Le mystère des reliques de Saint-Valentin

À l’occasion de la Saint-Valentin, les reliques du saint patron des amoureux, dispersées dans toute l’Europe après sa mort, font l’objet de cultes. Or, on ne sait pas où il a vraiment été enterré.

De Ronan O’Connell
Publication 11 févr. 2022, 15:24 CET
Saint Valentine's Skull

Mythes et mystères entourent Saint-Valentin, martyr catholique du 3e siècle qui aurait été exécuté un 14 février. Son véritable crâne serait exposé à la basilique Santa Maria in Cosmedin, à Rome, lieu sacré parmi tant d’autres qui prétendent être en possession de ses reliques.

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Chaque 14 février, des millions de personnes participent à la plus grande fête de l’amour de la planète. Elles s’offrent boîtes de chocolats, dîners aux chandelles et autres marques d’affection. Mais le vernis rose de la Saint-Valentin dissimule une mystérieuse (et atroce) histoire de décapitation et de démembrement.

Saint-Valentin, martyr catholique du 3e siècle, a été décapité un 14 février, vraisemblablement pour avoir transgressé l’interdiction romaine de célébrer des mariages. Une église dublinoise affirme aujourd’hui être en possession de son cœur ; son crâne serait exposé dans une basilique de Rome ; son squelette reposerait dans une confrérie de Glasgow ; une basilique de Prague attire les visiteurs avec ce qui serait son épaule ; et ses restes seraient protégés sous verre dans une église madrilène.

Des visiteurs se recueillent devant la châsse qui contiendrait les reliques de Saint-Valentin, à l’église de Whitefriar Street, à Dublin.

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Enfin, il y a la ville italienne de Terni, où Saint-Valentin serait né. C’est là que se trouve la basilique di San Valentino, qui aurait été à l’origine construite sur sa sépulture et où ses reliques attirent de nombreux croyants. En tout et pour tout, une dizaine d’églises catholiques d’Europe tirent profit des restes de ce saint célèbre.

Or, personne ne peut dire avec certitude où se trouvent vraiment ses reliques. Ce manque de consensus ne fait que souligner le mystère épais qui entoure Valentin. Son histoire est si trouble que, bien qu’il ait été sanctifié, on l’a exclu en 1969 du Calendrier romain général (qui arrête les fêtes des Saints) à cause du manque d’informations fiables sur sa vie.

 

QUI ÉTAIT SAINT VALENTIN ?

Sa légende mélange sans doute les vies de plusieurs saints hommes italiens portant le même prénom. Il est d’ailleurs probable qu’aucun d’eux ne soit à l’origine de la fête annuelle des amoureux. D’après Lisa Bitel, professeure de religion et d’Histoire à l’Université de Californie du Sud et éminente spécialiste de Saint-Valentin, les archives historiques révèlent qu’au 3e siècle, trois saints nommés Valentini sont morts un 14 février et hormis cela, on en sait très peu sur eux.

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    Cette gravure du 19e siècle donne une idée de ce à quoi pouvait ressembler Saint-Valentin, martyr catholique du 3e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE PHAS, Universal Images Group/Getty Images

    Un des Valentin est mort en Afrique. Un autre était prêtre et s’est fait décapiter par l’empereur Claude II le Gothique. Le dernier était évêque de Terni, près de Rome, et aurait également été décapité par Claude II. Mais il est invraisemblable que ces deux derniers Valentin aient subi le même sort ; selon Lisa Bitel, il s’agit probablement d’un incident unique dont la légende s’est ramifiée. Il n’existe pas de preuve permettant d’affirmer que ne serait-ce qu’un seul de ces trois saints ait été un prosélyte du charme romantique. À vrai dire, on a plutôt affaire à l’inverse : le 14 février était à l’origine une fête religieuse marquant l’exécution d’un Saint-Valentin, dont nous ignorons donc toujours l’identité.

    Selon Henry Kelly, professeur d’Histoire et de théologie à UCLA, ce n’est qu’un millénaire plus tard, sous la plume de l’Anglais Geoffrey Chaucer, qu’on verra pour la première fois la Saint-Valentin associée à l’amour. L’auteur de Chaucer and the Cult of St. Valentine l’affirme, ce sont bien les écrits du Britannique qui ont été à l’origine de l’incorporation d’une tradition romantique dans cette fête annuelle. D’après lui, un certain nombre d’histoires hautes en couleur qu’on associe aujourd’hui à Saint-Valentin étaient en fait « fictives ».

    L’église San Anton de Madrid fait partie des lieux de culte qui prétendent posséder des reliques de Saint-Valentin. Les ossements et le crâne exposés à l’intérieur de l’église ont été découverts dans les catacombes romaines à la fin du 18e siècle.

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    Étant donné ces équivoques, on comprend que tant de lieux prétendent être en possession des restes de Valentin. Lisa Bitel fait judicieusement remarquer que tout rapport avec un saint est grandement bénéfique pour les églises. « Plus le saint est connu, plus les pèlerins affluent pour venir le ou la vénérer, explique-t-elle. On a aisément pu récrire l’hagiographie d’un saint pour inclure sa présence à tel ou tel endroit. »

    Elle ajoute que bien qu’il soit invraisemblable que toutes les églises soient en possession de restes ayant appartenu à Valentin, il n’y a pas de compétition ou d’animosité entre celles-ci. D’ailleurs, c’est un sujet sur lequel l’Église garde le silence.

    « Le Vatican ne prend pas position sur les dépouilles, indique-t-elle. Le clergé laisse plus ou moins libre cours à l’acquisition et à l’exploitation de reliques sans trop de régulations. Cela a amené des clients dans les églises, des pèlerins dans les villes et de l’argent dans les caisses des églises. Des théologiens et d’autres personnes se sont montrés critiques dès le début vis-à-vis de ce commerce autour des reliques, à commencer par [Saint-]Augustin, quoique cela a peut-être même commencé avant. Les gens savaient que les marchands de reliques vendaient des faux. Mais ils croyaient également volontiers au fait que les saints avaient le pouvoir de donner des reliques en proportions miraculeuses, comme ça les églises pouvaient revendiquer la possession du corps d’un saint en particulier. »

     

    L’ÉTRANGE CAS DES RELIQUES DE SAINT-VALENTIN 

    Mais de nos jours, les restes de Saint-Valentin ont bien moins d’attrait. À Rome, des files de touristes font la queue tous les jours devant la basilique Santa Maria in Cosmedin, qui date du 6e siècle. À l’intérieur d’une boîte dorée, on y trouve un crâne orné d’une couronne de fleurs. Pourtant, ces hordes de visiteurs ne s’intéressent pas à cette relique de Saint-Valentin (ou bien ne la connaissent pas) et viennent plutôt pour enfoncer leurs doigts dans la Bocca della Verità, une célèbre bouche d’égout de l’époque romaine.

    À Rome, la basilique Santa Maria in Cosmedin est célèbre pour sa Bocca della Verità (la Bouche de la Vérité) mais abrite également une châsse en verre qui contiendrait, dit-on, le crâne de Saint-Valentin.

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    « Quand nous y allons, mes clients ne demandent pas si l’on va voir le corps de Saint-Valentin », confie Sara Verde, guide touristique à Rome. « Ils ne savent même pas que le corps de Saint-Valentin s’y trouve. »

    Les habitants de Rome non plus ne s’intéressent pas vraiment à cette relique. Ils doutent de son authenticité. « À Rome, nous croyons que ce crâne, qui continue d’être vénéré par les pèlerins, a appartenu à un autre martyr du nom de Valentin, précise-t-elle. Je suis allée à Terni pour voir le vrai corps de Saint-Valentin. »

    À titre de comparaison, à Glasgow, certains couples écossais organisent des rendez-vous romantiques auprès des reliques de Saint-Valentin à l’occasion du 14 février. Selon le père George Smulski de la confrérie des Duns Scotus, les os du martyr sont arrivés dans cette ville portuaire encore poussiéreuse à la fin des années 1870. Il s’agit d’un don d’une riche famille catholique française et ils reposent désormais sous verre dans un reliquaire raffiné dans l’atrium de la confrérie.

    « Chaque année, pour la Saint-Valentin, des visiteurs, principalement des couples, viennent voir la châsse, commente George Smulski. Certains viennent renouveler leurs vœux de mariage ou, mais ce n’est arrivé qu’une fois à notre connaissance, faire une demande en mariage à sa promise. »

    Le père John McGrath de la confrérie John Duns Scotus de Glasgow allume un cierge à côté d’un cercueil scellé avec du laiton qui contiendrait les restes de Saint-Valentin. Ses reliques font l’objet d’un conflit entre une église dublinoise et une église romaine. Elles clament toutes deux être la dernière demeure du saint.

    PHOTOGRAPHIE DE Jeff J. Mitchell UK, Reuters/Alamy Stock Photo

    Plus à l’ouest, par-delà les flots rugueux de la mer d’Irlande, Saint-Valentin est en compétition avec un autre saint célèbre. En effet, à Dublin, la majestueuse cathédrale du saint patron des Irlandais, Saint-Patrick, est un incontournable et attire des visiteurs toute l’année.

    Non loin de là, à l’intérieur de l’église plus quelconque de Whitefriar Street, Saint-Valentin repose dans un anonymat relatif. Sous une grande statue du saint se trouve un coffre en bois renfermant son cœur. Cet organe sacré a été rapporté de Rome en 1836 dans une « procession solennelle », selon l’écriteau présent dans l’église.

    Un couple qui vient de se fiancer fait bénir ses bagues à l’église de Whitefriar Street, à Dublin.

    PHOTOGRAPHIE DE Julien Behal, PA Images/Getty Images

    D’après Alan Byrne, guide touristique dublinois diplômé d’Histoire et ayant fait sa thèse sur l’Église catholique, les restes de Saint-Valentin sont bien connus des habitants mais sont absents des circuits touristiques de la ville. Le 14 février est selon lui le seul jour de l’année où des visiteurs viennent se recueillir sur ses reliques. « Les gens écrivent des messages d’amour et les laissent sur la châsse, explique-t-il. Les couples qui viennent de se fiancer viennent souvent y faire bénir leurs bagues ce jour-là ; de temps en temps on a même droit à une demande en mariage devant la châsse. »

    Malgré tout, les jeunes tourtereaux irlandais passent bien plus volontiers leur Saint-Valentin dans les lieux photogéniques de la capitale, qui font d’excellentes toiles de fond pour les photos qu’ils postent sur les réseaux sociaux. « Peut-être qu’on devrait créer un compte Instagram à Saint-Valentin pour que plus de personnes viennent visiter l’église », plaisante Alan Byrne.

    Voilà un trait d’humour irlandais qui recèle une part de vérité. Le 14 février, on est en effet bien plus susceptible de de poster un emoji romantique que d’aller voir en personne le cœur, le crâne ou l’épaule de l’homme saint que l’on fête.

    Ronan O’Connell est un journaliste et photographe australien qui vit entre l’Irlande, la Thaïlande et l’Australie-Occidentale.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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