Il y a plus de virus que d'étoiles... et pourtant seulement quelques-uns nous affectent

Il existe sur Terre plus d'un million de quadrillions de virus, mais la plupart ne sont pas conçus pour s'introduire dans l'organisme humain. Pourrons-nous trouver ceux qui le sont ?

De Katherine J. Wu
Publication 16 avr. 2020, 17:49 CEST
Cette image obtenue par microscopie électronique à balayage montre des particules virales SARS-CoV-2 (en jaune) émergeant ...

Cette image obtenue par microscopie électronique à balayage montre des particules virales SARS-CoV-2 (en jaune) émergeant de la surface de cellules cultivées en laboratoire. SARS-CoV-2 est le nom donné au virus à l'origine de la maladie COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE NIAID-RML

10 puissance 31, 1 suivi de 31 zéros, plus d'un quintillion, c'est l'estimation du nombre de virus distincts présents sur notre planète, un nombre suffisamment grand pour assigner un virus à chaque étoile de notre univers… 100 millions de fois.

Les virus ont infiltré toutes les facettes de notre monde naturel ; ils barbotent dans l'eau, virevoltent dans l'atmosphère et se tapissent dans de minuscules particules de terre. Généralement considérés non vivants, ces pathogènes ne peuvent se répliquer qu'avec l'aide d'un hôte et sont capables de détraquer les organismes de toutes les branches de l'arbre phylogénétique du vivant, dont de multiples cellules humaines.

Pourtant, la plupart du temps notre espèce parvient à mener une vie relativement dépourvue de maladies dans ce monde grouillant de virus. La raison derrière cette prouesse relève moins de la résilience de notre organisme que des spécificités du virus lui-même, explique Sara Sawyer, virologue et spécialiste de l'écologie des maladies au sein de l'université du Colorado à Boulder. Lorsqu'il s'agit de choisir la cellule à infecter, ces pathogènes sont extrêmement pointilleux et seule une fraction infinitésimale des virus qui nous entourent présentent une réelle menace pour notre organisme.

Néanmoins, comme en témoigne la pandémie de COVID-19, les épidémies de nouveaux virus humains existent bel et bien — et elles sont moins inattendues qu'il n'y paraît.

Afin de prévoir et d'éviter au mieux les épidémies, les scientifiques s'intéressent aux caractéristiques qui pourraient expliquer pourquoi certains virus peuvent se transmettre à l'Homme et d'autres non. Certains d'entre eux mutent plus fréquemment, ce qui pourrait faciliter la propagation vers de nouveaux hôtes, alors que d'autres profitent des interactions entre humains et animaux pour passer d'une espèce à l'autre.

En ce qui concerne les épidémies, « il existe en fait des modèles, » déclare  Raina Plowright, spécialiste de l'écologie des maladies à l'université d'État du Montana. « Et ces modèles sont prévisibles. »

 

FRANCHIR LA BARRIÈRE D'ESPÈCES

La plupart des nouvelles maladies contagieuses s'immiscent dans la population humaine de la même façon que le COVID-19, ce sont des zoonoses, des maladies transmises de l'animal à l'Homme. Les mammifères et les oiseaux comptabiliseraient à eux seuls environ 1,7 million de types de virus non identifiés, une estimation qui a poussé les scientifiques du monde entier à enquêter sur la faune de la planète pour trouver l'origine de la prochaine pandémie qui toucherait notre espèce. Les bactéries, champignons et parasites peuvent également passer de l'animal à l'Homme, mais ces pathogènes se reproduisent généralement sans infecter les hôtes et de nombreux virus sont bien mieux équipés pour la transmission d'une espèce à l'autre.

Pour une transition réussie entre deux espèces, un virus doit s'affranchir de divers obstacles biologiques. Le pathogène doit quitter un animal pour entrer en contact avec un autre puis procéder à l'infection de ce dernier, explique Jemma Geoghegan, virologue de l'université Macquarie. Ce phénomène de transmission interespèces porte le nom anglais de spillover, ou « débordement ». Une fois le virus installé chez son nouvel hôte, il doit maintenant se propager aux autres membres de son espèce.

Les chiffres exacts sont difficiles à estimer, mais la grande majorité des cas de « débordement » de l'animal à l'Homme se terminent par un cul-de-sac épidémiologique : l'infection se limite au premier individu. Pour qu'un nouveau virus réussisse à provoquer une épidémie, « il faut un alignement de nombreux facteurs, » déclare Dorothy Tovar, virologue et spécialiste de l'écologie des maladies à l'université de Stanford.

Des chercheurs prélèvent un échantillon sanguin sur un poulet dans le cadre d'un test de grippe aviaire à Can Tho, au Vietnam.

PHOTOGRAPHIE DE Lynn Johnson, Nat Geo Image Collection

Parmi ces facteurs figurent notamment la fréquence des contacts entre les animaux porteurs de virus et l'Homme, les moyens de transmission du virus, sa durée de vie en dehors d'un hôte et son efficacité dans le sabotage du système immunitaire humain. La moindre vague rencontrée au cours de cette chaîne de transmission peut faire chavirer le pathogène dans sa tentative d'infecter une nouvelle espèce. Même des facteurs à première vue sans rapport, comme une pénurie d'eau ou un manque de nourriture, peuvent bouleverser les dynamiques qui régissent l'interaction entre humains et animaux.

Pour un virus, l'un des plus grands défis de la transmission réside dans l'accès aux cellules du nouvel hôte, où se trouve l'équipement dont il a besoin pour se répliquer. Ce processus exige généralement du virus qu'il s'emboîte sur l'une des molécules qui recouvrent l'extérieur d'une cellule humaine, comme le ferait une clé dans une serrure. Au mieux il s'emboîte, plus il a de chances de pénétrer à l'intérieur de la cellule. Par exemple, le SARS-CoV-2, le virus à l'origine du COVID-19, utilise la protéine ACE2 pour s'introduire dans les cellules des voies respiratoires humaines.

Pour un hôte donné, « il n'y a qu'un tout petit nombre de pathogènes capable de » s'immiscer dans ses cellules de cette façon, indique Sawyer. La grande majorité des virus dont nous croisons le chemin ne font que rebondir d'une cellule à l'autre jusqu'à quitter notre organisme sans même lui avoir causé le moindre mal.

 

DES VIRUS À VISAGES MULTIPLES

Cependant, il arrive qu'un agent pathogène réussisse son invasion. En l'état actuel de nos connaissances, plus de 200 virus provoquent des maladies chez l'Homme et ils sont tous capables de s'introduire dans les cellules humaines. Cela dit, cette capacité est loin d'être innée.

Les molécules hôtes sur lesquelles s'accrochent les virus, appelées récepteurs, ont tendance à varier fortement d'une espèce à l'autre, poursuit Sawyer. « L'une des principales caractéristiques des virus responsables des zoonoses est leur capacité, après quelques évolutions, à s'adapter à la version humaine de ce récepteur. »

Les virus à forte flexibilité génétique et, plus particulièrement, ceux qui utilisent l'ARN plutôt que l'ADN pour encoder leur génome sont les mieux équipés pour réussir ce franchissement de la barrière d'espèce. Contrairement aux virus et cellules à ADN, les virus à ARN ont une fâcheuse tendance à la négligence lorsqu'ils recopient leur code génétique, ce qui introduit des mutations à une fréquence importante. Ce processus sujet aux erreurs génère une immense diversité au sein des populations de virus à ARN, ce qui leur confère une plus grande adaptabilité aux nouveaux environnements, notamment les nouvelles espèces hôtes, et ce, à un rythme soutenu, détaille Sarah Zohdy, spécialiste de l'écologie des maladies à l'université d'Auburn.

Sur l'ensemble des pathogènes qui ont infecté l'espèce humaine ces dernières décennies, la plupart étaient des virus à ARN, c'est le cas notamment des virus Ebola, SRAS, MERS, Zika, divers virus de la grippe et le SARS-CoV-2.

Certains virus peuvent également modifier leur code génétique grâce à une méthode alternative rappelant vaguement la reproduction sexuée. Lorsque deux virus génétiquement différents infectent la même cellule, ils peuvent échanger des segments de leurs génomes lors de leur réplication respective, donnant naissance à des virus hybrides qui diffèrent des deux « parents ». Les virus de la grippe, à ARN, font partie de ceux qui mutent à la fois indépendamment tout en mélangeant parfois leurs génomes, une spécificité qui a permis à la grippe de faire des allers-retours au sein d'une véritable ménagerie d'espèces domestiques comme les cochons, les baleines, les chevaux, plusieurs types d'oiseaux et, bien entendu, l'Homme.

 

LE « PARFAIT » AGENT

Toutefois, ni la mutation ni la reproduction virale ne garantissent le « débordement » et les virus ne présentant pas ces traits peuvent tout de même infecter un vaste panel d'espèces hôtes.

Il y a quelques années, Geoghegan et ses collègues ont identifié une kyrielle d'autres caractéristiques communes aux virus provoquant des maladies chez l'Homme. Leur analyse a révélé que les virus semblaient tirer profit des longues périodes passées au sein de leur hôte sans lui être mortels. Ces infections plus longues, poursuit-elle, offrent probablement à ces pathogènes silencieux plus de temps pour s'adapter et transmettre la maladie à de nouvelles espèces.

La plupart des agents pathogènes transmis à l'Homme le sont depuis les rongeurs, les chauves-souris et les primates non humains, probablement en raison d'une combinaison de facteurs comme l'abondance de ces espèces, leur proximité avec les populations humaines et leurs similarités biologiques avec notre espèce, explique Zhody. Et, bien entendu, les virus associés à des pathogènes humains connus, comme les nouvelles souches de grippe et le nouveau coronavirus, sont toujours des menaces potentielles. Même si une grande partie de ces microbes s'avèrent finalement inoffensifs pour l'Homme, il suffit de quelques modifications génétiques pour les rendre compatibles avec nos cellules.

À elles seules, les caractéristiques virales ne suffisent pas à prévoir les pandémies. Cependant, les scientifiques continuent de répertorier les différents virus qui évoluent sur notre planète car ils savent que ces traits de caractère pourront les aider à classer par ordre de priorité les pathogènes pour une étude ultérieure, indique Tracey Goldstein, directeur adjoint du One Health Institute de l'université de Californie à Davis. Après son identification sur le terrain, un candidat-virus peut être apporté en laboratoire pour voir s'il est réellement capable d'infecter et de se répliquer dans des cellules humaines.

Typiquement, la plupart de ces étapes sont conduites par différents groupes de chercheurs : certains concentrent leurs efforts sur le prélèvement de ces virus dans la nature et d'autres s'attachent plutôt à caractériser les pathogènes en laboratoire, témoigne Tovar. Toutefois, il est impossible pour les scientifiques d'avoir une vue d'ensemble des pathogènes qui pourraient nous mettre en danger sans surveillance sur le terrain et, vice-versa, il est impossible d'identifier les virus les plus dangereux sans expériences en laboratoire.

« Il faut donc réunir plusieurs éléments, chacun étant d'égale importance, » résume Plowright. Bien entendu, cette complexité peut avoir des avantages pour l'Homme : plus les scientifiques identifient de facteurs de « débordement », plus ils auront l'occasion d'intervenir. En fin de compte, avec suffisamment d'informations, nous pourrions être en mesure d'endiguer les épidémies avant même qu'elles n'éclatent.

« Le volume d'information que nous avons pu recueillir en une période si courte est incroyable, » conclut Zohdy. « Il me donne déjà de l'espoir. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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