Caligula était-il fou ou simplement incompris ?

S’il n’y avait pas eu Néron pour lui succéder, Caligula aurait facilement pu se voir décerner le titre de pire empereur de l’Empire romain. Mais sa triste réputation mérite peut-être d'être réexaminée.

De Erin Blakemore
Publication 4 avr. 2024, 14:31 CEST

Caligula était si haï par ses propres hommes qu’ils l’assassinèrent en l’an 41. Toutefois, les œuvres d’art à son effigie, comme ce buste, ne reflètent pas son infâme réputation.

PHOTOGRAPHIE DE Robin Thomaides / Alamy Banque D'Images

Assassinats ? Oui. Inceste ? Peut-être. Exercice brutal du pouvoir politique ? Sans aucun doute. Dans le palmarès des empereurs tristement célèbres, peu se hissent au rang de Caligula, troisième empereur de l’Empire romain, dont le règne fut si terrible qu’il lui permit d’intégrer un petit cénacle : celui des dirigeants les plus haïs et dont le temps efface mal le souvenir.

« C’était un empereur affreux », affirme Anthony A. Barrett, professeur émérite de l’Université de Colombie-Britannique et auteur de Caligula : The Abuse of Power ainsi que d’autres recherches sur cet empereur à la réputation abominable. « Mais il n’était pas si mauvais si l’on entend par là qu’il aurait eu un comportement extravagant et ridicule. »

Voici d’où vient la triste renommée du jeune empereur romain et pourquoi nous aurions peut-être intérêt à envisager son règne bref et brutal sous un nouveau jour.

 

QUI ÉTAIT CALIGULA ?

Né Caius Julius Caesar Augustus Germanicus, Caligula était le fils de l’un des dirigeants les plus vénérés de Rome, le général Germanicus. Mais Caligula, ou « petit caliga », ainsi qu’on le surnommait enfant, n’hérita pas des qualités de meneur de son père. Après la mort prématurée de celui-ci, Caligula passa le plus clair de son enfance en exil et ne revint à Rome qu’en tant que protégé embarrassant de Tibère, l’empereur paranoïaque qui l’avait chassé, lui et sa famille. À la mort de ce dernier en l’an 37, Caligula devint empereur de Rome à l’âge de 24 ans.

Ce qui se produisit ensuite appartient à la légende : un règne caractérisé par la cruauté, l’excès, le caprice et les luttes politiques. Mais selon Anthony A. Barrett, de prime abord, le jeune empereur semblait destiné à marcher dans les pas de son père. « Personne ne savait rien de lui, raconte-t-il. On pensait probablement pouvoir le contrôler. » Jeune, séduisant et visiblement capable, Caligula entama son règne raisonnablement.

 

DES TROUBLES MENTAUX ?

Mais bientôt les choses changèrent. Six mois environ après le début de son règne, le comportement de l’empereur se dégrada. Si certains historiens attribuent ce changement de personnalité à une grave maladie, pour Anthony A. Barrett, c’est bien plus simple : la lune de miel était terminée, et la pression se faisait sentir. Selon lui, une fois que la réalité des fardeaux administratifs et politiques inhérents au fait d’être empereur se manifesta, l’empereur immature et impréparé eut grand mal à se montrer digne de son titre. Sans formation et dépourvu des compétences politiques nécessaires pour conserver la confiance de ses sujets et du Sénat, Caligula commença à vaciller.

Les actes salaces de Caligula, comme le fait qu’il ait admis son cheval Incitatus à la table d’un banquet, font figure de sujets populaires chez les artistes. Gravure du 19e siècle tirée de L’Histoire des empereurs romains jusqu’à Constantin (1836) de Jean-Baptiste-Louis Crevier.

PHOTOGRAPHIE DE De Agostini Picture Library, Getty Images

Bientôt, il s’en prit à ses ennemis, exigea que soient menées des campagnes militaires coûteuses et peu judicieuses, et alla jusqu’à commanditer l’assassinat de sa propre épouse. Selon certaines rumeurs, l’empereur hédoniste avait des rapports sexuels avec ses sœurs, Julia Livilla et Agrippine la Jeune (la future mère de l’empereur Néron). Caligula se résolut à les exiler après avoir découvert ce qui avait tout l’air de manœuvres opérées en coulisses pour le faire tomber. Il suscita également la controverse en provoquant et en humiliant le Sénat et en commanditant des assassinats de toutes parts. 

Ce comportement capricieux, couplé à des accusations selon lesquelles il aurait fait s’affronter des gladiateurs inaptes au combat et des bêtes sauvages car tel était son bon plaisir, alimentent depuis longtemps certaines spéculations : l’empereur aurait souffert d’un trouble de l’humeur ou de troubles mentaux. Les diagnostics a posteriori varient de la psychose épileptique à l’encéphalite.

Mais pour Anthony A. Barrett, Caligula était sain d’esprit, un diagnostic qui éclaire d’une lumière encore plus sinistre sa brutalité désinvolte. 

« Jusqu’à la toute fin, Caligula a pris des décisions rationnelles », explique-t-il en le comparant davantage à un Joseph Staline plutôt qu’à un personnage hitlérien dérangé. « Il était capable de distinguer réalité et fantasme. » Mais la réalité du monarque était une réalité caractérisée notamment par un pouvoir total ; un privilège qu’il maniait en stratège et à sa guise.

Ce pouvoir-là serait monté à la tête de n’importe qui. « À son entrée dans Rome, du consentement unanime des sénateurs et du peuple, […] il fut sur-le-champ investi du pouvoir souverain », affirma Suétone, historien connu pour ses biographies des César. Dès le début, cependant, la puissance impériale de Caligula baigna dans le sang de milliers d’animaux sacrificiels. « La joie publique fut si grande, qu’en moins de trois mois, on égorgea, dit-on, plus de cent soixante mille victimes », peut-on lire dans sa Vie de Caligula.

 

FIABILITÉ DES SOURCES

Selon Anthony A. Barrett, malgré ces excès, il est important de s’interroger sur les récits des contemporains de Caligula. Leurs œuvres furent façonnées par ses ennemis politiques et déformées par des propos rapportés. Le chroniqueur le plus fiable de son temps, Tacite, écrivit à son sujet, mais son œuvre fut perdue. Les récits qui demeurent contiennent des témoignages « ridicules et absurdes » concernant l’empereur, selon Anthony A. Barrett, qui compare Suétone et son contemporain, Dion Cassius, à des journalistes de tabloïds en quête d’un scoop sur l’empereur en difficulté.

Il ne fait aucun doute que le comportement de Caligula fut cruel, mais vraisemblablement un peu moins sensationnel que ne veulent nous le faire croire Dion Cassius et Suétone. On dit par exemple que Caligula aurait exigé d’être traité comme un dieu. Selon Anthony A. Barrett, cela avait beau être une pratique normale dans les colonies romaines, qui était contraintes de reconnaître le « culte impérial » de Rome, aucune preuve, comme une monnaie particulière frappée à son effigie, ne révèle semblable exigence à Rome, ni même en Italie.

Une célèbre légende raconte également qu’il aurait cherché à faire de son cheval un consul, une menace qui ne fut jamais mise à exécution. Anthony A. Barrett attribue cet épisode à un empereur agacé se moquant de ses ennemis au Sénat ; des ennemis qu’il trouvait si incompétents et incapables qu’ils pouvaient être facilement remplacés par un animal.

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    UNE MAUVAISE RÉPUTATION ?

    Mais même si Caligula ne fut pas à l'origine de tous les scandales qu’on lui attribua, sa réputation demeure. Qu’est-ce qui peut bien expliquer la notoriété aussi tenace d’un homme qui régna durant quatre années il y a deux mille ans ?

    « Les humains adorent les méchants », répond Anthony A. Barrett. Et si Caligula doit la longévité de sa réputation à son charisme et à l’inimitié têtue que lui vouèrent ses contemporains, un autre facteur entre selon lui en ligne de compte : le passage du temps. Puisque tant de siècles ont passé depuis ses méfaits, « Caligula appartient à un monde si étranger au nôtre désormais que nous pouvons jouir de sa bassesse en gardant la conscience claire. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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