"Bébés Ozempic" : le GLP-1 pourrait influencer la fertilité
Les scientifiques commencent à comprendre quels effets ces traitements médicamenteux pourraient avoir sur la fertilité.

Développés pour traiter le diabète, les médicaments GLP-1 sont parfois utilisés pour perdre du poids. Les chercheurs étudient leur influence sur la fertilité et la grossesse.
Lorsque les médicaments GLP-1 ont été approuvés aux États-Unis pour la perte de poids, des unes de journaux du type « Je suis tombée enceinte sous Ozempic » ont fait leur apparition. Beaucoup parlaient de grossesses soudaines et inattendues, et le terme de « bébé Ozempic » est entré dans l’usage. En France, les médicaments analogues du GLP-1 peuvent être prescrits pour perdre de poids uniquement à des fins médicales, non pas pour l’esthétisme.
Est-ce qu’un traitement médicamenteux pensé à l’origine pour traiter le diabète, et utilisé pour perdre du poids pourrait également doper la fertilité ? Pour certains, et surtout pour les personnes qui combattent l’infertilité, ces déclarations ont été une lueur d’espoir. Pour d’autres, elles étaient synonymes d’angoisse. Ces médicaments pourraient-ils rendre les traitements contraceptifs moins efficaces ?
La réalité n’est pas si simple. Bien que les anecdotes soient légion, les scientifiques tentent toujours de comprendre comment les agonistes du récepteur au GLP-1, comme Ozempic, Mounjaro, Zepbound et Wegovy, affectent la reproduction et la perte de poids. Les personnes souffrant de conditions spécifiques pourraient tirer parti du meilleur contrôle de l’insuline et de la santé métabolique qui accompagne la prise de ces médicaments, et la fertilité serait susceptible d’en profiter. Mais pour d’autres, la fertilité est le reflet du travail commun des hormones, du métabolisme et du poids, soumis au discret passage du temps.
L’OZEMPIC PEUT-IL RENDRE LES TRAITEMENTS CONTRACEPTIFS INEFFICACES ?
Les agonistes du récepteur au glucagon-like peptide-1 (GLP-1) imitent les effets d’une hormone naturelle qui régule la glycémie et l’appétit. Ces récepteurs sont dispersés à travers les intestins, le cerveau et le pancréas, leurs effets se répandent ainsi largement dans le corps. Les médicaments GLP-1 ralentissent la vidange gastrique. La nourriture reste plus longtemps dans l’estomac et prolonge la sensation de satiété. En conséquence, on ressent moins la faim et la soif, le contrôle de l’insuline est amélioré, tout comme les marqueurs cardiovasculaires et, pour beaucoup, on remarque une perte de poids.
Mais la prise d’Ozempic pourrait-elle vraiment avoir des effets sur la contraception ? « Je n’ai eu vent d’aucune publication scientifique qui témoigne d’un changement sur les taux de grossesses eux-mêmes », remarque Jessica Skelley, professeure en pharmacologie de l’université Samford à Birmingham, dans l’État de l’Alabama. Mais « au moment de la prise orale d’un médicament, celui-ci passe par l’estomac sur sa route vers le petit intestin, c’est là que la plupart des médicaments sont absorbés », explique-t-elle. Le fait que les GLP-1 ralentissent la vidange gastrique signifie que les médicaments passeraient plus de temps dans l’estomac, ce qui retarderait leur absorption.
Pour découvrir si c’était bien le cas, Jessica Skelley et ses collègues ont passé en revue les ouvrages et articles scientifiques qui mesuraient la quantité de traitement contraceptif dans le sang lors de la prise de médicaments GLP-1. Ils ont découvert que les sémaglutides (Ozempic, Rybelsus, Wegovy) ne réduisaient pas pas la concentration de contraceptifs dans le sang, et ne retardaient pas leur absorption. D’autres GLP-1, comme l’exénatide (Byetta, retiré de la vente), le liraglutide (Victoza) et le dulaglutide (Trulicity) réduisaient les taux de plasma des contraceptifs oraux jusqu’à 45 % et retardaient leur absorption jusqu’à trois heures et demie. Ce n’est cependant pas suffisant pour que ces moyens de contraception perdent de leur efficacité.
« Lors de la prise de sémaglutide, l’estomac se vide plus lentement et peut affecter l’absorption par le corps de médicaments pris par voie orale », a expliqué Novo Nordisk, le fabricant de sémaglutide, au cours d’une déclaration. « Nous recommandons à tous les patients qui songent à prendre un traitement par voie orale en même temps que des injections de sémaglutide de ne pas prendre ces décisions à la légère et de demander conseil à un spécialiste. »
Pour le tirzépatide, commercialisé sous les dénominations Mounjaro et Zepbound, c’est une autre histoire. Il réduit les taux d’hormones dans le plasma jusqu’à 66 % et retarde les effets maximums jusqu’à quatre heures et demie. « Nous avons fait ces observations avec une dose de 5 milligrammes, l’une des doses les plus basses de tirzépatide », explique Jessica Skelley. « Même cette dose très basse avait des conséquences profondes. »
Jessica Skelley explique que le tirzépatide n’est pas qu'un médicament GLP-1. Il active également un autre récepteur, le récepteur du peptide insulinotrope dépendant du glucose. Cette double action le rend tout particulièrement puissant. En conséquence, il engendre moins d’effets secondaires que les autres agonistes du GLP-1, fait perdre plus de poids et assure un meilleur contrôle de l’insuline, ajoute Jessica Skelley.
Et pourtant, lors de sa prise, « la vidange gastrique est encore plus retardée, ce qui conduit à l’interaction médicamenteuse entre le tirzépatide et les contraceptifs hormonaux oraux ». Selon les recommandations de la Food and Drug Administration (FDA, autorité fédérale du médicament et des aliments américain, au rôle en partie comparable à l’ANSM), les patients doivent avoir recours à une méthode contraceptive mécanique lors de leurs injections de tirzépatide, ainsi qu’à chaque augmentation des dosages.
Au cours d’un communiqué, Eli Lilly, fabricant de tirzépatide, a déclaré que « les notices approuvées par la FDA pour Zepbound et Mounjaro expliquent que le tirzépatide peut réduire l’efficacité des contraceptifs hormonaux oraux, en raison du ralentissement de la vidange gastrique. Il est recommandé aux patients ayant recours à des méthodes de contraception orale de passer à une méthode non orale ou d’utiliser une contraception mécanique durant quatre semaines après la première injection de tirzépatide, et durant quatre semaines après chaque augmentation du dosage. »
Les experts mettent tout de même en garde contre l’idée reçue que les médicaments GLP-1 augmentent la fertilité chez les patients. La contraception serait « un peu plus susceptible [de ne pas fonctionner] lors d’un traitement qui diminue l’absorption », explique Christina Boots, endocrinologue spécialisée en reproduction et spécialiste en infertilité au sein de l’université Northwestern de Chicago, dans l’État de l’Illinois. Mais « avez-vous commencé à faire plus d’exercice ? Mangez-vous plus sainement ? Est-ce que cette période était différente à d’autres égards, ou était-ce seulement le médicament que vous avez pris ? »
LES GLP-1 PEUVENT-ILS AIDER LES PERSONNES ATTEINTES DE SOPK ?
Bien sûr, cela ne s’applique qu’aux personnes qui ne rencontrent pas déjà de problème de fertilité. Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est « la maladie endocrinienne qui touche le plus souvent les femmes », explique Nanette Santoro, professeure et chaire de médecine obstétrique et gynécologique de l’université du Colorado à Boulder. Cette maladie affecte jusqu’à 15 % de la population féminine. Nanette Santoro a joué le rôle de consultante auprès d’entreprises pharmaceutiques sur l’élaboration de médicaments ayant trait à la santé reproductive. Parmi elles, Bayer, Novo Nordisk, Astellas et Perigo.
Comme son nom l’indique, le SOPK commence dans les ovaires. Et il s’agit de l’une des causes d’infertilité les plus communes. Les patientes atteintes n’ovulent pas régulièrement et produisent généralement plus d’androgènes qu’elles ne le devraient, telles que la testostérone. Beaucoup rencontrent aussi une résistance à l’insuline, remarque Nanette Santoro. « Les femmes atteintes de SOPK ont tendance à prendre du poids », dit-elle. « Et plus elles prennent du poids, plus il y a de retombées sur leur fertilité. On voit donc une relation claire entre le SOPK et l’obésité. »
Pour les personnes qui développent une résistance à l’insuline et qui prennent du poids suite à un SOPK, Christina Boots remarque que le contrôle de l’insuline, et la perte de poids qui l’accompagne peuvent faire diminuer les symptômes, peu importe le médicament utilisé ou la méthode suivie. « Près de 20 % des femmes qui commencent à prendre de la metformine [un autre médicament prescrit dans le traitement du diabète, qui cible la résistance à l’insuline] remarquent que le traitement s’accompagne d’une meilleure ovulation », explique l’endocrinologue.
Les GLP-1, continue-t-elle, pourraient avoir un effet similaire « parce que, chez la plupart des femmes souffrant de SOPK, l’obésité est intimement liée à la résistance à l’insuline. Je pense qu’elles en tireraient plus parti que la personne moyenne atteinte d’obésité. Les médicaments GLP-1 semblent aider certains problèmes métaboliques et pourraient participer à rendre les menstruations plus régulières chez les personnes atteintes de SOPK. »
Malheureusement, avertit Christina Boots, il n’existe aucune preuve tangible que les GLP-1, et surtout les nouveaux médicaments, comme Mounjaro, améliorent avec certitude les chances d’ovulation ou de grossesse chez les patientes souffrant de SOPK. Du moins pas encore. « Nous avons toutes les connaissances sur la physiologie et nous comprenons toutes ces autres études qui ont montré une perte de poids ou une amélioration de la résistance à l’insuline, et nous avons vu du progrès », dit Christina Boots. « Alors à présent que nous avons ce nouveau super médicament qui accomplit ces deux choses mieux qu’aucun autre, je pense que nous allons voir beaucoup d’améliorations. Des études suivront. »
LA FERTILITÉ NE DÉPEND PAS QUE DU POIDS
Même chez les personnes qui ne souffrent pas de SOPK, le poids pourrait jouer un rôle dans la fertilité, dans certains cas. Certaines recherches suggèrent que, pour les personnes résistantes à l’insuline, les améliorations métaboliques peuvent aider à restaurer une ovulation régulière. Mais les preuves restent partagées. En prenant du poids, « il se produit un changement relatif de la capacité à tomber enceinte chaque mois », explique Nanette Santoro.
Au cours de ses propres études, Nanette Santoro a découvert que les hormones associées à la fertilité ont tendance à diminuer alors que les personnes prennent du poids. Les mêmes observations se produisent lorsque l’on en perd. Un poids extrêmement faible est également associé à des taux d’hormones réduits et une baisse de la menstruation.
Pourtant, la taille seule ne détermine pas la fertilité. « Je déteste cette idée reçue que l’on est infertile parce qu’on est gros », déclare Christina Boots. « Je ne veux pas que l’on puisse l’entendre. Les personnes en surpoids subissent déjà suffisamment de honte de la part des autres. Tout comme celles qui ne parviennent pas à tomber enceintes. »
Chez certaines personnes au poids important, en perdre peut affecter les chances de tomber enceinte. « J’ai mené quelques études sur des grossesses entreprises après une chirurgie bariatrique », explique Kate Maslin, chercheuse en santé maternelle et pédiatrique attachée à l’université de Plymouth, en Angleterre. « Dans cette population, il n’était pas inhabituel pour les patientes de tomber enceinte sans le vouloir parce qu’elles avaient perdu tellement de poids que leur ovulation s’était, pour ainsi dire, recalibrée. » Si des patientes subissaient une perte de poids rapide qui ressemblerait à une chirurgie bariatrique, mais par le biais de GLP-1, Kate Maslin déclare : « Il y a une possibilité qu’elles recommencent à ovuler. »
Toutefois, les résultats récoltés par les études sur la perte de poids manquent de cohérence. Au cours d’une étude menée en 2022, Nanette Santoro a révélé qu’après seize semaines d’exercice, de contrôle des repas et de prise d’un orlistat vendu sans ordonnance aux États-Unis, Alli, « nous n’avons pas remarqué d’amélioration du taux de grossesse ». Dans le cadre d’une étude similaire, réalisée en 2016 aux Pays-Bas, l’intervention de perte de poids a entrainé une légère baisse du taux de grossesse. Une revue de 2025 de douze essais à petite échelle a révélé des gains modestes pour ce qui était de la conception naturelle, mais n’avait aucune conséquence sur les fécondations in vitro (FIV).
Le chemin vers la fertilité est rendu d’autant plus complexe par la façon dont les médecins traitent le poids. Jacquelyn Gill, paléoécologiste de l’université du Maine à Orono, est en surpoids et a cherché de l’aide pour ses problèmes de fertilité après avoir peiné à concevoir durant un an en 2014. Le premier médecin qu’elle a vu, raconte-t-elle, lui a dit : « Pourquoi n’attendez-vous pas un an, perdez autant de poids que vous pouvez, puis revenez et nous en discuterons. » Aucun test n’a été mené.
Jacquelyn Gill, alors âgée de trente-trois ans, raconte qu’on ne lui a donné aucun autre conseil que de faire un régime et de faire de l’exercice. « On veut que les patients soient en bonne santé, explique Nanette Santoro, mais nous stressons les femmes en les forçant à perdre du poids et à suivre des protocoles très rigoureux qui ne les aident finalement pas ? » Les médicaments GLP-1 pourraient représenter une solution plus efficace, dit-elle, en encourageant une perte de poids sans impact psychologique.
Les recherches restent toutefois peu nombreuses. « Il n’y a aucune, je dis bien aucune étude qui s’intéresse aux effets des agonistes du récepteur au GLP-1 et de leurs conséquences sur la fertilité, les menstruations ou les femmes qui n’ont pas de SOPK. » C’est ce que déclare Zaher Merhi, endocrinologue spécialisé en reproduction au Rejuvenating Fertility Center et à la faculté de médecine Albert Einstein. En ligne, remarque-t-il, les patients pensent souvent que les médicaments améliorent la fertilité. « Ce sont des histoires anecdotiques. “Mon amie l’a pris et est tombée enceinte le mois d’après”, ce genre de choses », dit-il. « Je pense que nous sommes à la recherche d’un remède magique, non ? »
Mais les études sur les grossesses et les hormones ne sont pas assez nombreuses pour prouver une connexion, insiste Zaher Merhi. Il souhaite voir « la fonction ovarienne et la qualité des ovules, ou la fonction utérine et une biopsie de la muqueuse. Je ne parle pas seulement du niveau cellulaire, mais aussi du niveau hormonal. »
LES MÉDICAMENTS GLP-1 AFFECTENT-ILS AUSSI LA FERTILITÉ MASCULINE ?
Ce n’est que trop facile de se concentrer uniquement sur l’anatomie féminine quand il est question de fertilité. Mais « dans la moitié des cas, lorsqu’un couple rencontre des problèmes de fertilité, c'est l’homme qui est en "cause" », explique Michael Eisenberg, urologue spécialisé en reproduction au sein de la faculté de médecine de Stanford. La plupart des maladies qui affectent la santé générale ont également des conséquences sur la reproduction masculine, continue-t-il. Le diabète, par exemple, peut réduire la qualité du sperme et affecter les fonctions sexuelles, tout comme l’hypertension artérielle.
« En règle générale, ce que je dis tout le temps c’est que, si le cœur est impliqué, cela peut avoir des conséquences sur la reproduction. »
Tout comme il existe une association entre le poids et les hormones reproductives dans le corps des femmes, « il existe une corrélation entre l’indice de masse corporelle et la qualité du sperme », déclare Michael Eisenberg. Le surpoids pourrait étouffer la réponse du corps à l’axe gonadotrope, le circuit hormonal qui régule la reproduction. Ou bien cela pourrait simplement augmenter la température testiculaire.
« Les testicules sont situés en dehors du corps parce qu’ils ont besoin d’être plus frais. Et avoir une isolation plus importante dans cette région pourrait la réchauffer et rendre la spermatogenèse moins efficace. » Les inflammations chroniques pourraient aussi être responsables.
Mais on ignore si les GLP-1 ont un effet positif ou négatif sur le nombre de spermatozoïdes, les fonctions sexuelles ou autre. Au cours d’une étude menée en 2022, financée par Novo Nordisk, la perte de poids induite par l’exercice ou un médicament GLP-1 augmentait le nombre de spermatozoïdes et ne semblait pas représenter trop de risques. Mais les études sont « très limitées », avertit Michael Eisenberg. « Ce sont seulement quelques études qui ne révèlent aucun effet négatif. »
PEUT-ON PRENDRE DE L’OZEMPIC EN ÉTANT ENCEINTE ?
Dans certains cas, l’Ozempic pourrait aider à tomber enceinte, mais une fois la grossesse amorcée, c’est une tout autre affaire. Les études menées sur des animaux ont montré que de fortes doses de GLP-1 peuvent aboutir à des problèmes au niveau du fœtus, en partie parce que les médicaments réduisent tant l’appétit. « Les mères ne consomment pas suffisamment de calories », explique Kate Maslin. « Le poids du fœtus s’en voit réduit et on observe une sorte d’ossification réduite, et des anomalies congénitales potentielles chez le petit. » Ces problèmes n’ont pas été observés chez l’humain, mais il n’y a également eu aucune étude délibérée sur les effets des GLP-1 lors d’une grossesse.
À l’heure actuelle, les médecins suggèrent habituellement d’arrêter tout traitement GLP‑1 avant de tenter de concevoir. « Faire grandir un humain brûle des calories », explique Christina Boots. « Il ne faut pas affamer notre corps. » À cause de la nouveauté de ces médicaments, remarque l’endocrinologue, les scientifiques ignorent les effets qu’ils pourraient avoir sur le métabolisme de l’enfant.
Dans un communiqué, Novo Nordisk, fabricant d’un sémaglutide GLP-1, a déclaré : « Les tests animaux menés pour Wegovy® en particulier ont laissé penser qu’il pourrait y avoir un risque pour le fœtus, et perdre du poids durant la grossesse n’a aucun bienfait et pourrait être néfaste. Si une grossesse se poursuit, les patients doivent arrêter les injections de Wegovy® et solliciter les conseils d’un professionnel de santé. Les données cliniques et de post-commercialisation à notre disposition sont encore trop limitées pour déterminer si le sémaglutide est associé à des malformations congénitales majeures, à des fausses-couches ou à d’autres effets indésirables. »
QUAND LA PERTE DE POIDS RETARDE LES SOINS DE FERTILITÉ
L’interaction entre le poids et la fertilité est un concept dont la compréhension est difficile à saisir. Jacquelyn Gill a tenté, sans y parvenir, de perdre du poids durant des années, tout en essayant de concevoir un enfant. « J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir », témoigne-t-elle. « J’évitais la charcuterie. J’évitais le soja parce que cela peut jouer sur vos hormones et vous empêcher de tomber enceinte. Je mangeais sainement, je faisais de l’exercice. Je ne prenais pas de bains chauds, j’ai fait tout ce que j’ai pu, tout en gérant mon stress. Parce que, oui, on peut être stressée. »
Pendant ce temps, explique-t-elle, les médecins refusaient de s’intéresser à toute autre maladie qui pourrait avoir un effet sur son infertilité, dont l’adénomyose, un épaississement de la paroi utérine qui peut impacter la fertilité. L’un des médecins à qui elle s’est adressée lui a dit qu’« il ne serait pas éthique de ma part de vous traiter étant donné votre indice de masse corporelle ».
Lorsqu’elle a trouvé un médecin qui l’écoutait et lui fournissait une assistance, Jacquelyn Gill avait déjà perdu quatre ans. Malgré un traitement, une insémination intra-utérine, et une gestation pour autrui (GPA), elle n’était pas en mesure de concevoir. L’expérience qu’elle a vécue, être rejetée pour son poids, gérer la douleur de son adénomyose, de son infertilité, de son régime, et plus encore, était éreintante, tant sur le plan physique que sur le plan émotionnel. « Nous sommes des êtres humains qui vivons l’évènement le plus dur que nous ne vivrons jamais », déclare-t-elle.
Quand un patient cherche de l’aide pour traiter son infertilité, il peut être découragé par les limites de poids imposées par les cliniques ou les médecins, comme ceux que Jacquelyn Gill a pu rencontrer, qui leur recommandent de perdre du poids sans suggérer d’autres interventions. « Les femmes obèses et en surpoids ne sont pas traitées comme les autres dans le monde de la fertilité », déplore Zaher Merhi.
Parfois, remarque-t-il, d’autres cliniciens ne chercheront même pas à déceler des problèmes de fertilité. Ils s’arrêteront au poids du patient. « Quand on se rend faire une évaluation de fertilité, la première chose qu’ils disent c’est de perdre du poids et de revenir dans un an. Pourquoi ne pas chercher à suivre les protocoles de base pour les deux partenaires ? De vérifier la qualité du sperme ? » se demande l’endocrinologue.
Ce délai de traitement est d’autant plus stressant que les couples cherchent à avoir des enfants de plus en plus tard dans leur vie. « Pour certaines femmes, leur réserve [d’ovules] et leurs ovaires pourraient diminuer au cours de cette période », explique Nanette Santoro. « Rejeter des patients en leur disant de perdre du poids sans leur donner d’autres outils efficaces est presque cruel ». Zaher Merhi ajoute : « Les patientes peuvent commencer leur ménopause, ou les médecins leur disent “Nous avons dépassé la limite d’âge et, maintenant, vous êtes trop vieille”. » Jacquelyn Gill remarque que les médicaments ne fonctionnent pas pour tout le monde. « C’est comme si on entendait parler d’une célébrité, où l’on voit ”oh, waouh, cette personne est passée de 130 kilos à 45 kilos”, et je pense que c’est ce à quoi tout le monde s’attend », déplore-t-elle. « Si l’on nous dit de prendre ce super médicament et que ça ne fonctionne pas pour eux, alors ils ont perdu un temps précieux. »
C’est pourquoi, intervient Kate Maslin, il est important de pleinement comprendre si les médicaments GLP-1 ont un effet notoire sur la grossesse ou non. La capacité d’une personne à devenir parent est en jeu. Les recherches doivent donc correspondre à la réalité des patients, tout comme les essais cliniques. « Il faut vraiment parler aux patients et comprendre leur vie, leurs motivations, leurs réticences à avoir recours à un médicament ou à en consommer », explique Kate Maslin. « C’est un dilemme très personnel auquel font face ces personnes. »
Les patients qui font face à l’infertilité méritent la compassion, peu importe le corps qu’elles ont, déclare Jacquelyn Gill. « Il existe de nombreuses personnes qui méritent d’avoir un enfant », continue-t-elle. « Ces personnes sont vulnérables et doivent être traitées avec soin. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.