j’ai totalement perdu espoir. »

    En dépit des multiples interventions chirurgicales, les médecins disent que Farzan Sheikh ne récupérera pas la vision de son oeil droit. Il a été opéré quatre fois de l’oeil gauche, et l’on pense qu’avec plus de temps et d’interventions, il pourrait retrouver de 40 % à 50 % de la vision de cet organe.

    Des femmes pleurent la mort d’un jeune homme. Le conflit a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.
    PHOTOGRAPHIE DE Cédric Gerbehaye

    « J’ai perdu mes yeux pour rien, confie Farzan Sheikh. Je suis en colère... en colère contre tout le monde. » S’il retrouve en partie la vue, il dit qu’il prendra un fusil et rejoindra l’insurrection. « Mon ennemi n’est pas un individu précis, explique-t-il. Ce sont les forces de l’ordre en général. »

     

    Ce reportage a été publié dans le magazine National Geographic n° 225, daté de juin 2018.

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