Comment le fauteuil roulant a permis à des millions de personnes de découvrir le monde

Les fauteuils roulants existent depuis l’invention de la roue. Mais les progrès technologiques ont révolutionné la façon dont on les utilise.

De Erin Blakemore
Publication 17 juil. 2023, 17:03 CEST

Ce fauteuil roulant en bois et en osier photographié dans une chambre d’hôpital à Saint-Rémy, en Provence, est un modèle ancien. Les premiers fauteuils roulants étaient plus encombrants que les fauteuils modernes, qui permettent aux utilisateurs de vivre de manière indépendante, de faire du sport et de voyager.

PHOTOGRAPHIE DE Jim Richardson, Nat Geo Image Collection

La ville de Bath, en Angleterre, n’a pas uniquement été le cocon propice aux idylles et aux commérages décrit dans les romans de Jane Austen ; c'était aussi un lieu de liberté pour les personnes à mobilité réduite venues chercher les bienfaits des eaux de ses thermes romains.

Ces touristes arrivaient souvent dans une « chaise d’infirme » ou dans un « fauteuil de Merlin », un prédécesseur du fauteuil roulant. Grâce à ces véhicules révolutionnaires, ils pouvaient prendre part à la célèbre vie sociale de la ville, en général en étant aidés par des domestiques qui les poussaient de lieu en lieu.

Cependant, s’ils permettaient une mobilité nouvelle, ces fauteuils en osier et en bois étaient vus comme un symbole d’infirmité et de dépendance ; et ils étaient on ne peut plus différents des fauteuils roulants d’aujourd’hui qui offrent bien davantage de façons de se déplacer. Et si ces fauteuils encombrants sont devenus plus faciles d’utilisation, c’est surtout grâce aux utilisateurs de fauteuils roulants eux-mêmes.

 

« FAUTEUILS DE MERLIN » ET AUTRES FAUTEUILS ANCIENS

Les fauteuils roulants existent depuis l’invention de la roue, mais il fallut des siècles pour qu’ils se popularisent. Au début, on poussait les personnes à mobilité réduite dans des sortes de brouettes ou dans des meubles à roulettes poussés par des assistants médicaux ou par des domestiques. À la fin du 16e siècle, quand Philippe II d’Espagne, qui souffrait de goutte et d’arthrite, commanda un fauteuil roulant, on appelait encore cela une « chaise d’infirme ».

Il fallut attendre 1665 pour qu’apparaisse le premier fauteuil roulant autopropulsé. Stephan Farffler, horloger ayant perdu l’usage de ses jambes lors d’un accident survenu dans l’enfance, mit au point un nouveau modèle afin de pouvoir se propulser jusqu’à son église de Nuremberg et en revenir. Son invention ressemblait aux vélos horizontaux d’aujourd’hui et lui permettait de se propulser à l’aide d’une manivelle. Si on considère de nos jours qu’il s’agit d’un précurseur du tricycle, cette invention laissa à l’époque entrevoir les usages potentiels des dispositifs roulants autonomes.

L’invention de Stephan Farffler fit progresser la technologie des fauteuils roulants, et plusieurs inventeurs créèrent des dispositifs similaires. L’un d’eux, l’impresario belge Jean-Joseph Merlin, mit au point une « chaise pour goutteux » dont l’utilisateur se propulsait en actionnant des manivelles et des engrenages. Ce modèle devint si populaire qu’on appela les fauteuils roulants « fauteuils Merlin » pendant plus d’un siècle après cela.

Malgré tout, ces fauteuils roulants primitifs étaient principalement utilisés par des personnes riches ayant des domestiques pour les pousser. Cela s’explique par le fait qu’ils étaient difficiles à produire, lourds, compliqués à manœuvrer et presque complètement inefficaces en extérieur ; ils ressemblaient davantage à des meubles d’intérieur qu’à des dispositifs auxiliaires. « Il s’agissait d’une chaise fragile pour des gens fragiles », comme l’écrit Elizabeth Guffey, historienne de l’art et des handicaps.

 

LE PREMIER FAUTEUIL ROULANT PRODUIT EN MASSE

Les fauteuils se démocratisèrent au fil des années, en particulier après les deux Guerres mondiales dont des centaines de milliers de vétérans ressortirent avec une mobilité réduite. Mais les fauteuils roulants étaient vus comme des dispositifs médicaux et non comme des accessoires pour une vie plus indépendante, et ce en partie à cause de leur taille et de leur prix.

Dans les années 1930, Herbert Everest, ingénieur des mines paralysé, se plaignit du poids de son fauteuil roulant auprès d’un autre ingénieur, Henry Jennings. Ensemble, dans le garage de ce dernier, à Los Angeles, ils créèrent un fauteuil roulant pliable qui pesait moitié moins et dont le coût de production était bien moindre. Celui-ci deviendrait le premier fauteuil roulant à être produit en masse, et le modèle le plus populaire de son temps. Soudain, les utilisateurs de fauteuils roulants pouvaient se propulser eux-mêmes à l’extérieur, entrer et sortir de voitures, et aller où ils voulaient sans avoir besoin d’aide ou presque.

Toutefois, de manière assez ironique, cette avancée allait entraver les progrès en matière de fauteuils roulants durant des décennies à cause du monopole des inventeurs sur le modèle pliable et à cause de l’attitude prédominante à l’égard du handicap qui suggérait que les utilisateurs de fauteuils roulants devaient être protégés du monde. Même les professionnels de santé s’opposèrent aux modèles alternatifs qui mettaient l’accent sur l’indépendance des utilisateurs.

« Peut-être que les professionnels de santé pensaient qu’ils savaient mieux », explique Nicholas Watson, professeur d’études sur le handicap et directeur du Centre de recherche sur le handicap à l’Université de Glasgow.

 

DES FAUTEUILS FAITS POUR ET PAR LEURS UTILISATEURS

Le recours aux fauteuils roulants a explosé à cause de la pandémie de polio dans les années 1940 et à cause du bilan toujours plus lourd des guerres modernes ; mais aussi parce que de nouveaux antibiotiques permirent à davantage de personnes de survivre à des lésions de la moelle épinière, selon Nicholas Watson.

De nouveau, une nouvelle génération d’utilisateurs réclama davantage de confort et finit par révolutionner l’utilisation et la connotation attribuée aux fauteuils roulants. Non contents de pouvoir simplement s’asseoir dans leur fauteuil roulant, certains voulaient également y jouer. À partir des années 1960, des athlètes en fauteuil roulant en quête de meilleures performances sportives commencèrent à modifier leurs fauteuils afin de les rendre plus légers et plus faciles d’utilisation.

Prenant de l’ampleur, le mouvement en faveur des droits des personnes handicapées suscita davantage de demandes pour des fauteuils de meilleure qualité de la part des utilisateurs eux-mêmes. « Quand les gens regardent une personne handicapée, le fauteuil roulant est le trait qui ressort le plus, et on a tendance à oublier qu’il s’agit d’une personne », confiait Marilyn Hamilton, athlète ayant perdu l’usage de ses jambes après un accident de parapente, au Los Angeles Times en 1982.

Marilyn Hamilton fut l’une des athlètes qui militèrent pour de meilleurs fauteuils roulants (ou qui allèrent jusqu’à fabriquer le leur). Les athlètes parvinrent à réduire le poids de leur fauteuil en retirant les poignées dont d’autres se servaient pour être poussés ; une déclaration d’indépendance autant qu’une façon d’alléger son fauteuil. Ensuite, ils se mirent à modifier les roues, ce qui leur permit de gagner en vitesse et en maniabilité au moyen de modifications allant à l’encontre des modèles prévus pour « protéger » les utilisateurs du monde extérieur.

D’après Nicholas Watson, les athlètes handicapés finirent peu ou prou par fabriquer leurs propres fauteuils roulants. Dans les années 1970 et 1980, des fauteuils répondant aux noms de Quadra et de Quickie changèrent la façon dont les utilisateurs vivaient le monde qui les entourait et leur offrirent un accès inédit aux intérieurs comme aux extérieurs.

« Nos fauteuils sont si plaisants esthétiquement parlant que cela aide à faire tomber les barrières entre personnes ayant différents niveaux de validité », explique Marilyn Hamilton qui a participé à l’élaboration du fauteuil ultraléger Quickie. « C’est un plus formidable pour les personnes handicapées. »

Entre-temps, les fauteuils roulants électriques, mis sur le marché pour la première fois au Canada dans les années 1950, se démocratisèrent eux aussi et permirent à des personnes dont la mobilité des bras est réduite de se servir, elles aussi, de fauteuils roulants.

 

L’HÉRITAGE DES INNOVATIONS

Ces fauteuils plus légers et plus maniables ont non seulement changé la vie des personnes qui les utilisent mais également la perception qu’elles ont d’elles-mêmes. L’histoire du développement des fauteuils roulants « montre les personnes handicapées comme des agents actifs orchestrant leur propre vie », explique Nicholas Watson. Des vies rendues plus mobiles et plus indépendantes.

Quid du futur des fauteuils roulants ? Nicholas Watson prédit que l’intelligence artificielle va intervenir de plus en plus dans la manœuvre des fauteuils roulants. Des ingénieurs travaillent à prévenir les dangereux mouvements de bascule que ceux-ci peuvent subir en y intégrant notamment des radars et des caméras. Désormais, fauteuils assis-debout, jantes personnalisées et roues customisées sont autant de nouveautés qui subviennent aux besoins individuels des utilisateurs tout en ajoutant une touche de style.

Où les fauteuils roulants vont-ils désormais mener leurs utilisateurs ? La réponse est affaire de temps, de progrès technologiques et de confiance dans les capacités inhérentes des personnes qui se déplacent en fauteuil roulant.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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