Le visage de cette jeune inca congelée il y a 500 ans vient d'être reconstruit

Les restes momifiés de Juanita, la « Fille des glaces d’Ampato », victime d’un sacrifice, ont été remarquablement préservés. L’archéologie et la science lui ont même rendu son visage et son regard.

De Erin Blakemore
Publication 27 oct. 2023, 13:56 CEST

La Fille des glaces d’Ampato, âgée de quatorze ans, telle que reconstituée par l’archéologue et sculpteur Oscar Nilsson. Cette victime de sacrifice porte des robes fabriquées par des tisseuses traditionnelles contemporaines, une tenue semblable à celle qu’elle portait au sommet de la montagne lors de son dernier jour.

PHOTOGRAPHIE DE Dagmara Socha

Il y a plus de 500 ans, on escorta une fille de quatorze ans jusqu’au sommet d’une montagne des Andes et on la sacrifia aux dieux incas. Enterrée sur la même montagne avec une multitude d’offrandes, le corps de la jeune femme se momifia avec le temps, préservant ainsi ses cheveux, ses ongles et les robes colorées qu’elle portait ce jour-là. Mais à un moment donné, au fil des siècles, son visage fut exposé aux éléments et ses traits s’estompèrent petit à petit au gré des saisons de soleil et de neige.

Grâce à une analyse archéologique et à un travail de reconstitution médico-légal minutieux, ce visage perdu depuis longtemps a retrouvé ses traits. Le buste saisissant de la jeune femme, qu’on appelle aujourd’hui la « Fille des glaces d’Ampato », constitue la pièce maîtresse d’une nouvelle exposition présentée au Pérou et est l’objet d’un projet dont le but est de comprendre le drame du sacrifice humain perpétré dans les Andes il y a un demi-millénaire.

 

UNE OFFRANDE SACRIFICIELLE

Lorsque l’explorateur National Geographic Johan Reinhard est tombé sur la momie, qu’on surnomme également Juanita, au sommet de l’Ampato, à plus de 6 000 mètres d’altitude, lors d’une expédition menée en 1995, il savait qu’il venait de faire une découverte spectaculaire.

« À première vue on aurait dit un gros paquet de textiles », se souvient-il. Puis il a aperçu le visage flétri entre les plis du tissu. Il y avait là une jeune victime de la capacocha, un rituel inca à la signification insaisissable.

« À première vue on aurait dit un gros paquet de textiles », se souvient l’explorateur National Geographic Johan Reinhard au sujet de la momie découverte sur l’Ampato, au Pérou, en 1995. On voit ici Miguel Zárate, qui accompagnait Johan Reinhard lors de son ascension, au moment de la découverte.

PHOTOGRAPHIE DE J. Reinhard

La capacocha consistait principalement en un sacrifice d’enfants et d’animaux offerts aux dieux après des catastrophes naturelles pour consolider le pouvoir de l’État dans des provinces reculées de l’Empire inca ou simplement pour plaire aux dieux. Le rituel joua un rôle important dans le maintien de l’Empire inca et consistait en des festins et en des processions majestueuses pour accompagner les enfants, qui semblent avoir été choisis pour leur beauté et leur perfection physique. Selon les chercheurs, le fait d’être choisi pour un sacrifice était probablement considéré comme un grand honneur par la famille et par l’entourage de l’enfant.

Toutefois, comme le fait observer Dagmara Socha, archéologue du Centre d’études andines de l’Université de Varsovie, spécialiste du rituel et commanditaire de la reconstitution faciale de la Fille des glaces d’Ampato, la plupart des informations dont nous disposons sur la capacocha sont indirectes. « Aucun colon européen n’a jamais été témoin de la cérémonie », explique-t-elle. Malgré des archives historiques incomplètes, la découverte archéologique de plus d’une dizaine d’enfants incas à Ampato et sur d’autres montagnes de très haute altitude apporte des preuves solides concernant le déroulement de ces rituels.

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    Sonna Guillen, l’une des plus grandes spécialistes péruviennes des momies, photographie la Fille des glaces à l’Université catholique d’Arequipa, au Pérou, peu de temps après sa découverte.

    PHOTOGRAPHIE DE Stephen Álvarez, Nat Geo Image Collection

    Les méthodes de sacrifice variaient, peut-être à cause des coutumes propres au culte de certains dieux. Certains enfants furent enterrés vivants ou étranglés ; d’autres se firent arracher le cœur. La vie de la Fille des glaces prit fin par un coup brutal porté à l’arrière du crâne.

     

    À LA RECHERCHE DE LA FILLE DES GLACES

    Oscar Nilsson connaît intimement ce crâne : il a passé des mois avec une réplique de celui-ci dans son studio de Stockholm et a fabriqué une sculpture de cette fille de quatorze ans qui, vue de loin, semble presque en vie.

    Ainsi que l’explique cet archéologue et sculpteur suédois, il s’agit d’un processus en deux temps. Oscar Nilsson commence par s’immerger dans le monde de son sujet, il prête un œil d’archéologue aux détails et digère autant de données que possible pour se faire une idée de ce à quoi elle pouvait ressembler. 

    Le visage de la Fille des glaces a été reconstitué par Oscar Nilsson à l’aide d’une réplique en 3D de son crâne. Le processus a pris dix semaines.

    PHOTOGRAPHIE DE Oscar Nilsson

    Même en l’absence de visage momifié, il est capable d’extrapoler la profondeur probable du tissu facial qui recouvrait autrefois ces os grâce à une multitude d’outils (scanners, analyse d’ADN, informations sur l’alimentation et les maladies) qui lui permettent de déduire le visage d’un individu.

    Puis est venu le temps du travail manuel. Oscar Nilsson a imprimé une réplique en 3D du crâne de la Fille des glaces et a inséré des patères en bois à sa surface afin de guider la profondeur et le placement de chacun des muscles, faits à la main à partir d’argile modelable. Ajoutés un à un, ces yeux troublants, ces masséters, ce nez, ces tissus fragiles à la texture de corde forment un visage humain. 

    Après avoir réalisé un moule en silicone du buste, il a ajouté des centaines de cheveux et de pores individuels tout en nuances de brun et de rose. Tout cela a pris dix semaines.

     

    DANS LES PAS DES DIEUX INCAS

    Le résultat, habillé de robes tissées par des Péruviennes du Centre des textiles traditionnels, constitue l’attraction principale de l’exposition « Capacocha : dans les pas des dieux incas » qui se tient jusqu’au 18 novembre au Musée des sanctuaires andins, à Arequipa, au Pérou.

    La reconstitution sera exposée à côté de la momie de Juanita et sera accompagnée des histoires de quinze autres enfants choisis pour le rituel du capacocha et sacrifiés au sommet de l’Ampato ou d’autres pics andins. Leur âge varie de trois à treize ans environ, et les momies et restes squelettiques de plusieurs d’entre eux sont modélisés en 3D dans l’exposition, qui présente en outre des hologrammes de certains artefacts sacrés enterrés à leurs côtés.

    Ces momies naturelles offrent aux scientifiques des indices fascinants relatifs à leurs derniers jours. En effectuant des analyses toxicologiques et médico-légales sur les restes d’un bébé et de quatre victimes âgées de six à sept ans présentées dans l’exposition, Dagmara Socha et ses collègues ont découvert qu’elles avaient été particulièrement choyées dans les mois précédant leur sacrifice et qu’elles avaient bénéficié d’un régime alimentaire composé de feuilles de coca, de vignes d’ayahuasca et d’alcool dans les semaines qui ont précédé leur mort ; moins pour les intoxiquer que pour faire en sorte qu’ils restent calme et n’éprouvent pas d’anxiété alors que le moment du sacrifice approchait à grands pas.

    « Nous avons été vraiment surpris [par les résultats toxicologiques], révèle Dagmara Socha. Il ne s’agissait pas uniquement d’un sacrifice brutal. Les Incas voulaient également que les enfants soient dans de bonnes dispositions. Il était important pour eux qu’ils s’en aillent heureux vers les dieux. » 

    La haute altitude, les substances psychotropes, la vue spectaculaire, la certitude que l’au-delà était proche, tout cela a dû donner lieu à une cérémonie époustouflante, selon Johan Reinhard. 

    Durant la dernière phase de son travail de reconstitution, Oscar Nilsson a passé des heures à contempler et à tenter de saisir la présence de la jeune fille 500 ans après sa mort. Le résultat est à la fois troublant de réalisme et émouvant tant il est personnel.

    « Elle était un individu à part entière », déclare le spécialiste de la reconstitution médico-légale. « Elle doit avoir compris que sa vie prendrait fin au sommet de la montagne. Nous ne pouvons qu’espérer qu’elle croyait elle-même en l’au-delà. »

    Pour Johan Reinhard, le fait de voir le visage de la fille qu’il a descendue de la montagne sur le dos il y a des décennies a mis un point final à l’histoire de la Fille des glaces. « Cela la ramène à la vie », se réjouit-il. Cette reconstitution dirige l’attention autant sur sa culture et sa vie quotidienne que sur sa mort spectaculaire.

    Mais Oscar Nilsson n’a jamais oublié la façon dont la Fille des glaces est morte, même s’il l’a ramenée à la vie grâce à sa reconstitution. Selon lui, plus que tout autre chose, il souhaitait saisir la sensation d’être gelé, un clin d’œil à l’avenir glacial et momifié de la sacrifiée, mais aussi un hommage à une fille vacillant au bord de l’éternité bien qu’encore tout à fait vivante.

    « Elle savait qu’elle était censée sourire, exprimer de la fierté, affirme-t-il. Fière d’être choisie. Mais tout de même très, très apeurée. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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