Coronavirus : le confinement de l'Iran en images

Le regard d'une photographe iranienne sur la vie quotidienne d'un pays à l'arrêt.

De Newsha Tavakolian
Photographies de Newsha Tavakolian
Publication 23 mars 2020, 16:23 CET
Un an jour pour jour après la mort de Behrooz, le père de l'auteure, elle et ...
Un an jour pour jour après la mort de Behrooz, le père de l'auteure, elle et sa sœur sont allées déposer des fleurs sur sa tombe. Elles avaient prévu une grande cérémonie avec convives et buffet mais ont dû annuler en raison de la propagation du coronavirus à travers l'Iran. Habituellement très fréquenté à l'approche du Nouvel An iranien, le cimetière baignait cette fois dans une sinistre atmosphère, comme s'il avait été abandonné. « J'essayais de penser à mon père, mais j'étais trop préoccupée, » écrit Newsha Tavakolian.
PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

Je sors pour documenter la crise du coronavirus à Téhéran. En Iran, nous avons l'habitude des situations de crise et nous nous adaptons rapidement. J'enfile des gants en latex, je couvre d'un masque mon nez et ma bouche et place un gel désinfectant dans la pochette de mon appareil photo. C'est la nouvelle norme. Les rues habituellement bondées de passants et de voitures sont aujourd'hui désertes. J'essaie de respirer à travers le masque. J'étouffe. J'ai l'impression d'avoir mis les pieds dans une sorte de futur dystopique.

Le Nouvel An iranien est célébré le premier jour du printemps à travers tout le pays. D'habitude, la styliste Ida Afshar âgée de 33 ans parvient à vendre tout son stock de pulls et de manteaux dans les jours qui précèdent les festivités mais cette année, elle n'en a vendu que très peu en raison de la crainte provoquée par le COVID-19.
PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

Je descends d'un cran le masque. Un doux parfum de printemps flotte dans les airs. Ici, il annonce l'arrivée du Nouvel An iranien. Depuis des millénaires, bien avant la naissance de l'Islam et d'autres religions, les Iraniens débutent leur année en célébrant le cycle éternel du triomphe de la lumière sur l'obscurité. Le jour du printemps, amis, familles et proches se réunissent pour se souhaiter une nouvelle année pleine de santé. (A lire : Norouz : célébrer le printemps et la nouvelle année du calendrier persan)

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    Cette année en revanche, les autorités nous ont demandé de rester chez nous. La crise n'a pas été gérée correctement et à présent ils font de leur mieux pour essayer de la contenir. L'Iran fait partie des régions les plus touchées au monde par le coronavirus. Nous ne savons pas quand se terminera cette crise et cela nous inquiète.

    L'un de mes oncles préférés se bat contre le coronavirus. Chez lui. La surcharge des hôpitaux est telle qu'ils ont disposé des lits dans les parkings et les stades. « Restez chez vous, ne bougez pas et peut-être que vous vivrez, » lui ont dit les médecins dépassés. Ils lui ont donné quelques médicaments. On espère qu'il survivra.

    Un passage mène derrière l'immeuble où vit l'auteure à Téhéran. Même si le virus a vidé les rues, elle continue de se promener pour photographier sa ville.
    PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

    La peur est partout. Peur de la mort, peur du futur, peur de l'année terrible qui arrive.

    Je sors déjà d'une année atroce. Tout comme avec le coronavirus, la vie m'a forcée à m'arrêter et tout lâcher. Elle l'a fait d'une façon que je n'aurais jamais pu imaginer.

    Dans la résidence Ekbatan à l'ouest de Téhéran, les habitants se mettent à leur fenêtre chaque soir à 20 h pour danser et chanter. Des milliers de personnes sont en quarantaine dans ces bâtiments tentaculaires.
    PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

    J'étais l'une de ces photographes toujours en mission quelque part sur la planète, depuis 23 ans, pour saisir la souffrance des autres et tenter d'éveiller les consciences. Il y avait une certaine prévisibilité dans mon chaos : je courais toujours après les deadlines et je m'oubliais, moi, mais aussi mes proches.

    Parfois la vie vous frappe en plein visage, et elle m'a frappée avec violence.

    La mère de l'auteure, Jila, se tient devant la fenêtre de sa chambre pour scruter l'arbre qui fleurit dans le jardin. Ça « la rend heureuse, écrit Tavakolian, au moins pour un temps. »
    PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

    J'étais en train de dîner à Amsterdam au moment où mon mari resté en Iran m'a appelée pour me dire que mon tendre père, Behrooz, venait de mourir d'une crise cardiaque sous ses yeux à l'âge de 64 ans. Quelques jours après les funérailles, nouveau coup de théâtre, les autorités de la presse iranienne révoquent mon permis de travail sans raison. Il m'était désormais interdit de prendre des photos en Iran.

    J'ai été contrainte de tout arrêter. Tant mieux. Car ce n'était pas fini.

    Deux mois plus tard, notre femme de ménage a été tuée par une voiture qui l'a renversée juste devant notre immeuble. Aucune ambulance n'est venue et nous avons dû l'envelopper dans une couverture pour sortir son corps de la rue. Mon frère a ensuite été diagnostiqué d'un cancer du système lymphatique et a dû subir une chimiothérapie.

    Je me suis retirée dans notre appartement. Aujourd'hui, ils appellent ça une auto-quarantaine, mais pour moi ce n'était ni plus ni moins qu'une dépression. La poussière s'est accumulée sur mes appareils photo. Pour la première fois depuis mes 16 ans, je ne prenais plus de photos. Je ne voulais pas parler. J'essayais même de ne pas penser.

    La douleur m'a forcée à affronter mes problèmes. J'étais accro au travail, un sentiment de culpabilité m'envahissait dès que j'avais besoin d'amour ou de temps pour moi. Cet arrêt d'urgence a brisé mon interminable cycle de missions et de voyages. Le temps qu'il m'a donné m'a permis d'apprécier la beauté des petites choses de la vie. Des arbres en fleurs aux yeux étincelants de mon mari, ralentir réveille vos sens.

    Statut, célébrité et, par-dessus tout, aisance financière, ces objectifs qui m'apparaissaient comme des concepts clairs sont aujourd'hui devenus abstraits et sans importance. Depuis ma pause forcée, je me sens plus libre et joyeuse que jamais.

    Mon père est mort il y a exactement un an. Notre famille avait prévu une grande cérémonie pour célébrer sa mémoire, les invités étaient conviés et la nourriture commandée. Nous avons dû tout annuler, avec beaucoup de tristesse, mais que pouvions-nous faire ? Nous avons décidé d'aller au cimetière Behest-e Zahra de Téhéran. Il est immense et d'ordinaire très fréquenté. Les Iraniens aiment rendre visite à leurs proches disparus, surtout dans les semaines qui précèdent la nouvelle année. Mais à notre arrivée, il était vide. Il n'y avait personne. On se serait presque cru dans un film d'horreur.

    Le virus provoque également un stress énorme. Ma sœur est sortie acheter des fleurs pour la tombe de mon père et des passants l'ont réprimandée parce qu'elle ne portait pas de gants. Le coronavirus est si contagieux qu'il faut toujours être attentif, une angoisse constante. J'essayais de penser à mon père, mais j'étais trop préoccupée.

    Les millions d'habitants que compte Téhéran sont bloqués chez eux pendant la pandémie de coronavirus. Les hôpitaux sont tellement surchargés que même les patients infectés sont renvoyés chez eux pour se soigner.
    PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

    Mon accréditation m'a été rendue il y a trois mois et je peux de nouveau travailler ici. J'arpente les rues de Téhéran et différents sentiments m'envahissent. J'ai peur de ce que nous réserve l'avenir, peur de voir des proches mourir et peur d'être moi-même en danger. Mais la nature collective et mondiale de cette interruption me réconforte. Nous surmonterons cette épreuve tous ensemble, personne n'est seul chez lui car nous sommes tous chez nous. Face aux contraintes, l'unité.

    Fatiguée de rester enfermée, la sœur de l'auteure enfile un masque pour jouer au badminton avec ses amis.
    PHOTOGRAPHIE DE Newsha Tavakolian, National Geographic

    L'autre jour, le téléphone de ma mère a sonné. À l'autre bout du fil, une femme qui s'était trompée de numéro. Elles ont parlé pendant une heure et ont découvert qu'elles avaient toutes deux perdu leur mari dans l'année qui venait de s'écouler. Le mariage de mes parents, Jila et Behrooz, aura duré 46 ans. Au moment de raccrocher, ma mère riait. « Ça m'a fait du bien, » m'a-t-elle dit. À moi aussi.

    En plus du virus, le peuple iranien est tourmenté par les sanctions commerciales, le chômage et la menace de guerre. Certains ne prennent pas le coronavirus au sérieux et continuent de voyager ou de se rassembler. Une catastrophe est peut-être à l'œuvre. Je vous souhaite une bonne année et un joyeux printemps à tous, où que vous soyez. Puisse notre civilisation s'épanouir.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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