Ce que l'intérieur de votre bouche dit de votre santé

Le microbiome buccal, qui abrite des centaines d’espèces de bactéries et de champignons, pourrait aider à prédire des risques allant du cancer à la santé du cœur et du cerveau.

De Jen McCaffery
Publication 30 déc. 2025, 14:09 CET
Un dentiste examine une radiographie dentaire. Les chercheurs constatent de plus en plus que la santé ...

Un dentiste examine une radiographie dentaire. Les chercheurs constatent de plus en plus que la santé bucco-dentaire peut offrir des indices précoces de maladies ailleurs dans le corps.

PHOTOGRAPHIE DE J Esteban Berrío, Stocksy

Il y a plus d’un millénaire, le médecin persan Avicenne suggérait que les affections buccales pouvaient affecter l’ensemble du corps. La recherche moderne parvient désormais à démontrer jusqu’où ces effets peuvent s’étendre, révélant que les microbes vivant sur nos dents, notre langue et nos gencives pourraient fournir des indices pour la détection précoce et la prévention de maladies dans tout l’organisme.

Une étude récente publiée dans JAMA Oncology a révélé que 27 espèces de bactéries et de champignons buccaux étaient associées à un risque 3,5 fois plus élevé de développer un cancer du pancréas. En utilisant le séquençage du génome entier, les chercheurs ont découvert que les patients présentant des traces de certains microbes dans la bouche étaient nettement plus susceptibles d’être diagnostiqués avec cette maladie.

« En dressant le profil des populations bactériennes et fongiques présentes dans la bouche, les oncologues pourraient être en mesure d’identifier les personnes ayant le plus besoin d’un dépistage du cancer du pancréas », explique Jiyoung Ahn, co-autrice principale de l’étude et directrice du programme d’épidémiologie et de dépistage du cancer au Laura and Isaac Perlmutter Cancer Center de l’université de New York.

Ces résultats reflètent un changement plus large dans la manière dont les scientifiques considèrent la santé bucco-dentaire, non plus comme une préoccupation isolée, mais comme une fenêtre sur la santé systémique. « Tout commence dans la bouche, puis évolue avec des conséquences sur l’intestin », explique Marcelo Freire, chirurgien-dentiste et professeur associé au département de médecine génomique et des maladies infectieuses du J. Craig Venter Institute.

 

UN UNIVERS MICROBIEN À L'INTÉRIEUR DE LA BOUCHE

La bouche abrite l’une des plus grandes communautés bactériennes du corps. Connue sous le nom de microbiome buccal, elle comprend plus de 700 espèces de bactéries, ainsi que des champignons, des virus et d’autres micro-organismes qui occupent des niches distinctes dans l’ensemble de la cavité buccale.

« Les bactéries qui vivent sur vos dents sont presque complètement différentes de celles qui vivent sur votre langue », explique Jessica Mark Welch, biologiste à l’ADA Forsyth Institute et spécialiste du microbiome buccal. « Et il existe encore un autre groupe de bactéries au niveau du palais et sur les gencives. »

Chez les personnes ayant une bonne santé bucco-dentaire, le microbiome est composé d’une communauté diversifiée de microbes bénéfiques, notamment des Streptococcus et des Rothia, qui contribuent à contrôler l’inflammation et à repousser les agents pathogènes. Mais cet équilibre est fragile. Des changements dans l’alimentation, l’hygiène buccale ou l’état de santé général peuvent rapidement modifier la composition microbienne.

« Les bactéries réagissent toujours à leur environnement », explique Mark Welch. « Si la bouche est exposée à beaucoup de sucre, alors les bactéries qui prospèrent sur les sucres simples deviennent plus abondantes. »

Sur cette micrographie électronique à balayage (MEB) colorisée, des bactéries buccales mixtes adhèrent à des cellules ...

Sur cette micrographie électronique à balayage (MEB) colorisée, des bactéries buccales mixtes adhèrent à des cellules buccales provenant de la joue. Les chercheurs explorent de plus en plus la manière dont ces microbes influencent la santé au-delà de la bouche.

PHOTOGRAPHIE DE Steve Gschmeissner, SCIENCE PHOTO LIBRARY

L’un des agents les plus connus est Porphyromonas gingivalis, une bactérie étroitement liée aux maladies parodontales (maladies des gencives). Alors que la plupart des bactéries préfèrent les glucides, P. gingivalis prospère grâce aux protéines, se nourrissant littéralement des tissus gingivaux.

L’étude récente publiée dans JAMA Oncology a montré que P. gingivalis et deux autres agents pathogènes parodontaux, E. nodatum et P. micra, ainsi que le champignon buccal courant Candida, étaient associés à un risque accru de cancer du pancréas.

 

LE LIEN ENTRE LA BOUCHE ET LE RESTE DU CORPS

L’inflammation chronique est un facteur de risque bien établi des maladies cardiovasculaires, du diabète de type 2, de plusieurs cancers et de la maladie d’Alzheimer.

Les personnes atteintes de maladies parodontales sont trois à cinq fois plus susceptibles de développer des cancers liés au microbiome buccal. « L’hypothèse est qu’elles développent un type d’inflammation pathogène plutôt qu’une inflammation saine », explique Marcelo Freire.

Les vaisseaux sanguins situés sous la langue, dans les joues et dans d’autres zones de la cavité buccale permettent aux bactéries de migrer dans l’organisme, ajoute-t-il. Le système immunitaire intercepte généralement ces bactéries, mais certaines parviennent à passer, pouvant potentiellement conduire à des maladies.

Fusobacterium nucleatum, généralement présent dans la bouche, est un exemple de pathogène capable de favoriser la croissance tumorale par migration. Selon des recherches de l’Institut national du cancer américain, les patients atteints d'un cancer colorectal étaient cinq fois plus susceptibles de trouver F. nucleatum dans leurs selles que les personnes en bonne santé.

La salive offre une autre voie de circulation aux bactéries à travers le tube digestif. Dans des études menées sur des animaux, il a été montré que P. gingivalis ayant migré depuis la bouche pouvait provoquer un cancer du pancréas, selon une étude publiée en 2024.

La recherche a également établi un lien entre les maladies des gencives et des incidents cardiovasculaires tels que les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, probablement par le biais de l’inflammation chronique et des lésions vasculaires. Les agents pathogènes buccaux pourraient même affecter le cerveau : des études suggèrent que les maladies des gencives peuvent modifier les cellules microgliales, qui aident normalement à éliminer les plaques amyloïdes, une caractéristique de la maladie d’Alzheimer, bien que les chercheurs soulignent que ces liens font encore l’objet d’investigations.

Malgré l’accumulation de preuves reliant les microbes buccaux aux maladies systémiques, les chercheurs avertissent qu’il reste difficile de démontrer une relation directe de cause à effet.

« On peut demander aux gens d’adopter différents régimes alimentaires et mesurer l’impact sur leur microbiome, mais il y a des expériences qu’on ne peut pas faire pour des raisons éthiques », relève Mark Welch, comme infecter intentionnellement des personnes avec des agents pathogènes.

Les études menées sur des animaux peuvent aider, mais les microbiomes de la souris et de l’être humain diffèrent considérablement. De plus, les humains hébergent des espèces bactériennes similaires dans des proportions variables, et ces proportions fluctuent au fil du temps.

C’est pourquoi les chercheurs commencent par cartographier ce à quoi ressemble un microbiome buccal « sain », afin d’identifier le moment où l’équilibre bascule vers la maladie, explique Mark Welch. La génétique joue également un rôle : certaines personnes peuvent présenter une plaque dentaire importante sans inflammation gingivale, tandis que d’autres ont régulièrement des gingivites.

 

LA FRONTIÈRE CLINIQUE

Les thérapies ciblant le microbiome buccal sont moins avancées que celles visant l’intestin ou les poumons, indique Marcelo Freire. Pourtant, la salive, véritable fenêtre sur la santé systémique, apparaît comme un puissant outil diagnostique. Elle est plus facile à prélever que le sang, et les scientifiques étudient sa composition à la recherche de biomarqueurs pouvant signaler des maladies.

« Si nous pouvons identifier des bactéries servant d’indicateurs précoces de cancers ou d’autres affections détectables par la salive, nous pourrions les diagnostiquer beaucoup plus tôt », souligne Mark Welch.

Les microbes eux-mêmes pourraient un jour devenir des médicaments. Certains produisent des acides gras anti-inflammatoires, comme le butyrate, que les chercheurs étudient pour leur potentiel thérapeutique. D’autres pourraient conduire à de nouveaux vaccins, à mesure que les scientifiques comprennent mieux la manière dont les microbes buccaux interagissent avec le système immunitaire.

Marcelo Freire et ses collègues étudient également la manière dont les bactéries buccales influencent les neutrophiles, des globules blancs essentiels à la réponse immunitaire et associés aux maladies auto-immunes. Ils utilisent aussi l’intelligence artificielle pour cartographier la persistance microbienne d’agents pathogènes tels que le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, au sein des tissus buccaux.

 

L'IMPORTANCE DU MICROBIOME BUCCAL

La bonne nouvelle, c’est que les habitudes quotidiennes peuvent largement contribuer au maintien d’un microbiome buccal sain et, par extension, au bien-être général.

La consommation d’aliments entiers et non transformés, riches en prébiotiques et probiotiques, comme les produits laitiers fermentés, les fruits et les légumes, favorise les microbes bénéfiques, explique Marcelo Freire. Les acides gras oméga-3, présents dans le saumon, les sardines, les noix, les graines de lin et de chia, contribuent également à contrôler l’inflammation de bas grade.

Les nitrates d’origine végétale provenant des légumes à feuilles, des betteraves et du céleri peuvent aussi jouer un rôle. Des bactéries comme Rothia réduisent les nitrates en nitrites, que l’estomac transforme ensuite en oxyde nitrique, un composé qui détend les vaisseaux sanguins et abaisse la pression artérielle.

À l’inverse, le sucre perturbe l’équilibre microbien. Les boissons sucrées, les desserts et même les yaourts aromatisés nourrissent des bactéries nocives qui favorisent l’inflammation et les envies alimentaires. « De la bouche à l’intestin, cela influence la manière dont vous ressentez les envies de nourriture », avertit Marcelo Freire.

Les bases d’une bonne hygiène bucco-dentaire, brossage régulier, utilisation du fil dentaire, nettoyage doux de la langue et détartrages professionnels, restent essentielles. Mais les scientifiques déconseillent l’usage quotidien de bains de bouche bactéricides agressifs, qui peuvent éliminer les microbes bénéfiques en même temps que les nuisibles.

« Il faut privilégier des rinçages buccaux qui rafraîchissent l’haleine mais ne contiennent pas d’alcool ni de détergents qui perturbent l’ensemble du microbiome », conseille Marcelo Freire. « Parce qu’il y a aussi du bon dans le microbiome. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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