Oppenheimer : le père de la bombe atomique était soupçonné d’être un espion

Dans une course contre la montre et contre l’ennemi, J. Robert Oppenheimer mena de front l’effort américain pour mettre au point la bombe atomique. Mais il a bien failli être écarté du projet Manhattan...

De Neil Kagan, Stephen Hyslop
Publication 12 juil. 2023, 15:25 CEST

J. Robert Oppenheimer, qu’on surnomme souvent le « père de la bombe atomique », faillit bien être écarté du projet Manhattan, car il était en butte aux soupçons d’un agent de renseignement présent au laboratoire de Los Alamos.

PHOTOGRAPHIE DE Alfred Eisenstaedt, Pix Inc., Time & Life Pictures

De par leur nature même, les secrets sont difficiles à garder. Ainsi se pose la question suivante : comment a-t-on fait pour ne pas trahir l’arcane le plus secret de la Seconde Guerre mondiale ? S’entend, la tentative des États-Unis de mettre au point la bombe atomique. Si la nouvelle s’était ébruitée, si les nazis avaient découvert ce qui se tramait et avaient remporté cette course, ils seraient sortis vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.

Tout commença en 1939, quand plusieurs scientifiques éminents, dont Albert Einstein, exprimèrent leurs préoccupations quant au fait que l’Allemagne nazie puisse être en train de développer des armes atomiques. À la faveur de cette alerte, le gouvernement des États-Unis mit sur pied un projet hautement classifié afin de se doter de ses propres armes atomiques. Les premières recherches furent conduites à l’Université Columbia, à New York même, d’où le nom de « projet Manhattan ».

Pour s’assurer d’une confidentialité absolue, le projet Manhattan fut fragmenté et mené sur différents sites loin de tout. Prirent part à sa phase de recherche et de développement plus de 130 000 personnes réparties sur trois sites principaux : Oak Ridge, dans le Tennessee, où l’on se consacrait principalement à l’enrichissement de l’uranium ; Hanford, dans l’État de Washington, où l’on construisit les infrastructures permettant de produire du plutonium ; et Los Alamos, au Nouveau-Mexique, où la majeure partie des recherches et de la conception des armes eut lieu. Seule une élite choisie était au fait de l’ampleur et de l’objectif réel de leur travail ; une chose essentielle pour que le projet reste secret.

L’un des membres de ce groupe restreint était le physicien théoricien J. Robert Oppenheimer, directeur scientifique du laboratoire de Los Alamos. Mais ce poste ne lui fut pas accordé sans embûches, car cet éminent scientifique était la cible de soupçons.

La première explosion nucléaire fut le résultat de l’implosion d’un dispositif fonctionnant avec du plutonium et fut conduite sous la supervision de l’armée américaine le 16 juillet 1945 dans le désert de Jornada del Muerto, au Nouveau-Mexique. Le test fut réalisé sous le nom de code « Trinity ».

PHOTOGRAPHIE DE Universal History Archive, Universal Images Group via Getty Images

 

UN PASSÉ TROUBLE

Quand Oppenheimer arriva au Nouveau-Mexique en avril 1943 pour prendre ses fonctions de directeur du nouveau laboratoire gouvernemental de Los Alamos, il devint une pièce incontournable du projet Manhattan. Mais il lui fallut d’abord travailler sans habilitation de sécurité. En effet, le FBI et le G-2, l’agence de renseignement de l’armée américaine, le soupçonnaient d’être lié à un réseau d’espionnage dirigé par les Soviétiques, alors alliés de l’Amérique. Un officier du G-2 présent à Los Alamos l’accusa de « jouer un rôle clé dans les tentatives de l’Union soviétique d’obtenir, par voie d’espionnage, des informations hautement secrètes vitales pour la sécurité des États-Unis ».

Ces accusations trouvaient leur source dans le fait que plusieurs proches d’Oppenheimer étaient ou avaient été membres du Parti communiste. Oppenheimer nia avoir rejoint le parti, mais lorsqu’il était enseignant à l’Université de Californie, il avait soutenu des causes qui l’avaient rapproché de communistes ou de sympathisants communistes, et notamment de membres du bataillon Abraham Lincoln qui brava les lois américaines sur la neutralité en allant combattre en Espagne contre Francisco Franco, dictateur soutenu par Hitler et Mussolini. Oppenheimer avait en effet en commun avec ces combattants une haine du fascisme et avait aidé des parents et des scientifiques juifs à fuir l’Allemagne et le régime nazi.

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    Julius et Ethel Rosenberg furent reconnus coupables de conspiration en vue de commettre des actes d’espionnage le 29 mars 1951 pour leur implication supposée dans la transmission à l’Union soviétique de documents classés en lien avec le projet Manhattan.

    PHOTOGRAPHIE DE Keystone, Getty Images

     

    ALLER DE L’AVANT

    Le poste de J. Robert Oppenheimer fut sauvé par un officier qui accordait la plus haute importance à la sécurité : le brigadier général Leslie Groves, directeur du projet Manhattan. Il était persuadé qu’Oppenheimer était singulièrement qualifié pour surmonter les défis posés par la création d’une bombe atomique et pour superviser d’autres scientifiques brillants à l’égo facilement froissable. L’un de ces scientifiques caractériels, Edward Teller, expliqua pourquoi Oppenheimer était à ce point fait pour ce poste : « Il savait organiser, persuader, ménager, apaiser les tensions, diriger d’une main de maître sans en avoir l’air […]. L’extraordinaire réussite [du laboratoire de] Los Alamos a découlé de la virtuosité, de l’enthousiasme et du charisme avec lesquels Oppenheimer l’a dirigé. »

    Leslie Groves fit confiance au jugement de son propre officier de sécurité à Los Alamos, le capitaine John Lansdale, qui vint à la conclusion qu’Oppenheimer n’était pas communiste, chose qu’il définissait comme le fait d’être loyal à l’Union soviétique plutôt qu’aux États-Unis.

    J. Robert Oppenheimer, à gauche, et le brigadier général Leslie Groves inspectent le site de Trinity où a eu lieu le test de la bombe atomique le 16 juillet 1945, soit quelques semaines auparavant.

    PHOTOGRAPHIE DE Rolls Press, Popperfoto, Getty Images

     

    DANS LE PLUS GRAND SECRET

    Ayant obtenu un sursis grâce à Leslie Groves, Oppenheimer se mit au travail et s’attaqua à la tâche monumentale que représentait le fait de libérer l’énergie atomique. Le projet s’avéra si complexe que les États-Unis ne disposèrent pas d’armes nucléaires avant que l’Allemagne ne soit vaincue en mai 1945. En effet, à la faveur de bombardements stratégiques dévastateurs et de lacunes scientifiques et industrielles, cette dernière n’avait pas réussi à se doter de l’arme nucléaire.

    À Los Alamos, les scientifiques d’Oppenheimer avaient en revanche reçu assez de matière fissile en provenance d’Oak Ridge et de Hanford pour produire deux bombes différentes : l’une fonctionnant avec de l’uranium-235 et l’autre avec du plutonium-239. Celles-ci furent testées secrètement en juillet 1945 sur un terrain d’essai baptisé « Trinity Site », dans une contrée isolée du désert du Nouveau-Mexique : une boule de feu s’éleva dans le ciel, ceinte d’un champignon énorme d’un kilomètre de diamètre et de plus de sept kilomètres de hauteur.

    L’ère nucléaire venait de débuter dans le plus grand secret.

    Bien que des centaines de scientifiques et d’assistants aient convergé dans le désert du Nouveau-Mexique du jour au lendemain ou presque et que l’explosion ait fait trembler des bâtiments jusqu’à El Paso, au Texas, le Département de la Guerre des États-Unis ne laissa aucune rumeur se diffuser. La police de l’État annonça qu’il s’agissait d’une explosion accidentelle survenue dans un camp de l’armée. Un homme qui avait vu le ciel s’illuminer alors qu’il était en train de traverser le Nouveau-Mexique en train informa un journal de Chicago de ce qu’il croyait être la chute d’une météorite géante et une journaliste rédigea un bref article. Le lendemain, le FBI rendit visite à la rédaction et demanda à cette dernière d’oublier l’affaire, qui ne parut jamais dans la presse.

    La bombe Mk-1, surnommée « Little Boy », fut la première arme nucléaire à être utilisée en temps de guerre. Elle fut larguée sur la ville japonaise de Hiroshima le 6 août 1945.

    PHOTOGRAPHIE DE Popperfoto, Getty Images

     

    LA FIN D’UN SECRET

    En juillet 1945, le président Harry S. Truman était en train de se préparer à rencontrer le dirigeant de l’Union soviétique Joseph Staline et le premier ministre britannique Winston Churchill à Potsdam, dans une Allemagne alors occupée par les Alliés, pour aborder la question de la paix d’après-guerre quand on l’informa que le test réalisé sur le site de Trinity avait porté ses fruits. Il fit part de ce grand secret au dirigeant soviétique. Mais grâce aux révélations d’espions en poste à Los Alamos ayant réussi à préserver leur couverture, Staline était déjà au courant, et un programme d’armement nucléaire soviétique avait déjà débuté.

    Le 26 juillet 1945, quand fut signée la déclaration de Potsdam qui appelait le Japon à se rendre sans condition ou à subir « une destruction prochaine et complète », le décor du dénouement dévastateur de la guerre était d’ores et déjà planté. N’étant pas disposé à se rendre à moins que l’empereur Hirohito ne soit autorisé à se maintenir au pouvoir, condition exclue par Truman, le Japon rejeta la déclaration.

    S’ensuivirent, comme s’y engageait la déclaration, deux explosions atomiques qui contraignirent Hirohito à se rendre : la première, provoquée par une bombe à uranium, eut lieu le 6 août 1945 à Hiroshima ; et la seconde, provoquée par une bombe au plutonium, anéantit la ville de Nagasaki trois jours plus tard. Plus de 150 000 personnes périrent lors de ces attaques, et des milliers d'autres furent contaminées par des retombées radioactives qui les condamnèrent à mourir tôt ou tard.

    Le monde venait de découvrir la bombe atomique, et il n’y aurait pas de retour en arrière.

    Une montre arrêtée au moment où la bombe atomique fut larguée sur Hiroshima le 6 août 1945.

    PHOTOGRAPHIE DE Brian Brake, Science Source

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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