Ce qu’il faut savoir sur l’histoire du Japon pour comprendre Shogun

Plusieurs personnages et événements de la nouvelle série FX sont tirés de faits historiques, qu’il convient de connaître pour saisir les enjeux complexes et les guerres intestines du Japon féodal.

De Romy Roynard
Publication 26 févr. 2024, 11:29 CET
Adaptée du best-seller de James Clavell, la minisérie FX en dix épisodes Shōgun sera disponible en exclusivité ...

Adaptée du best-seller de James Clavell, la minisérie FX en dix épisodes Shōgun sera disponible en exclusivité sur Disney+ à partir du 27 février 2024.

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Nouvelle adaptation du roman éponyme de James Clavell, Shōgun est une grande fresque d’aventure, de stratégies politiques et de mort commençant en 1600 dans le Japon féodal, quelques mois avant la bataille de Sekigahara. Comme d’autres romans de James Clavell, l’intrigue et plusieurs personnages sont basés sur des événements réels, qui lui servent de cadre.

Le personnage du daimyo Toranaga est ainsi inspiré de Tokugawa Ieyasu, shōgun impitoyable, déterminé et chanceux, qui accéda au pouvoir en 1603 et unifia le Japon après des siècles de guerres civiles et de conflits entre samouraïs. Le Japon du 17e siècle de Shōgun est dépeint à travers les yeux du marin anglais John Blackthorne, inspiré du navigateur William Adams, maître-pilote d'une flotte de cinq navires envoyé par les forces hollandaises vers l'Extrême-Orient en 1598, qui vécut au Japon et devint samouraï.

Au début de la série, lorsque son navire, l’Erasmus, échoue sur les côtes japonaises, John Blackthorne et les quelques survivants hollandais de sa flotte sont capturés par Omi Kasigi, un samouraï en charge de cette localité. Considérés comme des barbares, ils sont laissés plusieurs jours dans un puits, avant que Blackthorne ne soit interrogé et ne devienne l’objet de toutes les curiosités.

 

LES ENJEUX EUROPÉENS EN ORIENT

Pour comprendre les tensions que pouvait faire surgir la présence d’un Britannique, protestant de surcroît, dans le Japon féodal des années 1600, il faut tracer les contours du commerce Nanban. Nanban-bōeki-jidai (南蛮貿易時代), littéralement l’« époque du commerce avec les Barbares du Sud », a duré de 1543, année de l’arrivée des premiers Européens au Japon, jusqu’à leur exclusion de l’archipel en 1650 avec la promulgation de lois interdisant aux étrangers l’entrée sur le territoire. 

Jusqu'au milieu du 16e siècle, l’archipel du Japon était inconnu des Européens. Dans sa Chronique des armes à feu (1606), l’une des sources historiques les plus célèbres du Japon, le moine zen Bunshi Genshô décrit ainsi les marchands portugais et missionnaires jésuites qui débarquèrent au sud de l’archipel : « apparut un grand vaisseau [à Tanegashima]. Nul ne savait d'où il venait. Il portait plus d'une centaine de personnes à bord, toutes avec une physionomie différente de la nôtre, qui parlaient des langues aux sons incompréhensibles. Tous ceux qui les virent furent stupéfaits. Parmi eux, se trouvait un lettré confucéen venu de Corée [qui écrivit avec son bâton sur le sable] "ces hommes sont des marchands de la race des barbares du pays du nanban. Ils ont une conception rudimentaire des relations fondamentales entre les maîtres et leurs sujets, mais ignorent le cérémonial des bonnes manières. Ils boivent de l'eau dans un gobelet, mais ne font jamais la politesse de l'offrir. Ils mangent avec les mains, sans se servir de baguettes. Ils ne connaissent pas les caractères et encore moins les enseignements qu'ils transmettent. Il s'agit de gens qui, dès qu'ils arrivent en un lieu, se mettent à commercer en échangeant ce qu'ils possèdent contre ce qu'ils n'ont pas." » 

Outre le désir d’expansion coloniale, l'occident était persuadé de sa mission civilisatrice auprès des autres peuples et va tenter, dans le dynamisme de la Contre-réforme catholique européenne, de convertir les peuples rencontrés ou conquis au christianisme. À l’instar de l’Espagne, le Portugal était alors une grande puissance coloniale et cette ère d’échanges commerciaux et culturels avec le Japon porte aussi le nom de « siècle des chrétiens ». Sylvie Morishita raconte dans ses travaux comment saint François Xavier, l'un des fondateurs de la compagnie de Jésus, posa le pied sur le sol de l'archipel nippon. Avec deux autres compagnons jésuites, ils s'installèrent dans un pays dont ils ne connaissaient ni la langue ni les usages et en proie à la guerre civile. Pour les jésuites, l’enjeu était d’intégrer les élites sociales japonaises pour évangéliser les populations. Si l’accueil fut très timide en Inde et en Chine, la mission jésuite connut un relatif succès au Japon, ce qui nourrit beaucoup d’espoirs en Occident. 

« En Inde ou en Chine, ou dans les pays du sud-est asiatique d'ailleurs, les Occidentaux restaient confinés dans des comptoirs, qu'ils n'avaient pas le droit de quitter » explique Guillaume Carré, directeur du Centre de recherches sur le Japon à l'École des hautes études en sciences sociales, auteur d'Avant la tempête : la Corée face à la menace japonaise. « En réalité les Portugais arrivés au Japon ne firent que s'insérer dans un commerce maritime, qui se développait énormément en Asie orientale à partir des années 1520. Au-delà du désir d'évangéliser les âmes perdues, ce qui intéressait les Portugais, c'était les formidables minerais d'argent dans le sud-ouest de l'île de Honshu. » Les marins portugais s'approvisionnaient en argent au Japon en échange de marchandises chinoises, puis ils retournaient en Chine, où l'argent servait à acheter des denrées qu'ils vendaient après dans toutes les îles maritimes.

La chrétienté se diffusa néanmoins dans l’archipel et au début du 17e siècle, on estimait à 300 000 le nombre de chrétiens vivant au Japon. « Les jésuites vont profiter du morcellement du pouvoir en visant les élites locales, et notamment les daimyos, les seigneurs locaux. Une fois converti, le seigneur décrétait que son fief était chrétien, ce qui ne signifie pas pour autant que toutes les âmes du fief étaient devenues chrétiennes » modère Julien Peltier, spécialiste du Japon féodal et auteur de nombreux livres, dont le dernier en date, Une autre histoire des samouraïs, vient de paraître.

L’évangélisation du Japon ne se fit pas sans heurts. Toyotomi Hideyoshi, deuxième des trois unificateurs du Japon durant la période Sengoku, « l’âge des provinces en guerre », se méfiait des missionnaires et des convertis au christianisme. « Juste avant sa mort, Hideyoshi durcit le ton car il s'inquiétait de voir se former une coalition de seigneurs chrétiens qui pouvaient menacer son pouvoir » relève Julien Peltier. Il condamna à l’exil Takayama Ukon, un samouraï converti au catholicisme, puis sur ses ordres, vingt-six chrétiens, des Japonais et des missionnaires étrangers, franciscains et jésuites, moururent par crucifixion le 5 février 1597 : c’est le Grand martyre de Nagasaki. 

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    Tokugawa Ieyasu, qui a très largement inspiré le personnage de Toranaga dans Shōgun, était l'un des seigneurs de guerre qui unifièrent le Japon un pays après des décennies de tourmente politique.

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    « Tokugawa Ieyasu, qui a très largement inspiré le personnage de Toranaga dans Shōgun, avait une position relativement médiane au début de son règne [concernant les chrétiens] » estime Julien Peltier. « Comme dans le roman, il fit bon accueil aux protestants, qu’il instrumentalisa contre les catholiques. Ce qui lui plaisait chez les protestants, c’est qu’ils se détachaient expressément de toute œuvre évangélisatrice. Leur priorité, c’était vraiment le commerce. »

    Dans les années 1610, la stratégie des Occidentaux colonisateurs était désormais mieux connue et Tokugawa avait fini par se méfier des chrétiens, qui étaient nombreux dans les rangs des derniers rebelles d’Osaka. « Où va la loyauté fondamentale d'un samouraï converti ? » interroge Julien Peltier. « Est-ce que, comme on l'attend, elle va d'abord à son seigneur ou à Dieu ? Il y a là un conflit de loyauté qui va être tranché après le siège d’Osaka. »

     

    GUERRES CIVILES ET REPLI SUR SOI

    Si la christianisation du Japon fut lente, c’est en partie parce que l’archipel n’est pas un territoire où la nouveauté s’impose par la force. Au 15e siècle, c’est par ailleurs un espace fragmenté où chaque potentat féodal impose sa loi dans un contexte politique constamment troublé par des rivalités régionales.

    Cet âge des provinces en guerre, qui commence selon l'historiographie traditionnelle en 1467 et se prolonge jusqu'à l'amorce du processus de réunification de l'archipel au début des années 1560, est un siècle complet de guerres civiles féroces, de fragmentation du pouvoir central qui favorise l'émergence de pouvoirs locaux rivaux. Certains guerriers de rangs inférieurs, voyant que leurs suzerains ne remplissaient plus leurs devoirs féodaux, décidèrent même de s’affranchir pour former des organisations plus horizontales. 

    « C'est vraiment une période de grande mobilité sociale, de chaos et en même temps d'opportunités formidables que vont saisir les trois grands unificateurs du Japon, Nobunaga, Hideyoshi, et Tokugawa Ieyasu, qui sort vainqueur de la bataille de Sekigahara » explique Julien Peltier.

    Tokugawa Ieyasu survécut à la fin turbulente de la période sengoku et prit le contrôle du pays en devenant shōgun à l'âge avancé de soixante ans. À l’époque, les daimyos juraient fidélité à l'empereur, qui était essentiellement une figure symbolique et religieuse. C'est le fondateur du shōgunat, Yoritomo, et ses successeurs qui exerçaient le véritable pouvoir exécutif. Si en apparence l’on pourrait associer le shōgunat à un pouvoir très centralisé, ce système hiérarchique fut plusieurs fois éprouvé par la rébellion de daimyos. L’anarchie atteint son paroxysme avec la guerre d'Onin (1467-1477), un conflit de succession pour le shōgunat qui déclencha une guerre civile.

    Au début du 17e siècle, « plusieurs générations de shōguns ashikaga s’étaient eux-mêmes discrédités. Il n’y avait plus de pouvoir central, ni impérial ni shōgunal. Il faut attendre l'avènement de Tokugawa Ieyasu pour assister au retour d'un pouvoir fort. Il va mettre sous sa coupe la cour impériale, s'assurant qu'elle ne fera plus jamais d'ingérence dans les affaires politiques » illustre Julien Peltier. 

    Il s’assure aussi de la fidélité des daimyos, qu'il considère comme une source d’instabilité du pouvoir. « Il réorganisa la carte politique du pays », souligne Guillaume Carré. Il saisit les terres des seigneurs vaincus à la bataille de Sekigahara, les offrit à ses généraux les plus fidèles ou les conserva pour le shōgunat. Il déracina même les puissants tozama daimyos, seigneurs féodaux non héréditaires pour les disperser dans tout le Japon et ainsi mieux les surveiller. « Et surtout, poursuit Guillaume Carré, il prépara ce que n'avait pas eu le temps de faire Hideyoshi puisque son héritier est né trop tard : il prépara sa succession. »

    Tokugawa Ieyasu, qui avait assisté à l’ascension et à la chute de Nobunaga et Hideyoshi et en avait tiré les leçons, ne se contenta pas de ce nouveau pouvoir. Il décida qu’il le transmettrait à ses descendants. « Le projet dynastique était la principale faiblesse de ses prédécesseurs. Il eut de nombreux enfants, et s’assura d’ajouter à son arbre généalogique plusieurs branches qui pourraient lui survivre. Cette véritable politique familiale a été un atout considérable pour consolider sa position » souligne Julien Peltier. En 1607, il cède le titre de Shogun à son héritier, Tokugawa Hidetada, tout en continuant à détenir la réalité de pouvoir jusqu'à sa mort en 1616.

    Tokugawa Ieyasu réduisit également les possibilités de rébellion en empêchant les daimyos de posséder plus d'une forteresse dans leur fief. Institutionnalisée par ses successeurs, cette politique a conduit à la destruction de plus de six cents fortifications et citadelles à travers le Japon, quand la forteresse des Tokugawa à Edo n'a, elle, cessé de s'agrandir, grâce aux matériaux récupérés dans les domaines saisis. C’est dans cette forteresse que les daimyos furent contraints de séjourner à tour de rôle, ce qui entraînait pour ces seigneurs féodaux des dépenses considérables et limitait de fait leur capacité à financer des opérations militaires ou de rébellion.

    Alors que la mission catholique enregistrait de nouveaux succès, dont la construction d’une cathédrale à Nagasaki pour les 40 000 fidèles catholiques, le shōgun décida de mettre fin à la mission catholique, désormais jugée dangereuse pour le pays. L’édit du 27 janvier 1614 instaura un syncrétisme de bouddhisme, de shintô et de confucianisme pour supplanter le christianisme. Les missionnaires furent expulsés vers Macao et Manille, l’apostasie fut imposée aux chrétiens japonais, les églises et les livres de l’imprimerie jésuite furent détruits. Des missionnaires résistèrent et se cachèrent au Japon pour encourager les fidèles à persévérer dans leur foi, ce qui donnera lieu à un second décret en 1616, ordonnant des persécutions et encourageant les dénonciations.

    « On peut imaginer que Tokugawa Ieyasu avait une certaine conscience des enjeux européens, parce qu'il s'entretint longuement avec les étrangers [présents au Japon], notamment avec William Adams, qui l’a documenté. Il était très curieux de savoir comment s'organisaient les nations d'Europe à l'autre bout du monde. 

    « Tokugawa Ieyasu était très intéressé par le développement du commerce avec les étrangers, à condition de garder la main et d'en récolter les bénéfices » abonde Guillaume Carré. « Sous son impulsion, il y a eu une expansion des échanges avec l'extérieur. C'est ce qui explique par exemple que parmi les membres de son Conseil privé, on retrouvait des Occidentaux, dont William Adams, devenu samouraï et un des conseillers diplomatiques de Tokugawa Ieyasu. »

    Cette tendance va progressivement s'inverser et le petit-fils de Tokugawa Ieyasu, Iemitsu Tokugawa, instaura le sakoku, littéralement « fermeture du pays », se traduisant par l'expulsion des missionnaires chrétiens, puis la limitation des ports ouverts aux étrangers. 

    L’archipel se ferma à toute influence étrangère en 1650, vivant en auto-suffisance pendant plus de deux-cents ans, jusqu’en 1853.

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