L'histoire de Maria Tallchief, la première danseuse étoile amérindienne

Maria Tallchief, qui refusa de renier son appartenance à la nation Osage, incarna une nouvelle ère du ballet américain. Célèbre dans le monde entier, elle fut - entre autres - la première Américaine à danser avec le Ballet de l’Opéra de Paris.

De Erin Blakemore
Publication 2 nov. 2023, 16:08 CET
Aucune Américaine n’avait jamais été reconnue comme « prima ballerina assoluta » jusqu’à ce que Maria Tallchief éblouisse le ...

Aucune Américaine n’avait jamais été reconnue comme « prima ballerina assoluta » jusqu’à ce que Maria Tallchief éblouisse le monde de la danse par son dynamisme et sa grâce. Photographiée ici aux côtés du danseur danois Erik Bruhn, la célèbre ballerine Maria Tallchief a également fait parler d'elle en raison de ses origines amérindiennes.

PHOTOGRAPHIE DE Jack Mitchell, Getty Images

Sur scène, Maria Tallchief ne se contentait pas de danser : elle volait. Athlétique et gracieuse, elle s’étirait dans les airs, planait voire lévitait, captivant le public en incarnant l'essence même du ballet.

« Elle nous rappelle constamment que l’air est son véritable milieu », écrivait le critique de danse John Martin à propos de la danseuse en 1949.

Dix ans après sa mort, cette icône du ballet américain s’est à nouveau envolée, cette fois au verso d’une pièce de 25 cents américains. Un honneur qui lui est rendu pour avoir été la première danseuse étoile des États-Unis et l’une des Amérindiennes les plus connues de l’époque moderne. 

Gauche: Supérieur:

Maria Tallchief dans L’Oiseau de feu en 1960. Dix ans plus tôt, sa carrière atteignait de nouveaux sommets lorsque lui était confié le rôle-titre du ballet composé par Igor Stravinsky.

Droite: Fond:

Dès son plus jeune âge, Maria Tallchief, née Elizabeth Marie Tall Chief sur les terres de la nation Osage en Oklahoma, tomba amoureuse du ballet, auquel insuffla par la suite une nouvelle vie.

Photographies de Jack Mitchell, Getty Images

Elizabeth Marie Tall Chief naquit en 1925 sur les terres de la nation Osage à Fairfax, dans l’Oklahoma, d’un père osage et d’une mère écossaise et irlandaise. Les membres de la nation Osage s'enrichissaient alors fortement grâce au pétrole, en partie grâce à son arrière-grand-père, qui avait aidé la tribu à obtenir des droits miniers sur ses terres au début du siècle.

Ces droits présentaient toutefois des dangers pour la nation Osage : certains colons blancs menacèrent voire assassinèrent des Osages afin d’accéder à leurs droits pétroliers. La famille Tall Chief ne fit pas exception : une jeune cousine, Pearl, perdit toute sa famille dans un incendie et fut prise pour cible par des hommes qui tentèrent de lui voler la fortune pétrolière dont elle avait hérité.

Pourtant, Betty Marie, comme on l’appelait enfant, grandit avec le sentiment que son « père possédait la ville », comme elle l’écrivit dans sa biographie de 1997. Elle et sa jeune sœur Marjorie fréquentèrent une école privée et prirent des leçons de piano et de danse grâce à leur mère, qui rêvait que ses filles deviennent un jour célèbres. Dans les années 1930, la famille déménagea en Californie pour que les jeunes sœurs pussent s’adonner à la danse et à la musique.

Lorsque Maria était étudiante à Beverly Hills, ses camarades de classe raillaient les Amérindiens et prétendaient ne pas comprendre son nom de famille. « Ils ont fini par s'habituer à moi, mais l’expérience a été douloureuse », expliqua-t-elle plus tard. « Finalement, j’ai changé l'orthographe de mon nom de famille de sorte qu’il s’écrive en un seul mot. »

 

UNE JEUNE BALLERINE

En Californie, Tallchief commença à s'adonner sérieusement au ballet avec la légendaire chorégraphe et professeure Bronislava Nijinska, et tomba amoureuse de cette forme d’art très stricte. Rapidement, elle se produisit au Hollywood Bowl et dansa dans un film avec Judy Garland.

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    Maria Tallchief en pleine répétition sur la pelouse sud de la Maison Blanche le 11 juin 1964, la veille de sa prestation lors d’un dîner d’État en l’honneur du chancelier allemand Ludwig Erhard. 

    PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

    Sa carrière fit un bond en 1942, après le lycée, lorsqu’elle rejoignit le Ballet Russe de Monte Carlo pour une tournée au Canada et aux États-Unis. Au cours de cette tournée, la compagnie présenta de nouveaux ballets, promut des compositeurs et des chorégraphes d’avant-garde et insuffla une nouvelle vie au ballet, en faisant découvrir cet art à tout le continent.

    À l’époque, le ballet était largement considéré comme une tradition élitiste, essentiellement européenne, dominée par les danseurs russes. Aucune Américaine n’avait jamais été reconnue comme « prima ballerina assoluta », la plus haute distinction dans la profession. Le Ballet Russe contribua à démocratiser cet art aux États-Unis. 

    Pour autant, les danseuses américaines de la compagnie furent poussées à modifier leur nom afin qu’il sonne « plus russe ». Tallchief fut notamment encouragée à se renommer Tallchieva, ce qu’elle refusa. Bien qu’elle finît par se faire appeler par son deuxième prénom, elle n’abandonna pas ses racines. « Tallchief était mon héritage et j’en étais fière », écrivit-elle plus tard.

    « Elle avait une loyauté et une détermination sans failles », déclare la poétesse et éditrice Elise Paschen, fille de Tallchief.

     

    MARIAGE ET SUCCÈS

    Cette détermination attira l’attention de l’un des plus célèbres chorégraphes au monde, George Balanchine, que Maria Tallchief finit par épouser en 1946.

    « J’étais sa femme, mais aussi sa ballerine », écrivit-elle par la suite. « C’était mon mari, mais aussi mon chorégraphe. C’était un poète et j’étais sa muse ». Elle le suivit à Paris et devint la première Américaine à danser avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Peu importe où elle se produisait, elle faisait tourner les têtes, et Balanchine lui confia des rôles de plus en plus spectaculaires.

    En 1949, Tallchief interpréta le plus saisissant d'entre eux : le rôle-titre dans la reprise de L’Oiseau de feu par Balanchine pour le tout nouveau New York City Ballet. Entre une composition signée Igor Stravinsky et un décor conçu par Marc Chagall, le ballet était dynamique et passionné. C’était le tremplin idéal pour Tallchief.

    « Tout le monde voulait aller voir cette étonnante et magnifique créature », se souvint plus tard le critique de danse Jordan Levin. Les critiques et le public s’extasiaient devant sa performance. « Maria Tallchief mérite le titre de prima ballerina assoluta », écrivait un critique dans The Guardian, en référence au rang le plus élevé pour les femmes dans le monde du ballet. Elle enchaînait les rappels sur scène, alors que tout le public criait son nom.

    Le danseur et chorégraphe danois Erik Bruhn et la danseuse étoile américaine Maria Tallchief au Théâtre royal de Covent Garden, à Londres, le 8 décembre 1960. 

    PHOTOGRAPHIE DE Evening Standard, Hulton Archive, Getty Images

    Après-coup, sa carrière fut stratosphérique. Tallchief symbolisait désormais une nouvelle ère pour le ballet américain. Vibrante, gracieuse et puissante, elle était devenue un nom familier. Il en fut de même pour nombre de ses rôles, de la fée Dragée dans la reprise de Casse-Noisette par Balanchine, au rôle d'Odette/Odile dans sa version remaniée du Lac des cygnes. Dans les années 1950, elle gagnait plus d’argent que n’importe quelle autre danseuse de son époque.

     

    UNE PRIMA BALLERINA ASSOLUTA AMÉRICAINE

    Outre le fait que Maria Tallchief incarnait une approche nettement américaine du ballet, elle fascinait également le public par ses origines amérindiennes. En tant que femme amérindienne à l’opposé des stéréotypes et bénéficiant d’une rare reconnaissance nationale, elle devint ce que l’historienne Rebekah Kowal qualifie de « protagoniste involontaire du débat culturel sur l’autodétermination des Amérindiens ».

    De nombreuses critiques firent une fixation sur ses origines. Dans un article du Kansas City Star en 1954, un intervieweur fit remarquer que ses traits « différaient des traits indiens », souligna qu’elle avait grandi dans une maison et non dans un tipi, et la qualifia à plusieurs reprises de « princesse indienne », en référence au titre que lui avait conféré la nation Osage en 1953.

    À cette époque, Tallchief s’était habituée à l’attention et à l’intérêt du public pour son identité. « Elle n’a jamais semblé s’en préoccuper », déclare Elise Paschen.

    « Je voulais avant tout être appréciée comme danseuse étoile [...] jamais comme danseuse amérindienne », écrivit Tallchief. Au fil des ans, ses racines osage « acquirent une signification plus profonde », au point qu'elle servit de modèle à d’autres danseurs qui s’affranchirent des traditions raciales et stylistiques sur scène.

    Maria Tallchief dans le rôle-titre de la reprise de L’Oiseau de feu de George Balanchine. Son saut spectaculaire est désormais commémoré au verso d’une pièce de 25 cents américaine.

    PHOTOGRAPHIE DE Stanley Weisenfeld

     

    SON HÉRITAGE

    Après des années au sommet du monde de la danse, Tallchief prit sa retraite en 1966. Entre-temps, elle avait divorcé, s’était remariée et s’était tournée vers des rôles en coulisses. Elle cofonda le Chicago City Ballet avec sa sœur Marjorie, également ballerine professionnelle, dans les années 1970, et s’efforça sans relâche de transmettre sa passion.

    « Elle était très attachée à ce que l’héritage du ballet se perpétue », explique Elise Paschen. « Transmettre ce savoir à la génération suivante était important pour elle. » En 1996, Tallchief fut gratifiée du Kennedy Center Honors et fut intronisée au National Women’s Hall of Fame.

    Tallchief est décédée en 2013. Pourtant, sa marque est encore visible. Cette année, la Monnaie des États-Unis lui rend hommage, la faisant entrer dans le club très sélectif de 19 autres femmes : comme elles, Maria Tallchief a été représentée sur une série spéciale de pièces de monnaie américaines. La pièce de 25 cents de Tallchief la dépeint en plein saut dramatique dans le rôle de L’Oiseau de feu. Elle porte également le nom que lui a donné sa grand-mère : « Wa-Xthe-Thoṉba », ou « Two Standards », qui reflète son double rôle de danseuse de ballet et de femme Osage.

    Elise Paschen affirme que sa mère aurait été ravie de cette distinction, mais qu’elle aurait été loin de s'en vanter. « Elle ne se souciait pas de la célébrité », dit-elle. « Ce qui l’intéressait vraiment, c’était l’art en lui-même. Elle était somptueuse. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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