Ces photographies révèlent les merveilles invisibles de notre monde

La tête d’une abeille en gros plan, les teintes arc-en-ciel d’une limande et les faisceaux lumineux des feux de circulation... Anand Varma, explorateur National Geographic et photographe, nous invite à voir le monde autrement.

De Anand Varma
Publication 4 oct. 2023, 15:00 CEST
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La photographie peut figer plusieurs moments dans le temps, comme dans cette image de feux de circulation prise avec une longue exposition par une nuit brumeuse près de Weimar, en Allemagne.

PHOTOGRAPHIE DE LUCAS ZIMMERMANN

Enfant, je rêvais de devenir biologiste marin et de passer ma vie au bord de la mer. Comme j’ai grandi dans une banlieue enclavée d’Atlanta, j’ai réalisé ce fantasme en installant des aquariums à la maison. À 14 ans, j’ai commencé à travailler dans le magasin d’aquariophilie de mon quartier. À 16 ans, je possédais sept aquariums. Puis, à 20 ans, on m’a présenté au photographe David Liittschwager qui m’a engagé pour l’aider à réaliser un reportage sur la vie marine pour le magazine National Geographic.

Nous avons passé dix jours à bord de l’Oscar Elton Sette, un navire de recherche de 68 mètres de long du National Oceanic and Atmospheric Administration Service (NOAA), au large de la côte de Kona, à Hawaï. La mission de David consistait à documenter l’incroyable biodiversité à la surface de l’océan. Mon rôle était de collecter des spécimens pour qu’il les photographie. 

Tous les soirs, une fois la mission scientifique du Sette terminée, je lançais une lampe flottante depuis le côté bâbord du navire. Comme des papillons de nuit attirés par une flamme, de mystérieuses créatures émergeaient des profondeurs pour scruter la lumière, dont des bébés anguilles aux reflets chatoyants, de minuscules crabes transparents ou des calmars scintillants. Je choisissais alors soigneusement un ambassadeur pour chaque espèce et les plaçais dans des aquariums en attendant que David les prenne en photo.

Ces soirées à bord du Sette me donnaient l’impression d’être sur une autre planète. Après chaque séance, je restais là, à contempler mon éblouissante collection ; je n’avais jamais imaginé qu’il puisse exister de telles étrangetés dans nos océans. Je ne quittais pas les aquariums des yeux, ces êtres extraterrestres captant toute mon attention. Pourtant, ce n’est que lorsque j’ai vu les photos de David que j’ai véritablement saisi la magie de ce que j’avais sous les yeux. 

Un objectif macro, une vitesse d’obturation rapide et un éclairage précis ont permis de dévoiler des détails éblouissants sur cette jeune limande.

PHOTOGRAPHIE DE David Littschwager

J’ai été tout particulièrement frappé par le cliché ci-dessus d’un bébé limande. J’avais attrapé ce poisson par accident, en le remontant alors que j’avais une tout autre cible en vue. Ce n’est que plus tard, lorsque j’ai inspecté le contenu de mon bocal, que j’ai remarqué deux petits globes oculaires qui me fixaient. Tout ce que je pouvais discerner d’autre était le contour légèrement frétillant de son corps transparent.

Le portrait de cette limande a révélé un univers de détails que même mes yeux enthousiastes n’avaient pas remarqué. Son objectif macro a magnifié les côtes finement articulées du poisson. L’exposition, rapide comme l’éclair, a figé son mouvement, et rendu des contours parfaitement définis. La lumière orientée avec précision a libéré l’arc-en-ciel caché sous sa peau. Enfin, l’arrière-plan noir a éliminé toute forme de distraction pour concentrer notre attention sur la beauté tranquille de l’animal.

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    Cet essai est tiré du livre de 368 pages d’Anand Varma, Invisible Wonders : Photographs of the Hidden World.

    PHOTOGRAPHIE DE David Littschwager

    Des années après ce projet à Hawaï, je faisais de la plongée en apnée de nuit sur un récif peu profond en Polynésie française. Dans l’obscurité, un autre bébé limande est apparu et s’est posé sur mon masque. Cette fois, je savais quoi chercher : j’ai donc orienté ma lampe de poche vers le petit poisson et ai observé les couleurs chatoyantes et les arrêtes délicates que la photo de David m’avait exposé pour la première fois. 

    Avant de travailler pour David, je pensais que le but de la photographie était simplement de reproduire une expérience pour que d'autres puissent aussi en profiter. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que la photographie pouvait élargir notre perception visuelle et ainsi nous apprendre à voir le monde autrement. 

    Taille. Temps. Lumière. Mise au point. Tels sont les paramètres modulés par David qui m’ont permis de mieux comprendre cette petite limande. Et ce sont les outils que la photographie nous donne pour observer et révéler les merveilles invisibles de notre monde.

    En utilisant la mise au point pour diriger l’attention de l’observateur, un photographe peut mettre en évidence des couches de complexité et de détails, comme sur cette photographie d’un poulpe pâle (Octopus pallidus).

    PHOTOGRAPHIE DE David Liittschwager
    Gauche: Supérieur:

    Ce gros plan révèle les dents de la mâchoire d’une plante carnivore, la dionée attrape-mouche, qui se referme sur sa proie.

    PHOTOGRAPHIE DE HELENE SCHMITZ
    Droite: Fond:

    Ce portrait d’un cardinal rouge mâle met en évidence les détails de son plumage rouge vif, utilisé pour attirer les femelles.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Flach

    Commençons par évoquer la taille. Lorsque les rédacteurs du National Geographic m’ont demandé de prendre des photos dans le cadre d’un reportage sur les abeilles, je reconnais ne pas avoir fait preuve de beaucoup d’enthousiasme. Ces minuscules pollinisateurs avaient déjà fait l’objet de tant d’attention de la part des médias que je ne voyais pas comment j’allais pouvoir innover. Mais en tant que jeune photographe peu sûr de lui, comment pouvais-je refuser ? J’ai donc prétendu être intéressé par la mission, que j’ai décrochée sans aucune idée de comment l’accomplir.

    J’ai commencé par apprendre à élever des abeilles dans mon jardin de Berkeley, en Californie, en espérant qu’avec suffisamment de temps passé à les étudier, je découvrirais une nouvelle façon de les présenter au monde. C’est alors que j’ai un jour remarqué quelque chose d’anormal : une jeune abeille s’était retrouvée coincée en sortant de la ruche. Grâce à une astuce apprise auprès d’un entomologiste, j’ai arraché un de mes cils et ai utilisé sa pointe fine et flexible pour écarter quelques débris de la tête de l’abeille. J’ai ensuite placé une lampe derrière la ruche pour faire briller la cire environnante. 

    La tête poilue de l’abeille est nettement définie grâce à la technique du focus stacking, qui consiste à combiner des photos similaires avec des plans focaux différents afin d’obtenir une plus grande profondeur de champ.

    PHOTOGRAPHIE DE Anand Varma

    La position de l’abeille m’a permis d’approcher mon appareil photo et d’immortaliser des caractéristiques de sa tête que je n’avais pas remarquées auparavant, à l’image de ses antennes articulées et de sa face poilue. J’avais passé un an à m’occuper de ma ruche, pourtant jusque-là, je n’avais jamais examiné une abeille de cette façon. Une fois face à face, l’intimité de la situation m’a fait me questionner autrement. Comment cette créature perçoit-elle son environnement ? Comment me perçoit-elle ? À quoi servent tous ces poils ?

    Nous avons tendance à mieux nous identifier aux êtres de notre taille, ou du moins aux créatures que nous pouvons voir à l’œil nu. Lorsque la photographie agrandit un sujet, elle peut briser cette barrière, et nous ouvrir à de toutes nouvelles perspectives. 

    Le temps a un potentiel similaire. En 2015, j’ai rencontré l’expert en chauves-souris Rodrigo Medellín dans la péninsule du Yucatán, au Mexique, où son équipe avait repéré une famille de chauves-souris appartenant à l’espèce Chrotopterus auritus, l’une des plus grandes du continent américain. Le National Geographic souhaitait que je photographie les chauves-souris. Medellín m’a alors demandé d’apporter un enclos pour que nous puissions travailler avec elles en captivité. J’ai apporté une cage de frappeur pliable utilisée pour les entraînements de baseball et l’ai installée au pied du lit de ma chambre d’hôtel. Nous avons ensuite relâché une chauve-souris à l’intérieur.

    Du fait de leur vitesse et de leur furtivité, les chauves-souris sont pratiquement impossibles à photographier. Pour inciter le carnivore à voler sur commande à travers la cage, Medellín a donc eu recours à une technique astucieuse qui consistait à attirer l’animal à l’aide de morceaux de poulet cru. Grâce à cela, je pouvais prédire où se trouverait la chauve-souris, et à quel moment. J’ai réglé mon appareil photo sur 3 images par secondes sachant que je n’enregistrerais qu’une empreinte floue du mouvement rapide de la chauve-souris. Mais avant que l’appareil ne termine son exposition, j’ai déclenché un bref éclair de lumière, ce qui a eu pour effet de créer une image bien définie de la chauve-souris, superposée à sa forme impressionniste. 

    Nous pensons souvent qu’une photographie ne fige qu’un seul instant, alors que cette image immortalise simultanément deux intervalles de temps différents : l’un est trop rapide pour que nous le voyions et l’autre trop lent. Notre perception naturelle se situe quelque part entre les deux, comme une série d’étapes temporelles qui s’enchaînent pour former un film dont nous ne pouvons changer le rythme. La photographie nous donne des moyens uniques et modulables d’explorer et de portraiturer le passage du temps.

    Les photographies aériennes, comme cette vue de phoques crabiers sur et autour d’un iceberg dans le canal d’Errera en Antarctique, offrent de nouvelles perspectives.

    PHOTOGRAPHIE DE Cristobal Serrano

    Quant à la lumière, voyez comment le brouillard transforme les faisceaux des feux de circulation sur cette pose longue de Lucas Zimmermann. Chaque photographie est une collaboration avec la lumière. Les photographes orientent la lumière de manière astucieuse ou la manipulent pour révéler des motifs cachés. En utilisant les capacités des appareils photo à détecter les couleurs invisibles à l’œil humain, ils élargissent notre expérience sensorielle.

    Et la mise au point ? Au sens large, la mise au point est la manière dont les photographes dirigent notre attention. Usant de leurs compétences techniques pour créer une composition réfléchie, ils nous obligent à ralentir et à considérer les couches de complexité et de détails d’une scène susceptibles de nous échapper au premier coup d’œil.

    Lorsque j’ai décidé de me lancer dans la photographie, j’ai cru que je devrais abandonner mon rêve d’enfant de devenir un jour scientifique. Mais plus je travaille dans les deux domaines, plus je comprends qu’ils se renforcent mutuellement. C’est le principe du WonderLab, un centre de recherche que j’ai récemment créé.

    Une photographie captivante peut nous changer. Elle façonne ce que nous remarquons, remet en question nos hypothèses et excite notre curiosité. Elle nous incite à faire place à de nouvelles idées et à élargir notre cercle de compassion. Une photographie à la fois belle et déroutante constitue un excellent point de départ pour donner un sens à la stupéfiante complexité qui nous entoure.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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