La Fête des sept poissons, un menu de Noël venu d'Italie

Ce festin de la mer est une tradition venue de l'Italie du sud, consacrée par les vagues d'immigrants italiens installés en Amérique dans les années 1900.

De Allie Yang
Publication 15 déc. 2023, 17:11 CET
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La Fête des sept poissons est célébrée d'autant de façons qu'il y a de personnes la célébrant. Les menus ont radicalement changé à plusieurs reprises depuis le début du 19e siècle, mais les concepts de famille et d'héritage demeurent au cœur de l'évènement.

PHOTOGRAPHIE DE Andrew Scrivani, The New York Times, Redux

La période de Noël est souvent une symphonie de plaisirs sensoriels : la douceur d'un sucre d'orge, l'odeur du pin, le carillon des cloches, la lueur des guirlandes lumineuses et, pour certains, le grésillement du poisson dans la cuisine.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de la tradition italienne de la « fête des sept poissons » dans des films et, récemment, dans la série à succès The Bear. Si vous demandez aux personnes qui la célèbrent de vous l’expliquer, vous obtiendrez de nombreuses réponses différentes.

Quelle est véritablement l'origine de cette fête et comment s'est-elle popularisée aux États-Unis ? Pourquoi le poisson, et pourquoi y en a-t-il sept ? Voici la vraie histoire de la fête des sept poissons.

 

DES RACINES ITALIENNES 

La fête des sept poissons est une tradition chère à de nombreuses personnes originaires du sud de l'Italie qui, le soir de Noël, se réunissent autour de sept plats, au moins, de fruits de mer différents. On y trouve de la baccalà, morue salée à la préparation intense, des calamari fritti au citron et à la sauce marinara, de la scarole farcie, de l'éperlan frit, des scungilli (conques) en salade de fruits de mer fraîche et des palourdes farcies à l'oreganata (origan).

Michael Di Giovine, professeur d'anthropologie à l'université West Chester de Pennsylvanie et auteur d’un livre sur la nourriture en tant qu’héritage culturel intitulé Edible Identities, explique qu’on ne parle pas de la « festa dei sette pesci » en Italie. On l’appelle simplement « la vigilia », ou « veille » de Noël. Le poisson n'est consommé à cette date que dans le sud de l'Italie.

Cela s'explique par le fait que la fête a évolué au cours des cent dernières années et est devenue typiquement italo-américaine.

Au tournant du 19e siècle, l'immigration italienne aux Etats-Unis a explosé, passant de 300 000 personnes dans les années 1880 à deux millions en 1900. À mesure que les immigrés italiens s'éloignaient de leur famille élargie et que leurs enfants grandissaient et se mariaient avec des Américains, la fête des sept poissons, alors appelée simplement « la vigilia » est devenue beaucoup plus extravagante. Selon Di Giovine, il s’agissait d’un moyen de se différencier, un marqueur d'identité. Elle est également devenue l’occasion de renforcer les liens avec la famille présente et les ancêtres.

 

POURQUOI DU POISSON ? POURQUOI SEPT ?

Une grande majorité des immigrés italiens aux États-Unis au tournant du 19e siècle venaient de l'Italie rurale du sud. Lorsque le pays a été unifié en 1861, ils ont obtenu de nouvelles libertés de la part d'une aristocratie affaiblie. Ils sont venus en Amérique pour y trouver du travail comme la construction de chemins de fer ou de gratte-ciels. Les familles rejoignaient des parents et des amis ayant réussi aux États-Unis.

Certains affirment que le poisson est devenu un repas de fête parce que les familles pauvres du sud de l'Italie y avaient facilement accès. D'autres soutiennent que cette tradition est due à la mer comme le lien entre l'ancienne et la nouvelle patrie des Italo-Américains, ou encore qu’on servait du poisson simplement car il est considéré comme un aphrodisiaque.

Bien que de nombreuses familles n'associent plus cette fête à la tradition catholique, la présence de poisson pourrait avoir une explication religieuse. Les premiers chrétiens utilisaient l'iconographie du poisson pour indiquer leur appartenance à leur communauté. Dans un récit biblique, Jésus se procure une grande quantité de poissons et invite ses disciples à devenir « pêcheurs d'hommes ». Aujourd'hui encore, le pape porte « l'anneau du pêcheur ».

Le chiffre sept est également sacré. Il s’agit du nombre de sacrements et de péchés capitaux. Dans la Bible, Jésus nourrit miraculeusement une foule avec sept pains et sept poissons. « Consommé en multiples de sept, le poisson pourrait donc être un symbole profond de sanctification et de revivification d'un grand groupe et de promesse d'une abondance continue pour la postérité », écrivait Di Giovine dans un article de 2010 sur le sujet.

 

UNE TRADITION EN CONSTANTE ÉVOLUTION

La culture italienne diffère selon les régions, les petites communautés se focalisant sur certains aliments locaux. Le nord et le centre de l'Italie ne mangeaient pas de poisson la veille de Noël et les immigrants qui sont arrivés aux États-Unis au tournant du 19e siècle venaient du Sud, où le poisson, l'huile d'olive, le vinaigre, les haricots, les tomates et les aliments frits comme la pizza fritta, ou calzone et les zeppoles, des beignets, sont des aliments traditionnels. 

Aux États-Unis dans les années 1900, le sentiment anti-Italiens était particulièrement fort et les Italiens venant de différentes régions étaient mis dans le même sac. Les traditions ont fini par se mélanger et par arriver à l'image américanisée actuelle de la cuisine pan-italienne, qui va de la pizza aux cannoli, propres à deux régions différentes en Italie.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Italiens ont été acceptés dans la société américaine. Ils se sont installés, comme tout le monde, dans les banlieues, leurs enfants sont allés à l'école avec ceux d'autres origines, et la popularisation de la télévision a homogénéisé les goûts de la population. La langue et la religion se perdent rapidement dans cette situation, explique Di Giovine, et la nourriture peut être un moyen de retrouver ses origines.

En 2004, le scénariste et réalisateur Robert Tinnell a publié une bande dessinée sur son expérience de la fête des sept poissons, qu'il a ensuite transformée en film en 2019. Ayant grandi dans le centre nord de l’État de Virginie-Occidentale, il relate avec émotion l’histoire de son arrière-grand-mère qui organisait la fête. Après sa mort, son grand-père et d'autres hommes de la famille ont pris le relais. Cette domesticité masculine, particulière, est également arrivée par nécessité, les hommes étant arrivés en Amérique les premiers, sans leurs femmes ou leurs filles.

Cependant, savoir où faire les courses, préparer le repas, comment le faire ainsi que se rappeler de son histoire et des traditions familiales sont rapidement devenues la responsabilité des mères, qu’elles devaient transmettre à leurs filles, explique Di Giovine. Ce sont également elles qui ont le dernier mot concernant les modifications à apporter aux recettes. Au fil du temps, les familles modifient souvent le menu pour le rendre plus facile, moins cher, plus abondant et plus adapté aux restrictions alimentaires.

« Ce n’est pas que nous sommes trop faibles pour ces responsabilités. Je sais moi-même cuisiner quelques plats qu’on peut mettre sur la table », explique Tinnell, en faisant référence à son arrière-grand-mère, « mais ma femme adore découvrir de nouvelles choses. Il y a quelques années, nous avons ramassé des huîtres et les avons installées à l'extérieur sur un feu. Nous les avons rôties dans leurs coquilles. Ma famille n'a jamais fait cela. Je n'échangerais pas pour autant ce temps passé avec mon beau-père, mes frères et tous les enfants, c'est quelque chose nouveau, et c'est ce qui compte vraiment... se réunir et partager une expérience. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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