Qui était l’amour secret de Beethoven ?

La découverte d’une lettre d’amour révèle la profondeur du désir de Beethoven pour son « Immortelle Bien-Aimée ». Des chercheurs s’efforcent de rassembler les indices qui leur permettront enfin de percer le mystère de son identité.

De Parissa DJangi
Publication 12 nov. 2025, 16:09 CET
Ludwig van Beethoven ne fut pas aussi malheureux en amour qu’on l’a cru. Bien que le ...

Ludwig van Beethoven ne fut pas aussi malheureux en amour qu’on l’a cru. Bien que le compositeur soit mort sans s’être marié, une lettre d’amour découverte dans son bureau a, pendant deux siècles, suscité maintes spéculations quant à une passion secrète (et interdite).

PHOTOGRAPHIE DE Joseph Carl Stieler, Artothek, Bridgeman Images

Ludwig van Beethoven semble avoir été aussi malheureux en amour qu’il fut heureux en musique.

Quand le célèbre compositeur décéda le 26 mars 1827, il ne laissa derrière lui aucune veuve en deuil, seulement un public fervent qui se massa dans les rues pour tenter d’apercevoir sa procession funéraire.

Mais en fouillant le bureau de son défunt employeur, Anton Schindler, secrétaire du compositeur, fit une découverte à l’origine de l’une des plus grandes énigmes romantiques de l’histoire de la musique.

À l’intérieur de celui-ci attendait une lettre empreinte d’ardeur, de passion et de lyrisme que Beethoven semble n’avoir jamais envoyée. Le compositeur ne nomme d’ailleurs pas la destinataire, qu’il appelle simplement son « Immortelle Bien-Aimée ». « Je ne peux vivre entièrement qu’avec toi, sinon pas du tout, écrivit-il. Oui, je suis résolu à errer loin de toi aussi longtemps qu’il le faudra jusqu’à ce qu’il me soit donné de voler dans tes bras et de te dire que je suis enfin chez moi, et d’envoyer mon âme, enveloppée par toi, au royaume des esprits. »

Il ne s’agit à l’évidence pas d’une lettre d’amour écrite à une personne qu’il admirait de loin, de manière unilatérale. « Le texte de la lettre de Beethoven dans son ensemble suggère qu’il s’agissait d’un amour réciproque », observe Julia Ronge, conservatrice des collections de la Maison de Beethoven, à Bonn. Malgré cela, leur histoire dut bien prendre fin, car Beethoven ne se maria jamais.

La première lettre de Beethoven à l’« Immortelle Bien-Aimée », Die Unsterbliche Geliebte. La lettre est datée du 6 ...

La première lettre de Beethoven à l’« Immortelle Bien-Aimée », Die Unsterbliche Geliebte. La lettre est datée du 6 juillet et commence ainsi : « Mein Engel, mein alles, mein ich. » C’est-à-dire : « Mon ange, mon tout, mon moi. » Beethoven avait employé certains de ces termes affectueux dans de précédentes lettres à Josephine Brunsvik, ce qui amène certains à penser qu’elle fut également la destinataire de celle-ci.

PHOTOGRAPHIE DE Lebrecht Music Arts, Bridgeman Images

Qui était l’« Immortelle Bien-Aimée » de Beethoven ? Cette expression fascine les chercheurs aussi bien que les cinéastes, les écrivains et les fans, qui n’ont eu de cesse de rassembler des indices tirés de cette lettre et de la vie du compositeur pour proposer diverses candidates.

 

TRIER LES INDICES

Il n’existe aucune candidate évidente pour incarner l’objet du désir de Beethoven. On sait qu’il tomba amoureux de femmes qui refusèrent de l’épouser, ainsi que le rappelle John David Wilson, musicologue et chargé de recherche principal à l’Université de Vienne. Il « gagnait mieux sa vie que bien des musiciens, mais il menait une existence instable, ce qui le rendait de facto inéligible au mariage pour la plupart des femmes dont il s’éprenait ».

L’une de ces femmes fut vraisemblablement la destinataire de la lettre.

« J’ai dénombré treize candidates proposées, à un moment où à un autre, par quelqu’un ces 200 dernières années », affirme Julia Ronge.

Qu’est-ce qui caractérise une candidate potentielle ?

Tout d’abord, la période. Bien que Beethoven n’ait pas précisé l’année exacte, il rédigea la lettre en plusieurs parties qu’il fit précéder des dates suivantes : lundi 6 juillet et mardi 7 juillet. L’analyse d’un filigrane sur le papier de la lettre confirma qu’elle fut probablement écrite en 1812, l’une des seules années de sa carrière où le 6 et le 7 juillet tombèrent un lundi et un mardi. L’immortelle bien-aimée devait donc faire partie de la vie de Beethoven à cette époque.

Cette datation écarte certaines candidates plus anciennes, comme Giulietta Guicciardi, ex-élève du compositeur et noble qu’il avait courtisée au début du 19e siècle à qui il avait dédiée sa Sonate au Clair de lune.

Ensuite, l’endroit. Grâce à ces indices temporels, les chercheurs savent que Beethoven a voyagé de Prague à Teplice, station thermale de l’actuelle République tchèque, juste avant d’écrire la lettre.

Selon Jan Caeyers, chef d’orchestre, musicologue et auteur d’une biographie intitulée Beethoven, A Life, le compositeur et la destinataire semblent avoir passé une « nuit intense ensemble à Prague » à en juger par le ton de la lettre. Leurs chemins ont ensuite bifurqué, Beethoven est allé à Teplice et la femme à  Carlsbad (aujourd’hui Karlovy Vary), en République tchèque. La femme a donc dû se trouver à Prague et à Carlsbad en juillet 1812.

Enfin, il devait exister une forme d’obstacle à leur relation. Beethoven déplore dans la lettre qu’il ne soit pas possible pour eux de vivre ensemble et se demande : « Peux-tu faire autrement que tu ne sois pas entièrement mienne et moi pas entièrement tien ? » Pour la plupart des chercheurs, l’immortelle bien-aimée était une femme mariée.

Ces critères à l’esprit, les chercheurs ont identifié deux candidates qui ressortent du lot.

 

ANTONIE BRENTANO, L’UNE DES MÉCÈNES DE BEETHOVEN

Née en 1780 et mariée au riche marchand Franz Brentano, Antonie rencontra Beethoven pour la première fois en 1810. Elle et son époux devinrent ses amis et mécènes, ils lui apportèrent argent et soutien.

Les sentiments d’Antonie Brentano pour Beethoven étaient profonds. Dans une lettre datant de 1811 adressée à une connaissance, elle déclara le « vénérer profondément » le compositeur et disait de lui qu’il « march[ait] tel un dieu parmi les mortels ».

Mais était-elle bien l’immortelle bien-aimée ? Sylvia Bowden, chargée d’enseignement à l’Université de Southampton, fait observer que Beethoven « entretenait clairement un lien étroit avec Antonie et sa famille, y compris son époux et ses enfants ».

« Tous les indices disponibles semblent devoir faire d’Antonie la destinataire de la lettre », avance-t-elle. Antonie Brentano se trouvait à Prague avant de rejoindre Carlsbad en juillet 1812. En outre, son statut de femme mariée et d’épouse d’un ami de Beethoven constituait un obstacle évident à toute relation amoureuse.

Feu Maynard Solomon, chercheur, fut l’un des principaux partisans de la piste Brentano et allait même jusqu’à dire que « l’amour [de Beethoven] pour Antonie [était] en conflit non seulement avec sa profonde incapacité à se marier, mais aussi avec la perspective de trahir un ami. »

D’autres sont plus sceptiques. John David Wilson souligne qu’il n’existe « aucune preuve qu’elle et Beethoven aient été plus que des amis. » D’ailleurs, ajoutent-ils, il existe une candidate tout aussi convaincante.

 

JOSEPHINE BRUNSVIK, ÉLÈVE DE BEETHOVEN

« Les éléments de preuve tendent fortement vers une personne : Josephine Brunsvik », affirme Julia Ronge.

Beethoven rencontra Josephine Brunsvik, alors âgée de 20 ans, en 1799, lorsqu’on l’engagea pour lui donner des leçons de piano. Mais leur relation ne s’épanouit que plusieurs années plus tard lorsqu’elle devint jeune veuve. Les deux échangèrent des lettres d’amour entre 1805 et 1807. Beethoven y emploie les mêmes termes que dans la lettre à son immortelle bien-aimée, par exemple « ange » et « bien-aimée ».

Cette relation façonna également sa musique. « Il a écrit quelques œuvres spécialement pour Josephine », rappelle Jan Caeyers, notamment certaines « dans lesquelles on peut entendre des messages cachés que Beethoven lui adresse ». L’une des œuvres écrites avec Josephine en tête est l’Andante favori, dont le motif d’ouverture semble refléter les syllabes de son nom.

Julia Ronge explique que la regrettée Rita Steblin, musicologue, a mis au jour des documents, notamment des lettres et des journaux, qui « suggèrent qu’elle était l’immortelle bien-aimée de Beethoven ».

« [Josephine Brunsvik] remplit plusieurs des conditions mentionnées dans la lettre : elle est mariée (c’est-à-dire non libre), elle est noble (c’est-à-dire d’une autre classe que Beethoven) et elle se trouvait à Prague le soir en question », révèle Julia Ronge.

Jan Caeyers reconnaît que les « arguments [de Rita Steblin] sont convaincants ».

Mais il n’existe pas de preuve concrète que Beethoven et Josephine Brunsvik soient restés en contact après la fin de leur correspondance en 1807. De plus, Sylvia Bowden fait remarquer que « rien n’indique qu’elle se soit trouvée à Carlsbad à l’été 1812 ».

Cependant, le calendrier rend plausible la candidature de Josephine Brunsvik sur le plan théorique. Son second mariage, qui avait débuté en 1810, battait de l’aile quand Beethoven écrivit sa lettre. Avait-elle relancé sa relation avec son ancien prétendant à ce moment-là ? Et cette lettre était-elle la seule preuve à avoir subsisté ?

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    PHOTOGRAPHIE DE Ivy Close Images, Alamy

    John David Wilson concède qu’il est possible que les deux aient repris contact mais que leur relation ait été « tue ». Jan Caeyers suggère que la famille aristocratique de Josephine Brunsvik fit peut-être tout son possible pour dissimuler la liaison, car tout élément pouvant laisser entrevoir un scandale aurait été « préjudiciable pour la réputation de la famille ».

    Et selon certains chercheurs, la famille avait peut-être effectivement des raisons de s’inquiéter.

     

    LA CLÉ POUR RÉSOUDRE LE MYSTÈRE ?

    Il existe un dernier indice fascinant pour étayer la candidature de Josephine Brunsvik : bien qu’elle se soit séparée de son époux en juillet 1812, elle donna naissance neuf mois plus tard à un enfant.

    Minona von Stackelberg vit le jour 9 avril 1813. Elle était officiellement la fille de Josephine Brunsvik et de son second époux, Christoph von Stackelberg.

    Mais certains ne peuvent s’empêcher de se demander s’il ne s’agirait pas en fait de la fille de Beethoven. Rita Steblin avait émis l’hypothèse que le « nom [de Minona] est hautement symbolique », car il s’agit du nom de « la fille d’un musicien dans les très influents contes du barde écossais (fictif) Ossian », l’un des poètes préférés de Beethoven.

    Minona mourut en 1897 et fut enterrée dans une tombe connue au cimetière central de Vienne.

    Jan Caeyers suggère de tester génétiquement les restes de Minona et de les comparer à l’ADN de Beethoven (déjà analysé en 2023 à partir d’une mèche de cheveux). « Si Minona est la fille de Beethoven, alors il est clair que Josephine était l’immortelle bien-aimée ».

    La même logique s’applique pour Karl Josef Brentano, l’enfant qu’Antonie mit au monde le 8 mars 1813, huit mois après la rédaction de la lettre. Là encore, on connaît sa sépulture : la crypte de la famille Brentano, à Francfort.

    Toutefois, Jan Ceyers concède que cela est plus facile à dire qu’à faire. En raison de règles strictes encadrant l’exhumation, il est possible que nous ne puissions jamais prouver l’identité de l’immortelle bien-aimée. Malgré tout, une vérité demeure : deux siècles plus tard, la lettre continue de nous captiver.

    « Tout cela s’inscrit dans le portrait d’un grand artiste qui a subi un immense revers amoureux, explique John David Wilson. Nous savons que lorsque la lettre a été écrite, il avait largement abandonné tout espoir d’avoir une famille ou, du moins, de se marier, et que cela l’a poussé à redoubler d’efforts et à consacrer encore plus d’énergie à son travail. »

    De plus, la lettre « change l’image de Beethoven », ajoute Jan Caeyers. « Toute cette histoire le rend plus humain et plus vulnérable. » Il n’était pas qu’un génie de la musique solitaire qui « transcende les banalités de la vie ». Beethoven a connu le grand amour, et le grand chagrin, tout comme chacun de nous.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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