Brésil : le coronavirus fait des ravages au sein des tribus amazoniennes

En plus d'être gravement touchées par le virus, les communautés natives du Brésil doivent également lutter contre les initiatives « génocidaires » du gouvernement de Jair Bolsonaro.

De Scott Wallace
Publication 16 juin 2020, 17:09 CEST
À Brasilia, cette installation artistique commémore les Natifs tués au Brésil en 2019. Son montage coïncidait ...

À Brasilia, cette installation artistique commémore les Natifs tués au Brésil en 2019. Son montage coïncidait avec une manifestation qui se déroule chaque année dans la capitale brésilienne à laquelle participent des peuples natifs venus de tout le pays pour défendre leurs terres et leurs droits.

PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Falco

Face à la propagation du coronavirus dans les territoires reculés de l'Amazonie brésilienne, les chefs indigènes et les défenseurs des droits sollicitent des mesures urgentes de la part du gouvernement pour tuer dans l'œuf cette catastrophe en devenir.

D'après les chiffres avancés par la principale fédération indigène du pays, l'Articulação dos Povos Indígenas do Brasil (APIB), les décès attribués à la pandémie de COVID-19 au sein des communautés natives sont passés de 46, au 1er mai, à 262, en date du 9 juin. Combinées avec les données communiquées par les services de santé des différents états brésiliens, les statistiques de l'APIB montrent que le taux de mortalité du coronavirus au sein des communautés natives atteint les 9,1 %, près du double de celui constaté au sein de la population brésilienne générale (5,2 %).

Infirmière de la tribu Uitoto, Vanderlecia Ortega dos Santos prépare une salle d'examen pour les malades de la COVID-19 dans une clinique située en bordure de Manaus. Elle assure, seule, les soins de santé de première ligne pour sa communauté de 700 familles. D'après les anthropologues, entre 1900 et 1980, une tribu en moyenne a disparu chaque année de l'Amazonie à cause des épidémies, de la violence et de la politique d'assimilation forcée. Pour les chefs indigènes, la pandémie de coronavirus et les politiques hostiles du gouvernement représentent une nouvelle menace à la survie de leurs peuples.

PHOTOGRAPHIE DE Bruno Kelley, Reuters

Le nombre grandissant de cas et l'absence de réaction du gouvernement ont suscité de vives critiques quant à l'incompétence et la désorganisation des autorités dans la protection des populations tribales contre le virus. Le personnel soignant dépêché par le gouvernement, les prospecteurs de minerais clandestins et d'autres intrus figurent parmi les principaux vecteurs d'infection dans les territoires indigènes protégés. Un rapport publié la semaine dernière par le bureau du procureur général accusait de « négligence flagrante » une équipe de soignants et dénonçait le fait que les infirmières et techniciens du gouvernement avaient contribué à propager le virus au sein même des populations natives qu'ils sont censés protéger.

Le 4 juin, le Secrétariat spécial de la Santé indigène (SESAI), a reconnu que quatre membres de son personnel avaient été testés positifs au virus alors qu'ils étaient en mission dans un village tribal Kanamari, sur le territoire indigène de la vallée du Javari à l'extrême ouest du Brésil. Le SESAI avait ensuite diffusé un communiqué visant à minimiser l'incident en affirmant qu'un seul des soignants avait développé des symptômes de la COVID-19 et que tous les quatre avaient été placés en quarantaine.

Cependant, le rapport du procureur général, publié le 5 juin, exprimait des inquiétudes concernant le risque pour les soignants d'avoir infecté plusieurs autres villages. De plus, une autre équipe était accusée de « négligence flagrante du risque épidémiologique » pour avoir pénétré dans la partie nord-est de la réserve du Javari dans le but de soigner des membres du peuple Korubo, jugé particulièrement vulnérable, sans se plier aux protocoles de quarantaine.

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    En outre, le rapport évoquait le « déclin manifeste » des capacités de régulation de la Fondation nationale de l'Indien (FUNAI), l'agence chargée de défendre les frontières des territoires indigènes du Brésil. Le rapport citait les coupes budgétaires et la réaffectation du personnel de la FUNAI comme autant de facteurs ayant contribué à augmenter le risque d'intrusion des prospecteurs, pêcheurs et braconniers potentiellement porteurs du virus au sein de la réserve.

    D'une superficie de 85 000 km², le territoire de la vallée du Javari abrite le plus grand nombre de communautés natives vivant en extrême isolation, parfois appelées « peuples non contactés ». La FUNAI a confirmé la présence de neuf de ces groupes dans la réserve pour une population totale comprise entre 1 000 et 1 500 personnes ; et il pourrait y en avoir neuf de plus d'après les agents de terrain au service de la Fondation. Bien que la plupart des Korubo soient aujourd'hui entrés en contact avec des personnes de l'extérieur, les autorités estiment qu'il y aurait encore 40 à 50 membres non contactés de cette tribu dans les zones les plus reculées de la forêt.

    À l'instar des autres peuples non contactés et récemment contactés de l'Amazonie, les Korubo sont considérés comme hautement vulnérables aux maladies infectieuses, car ils ne disposent pas des défenses immunitaires nécessaires pour combattre les agents pathogènes introduits par des étrangers. Cette absence d'immunité les rend d'autant plus vulnérables aux maladies respiratoires telles que la COVID-19.

    Dispersés dans plusieurs villes et villages le long du fleuve Amazone, les membres du peuple Kokama ont enregistré 55 décès dus au coronavirus depuis début avril, période à laquelle une famille de quatre personnes avait été infectée par un médecin qui était récemment rentré d'une conférence dans le sud du Brésil et n'avait pas respecté les protocoles d'auto-isolement.

    Le suivi du nombre de morts et du taux d'infection liés au coronavirus au sein des communautés indigènes du Brésil peut s'avérer difficile et parfois même être source de conflits. Le SESAI ne répertorie que les cas enregistrés dans les territoires reconnus comme indigènes, ses chiffres ne reflètent donc pas les infections au coronavirus des membres de peuples indigènes installés dans les villes ou villages non reconnus comme territoires indigènes.

    « Cet écart est l'expression la plus frappante du racisme institutionnel qui mène au génocide consenti d'une population, » déclare Sônia Guajajara, coordinatrice exécutive de l'APIB. En date du 9 juin, le SESAI avait enregistré 85 décès indigènes dus au coronavirus.

    D'après le Comitê Nacional pela Vida e Memória Indígena, créé par l'APIB pour suivre les victimes de la pandémie et raconter leur histoire, le bilan réel serait trois fois plus important. « Le gouvernement souhaite cacher les chiffres réels afin de mener à bien son plan d'extermination des peuples indigènes, » ajoute-t-elle.

    Nos tentatives de communication avec le SESAI sont restées sans réponse.

     

    UNE MENACE À DOUBLE TRANCHANT

    Les chefs des peuples natifs affirment que le gouvernement de droite du président Jair Bolsonaro ne remplit pas son devoir de protection des tribus contre une double menace : la propagation du coronavirus d'un côté et la recrudescence des intrusions en territoires indigènes de l'autre. Dans l'Amazonie brésilienne, les taux de déforestation ont enregistré une hausse de près de 60 % par rapport à l'année dernière, d'après l'Institut national de la recherche spatiale du Brésil, alors que les organes de répression ont été paralysés par le confinement et les décrets officiels visant à restreindre les mesures de protection de l'environnement et des populations indigènes.

    « Les intrus eux-mêmes constituent un vecteur de contamination, » reprend Guajajara. Dans les régions les plus reculées où vivent des tribus isolées en l'absence désormais des autorités chargées de faire appliquer la loi, les intrusions de prospecteurs d'or ou d'exploitants forestiers clandestins pourraient aboutir à une « extermination totale » des divers groupes indigènes hautement vulnérables, poursuit-elle.

    De son côté, la FUNAI se refuse à admettre tout manquement de sa part. « À aucun moment l'institution ne s'est déchargée d'une quelconque obligation légale de protéger et promouvoir les droits des peuples indigènes et elle s'est toujours efforcée de faire preuve du plus grand soin et de la plus grande attention dans ses actions, » a répondu par écrit la Fondation à nos questions. Dans sa déclaration, la FUNAI précisait également qu'elle avait « mis en place toutes les mesures à sa portée dans la lutte contre la pandémie de nouveau coronavirus. »

    Bon nombre de groupes natifs soutiennent le contraire. À l'heure actuelle, des chercheurs d'or clandestins affluant par milliers sont en train de dépouiller de vastes parcelles du gigantesque territoire indigène des Yanomami, dans l'état de Roraima au nord-est du Brésil. Les mineurs ont empoisonné les rivières avec le mercure qu'ils utilisent pour séparer l'or des fonds sablonneux du fleuve Amazone. Ils ont également apporté la malaria, la consommation excessive d'alcool, les maladies sexuellement transmissibles et à présent les chefs yanomamis craignent que le coronavirus fasse également partie de ce fléau. Trois Yanomamis sont morts du coronavirus et d'après les chefs des différentes tribus, 55 cas d'infection au bas mot seraient à déplorer.

    Le long d'un sentier sur le site du musée du Pará Emílio Goeldi, à Belém, se dresse une silhouette à taille réelle provenant d'une photographie prise en 1902 d'un homme du peuple Irã'amrayre. Elle fait partie d'une exposition qui comprend des artefacts et des photographies de cette branche distincte des Kayapós, un peuple vivant dans la région d'Amazonie centrale du Brésil.

    PHOTOGRAPHIE DE Alessandro Falco

    « Notre plus grande préoccupation est que les mineurs transmettent la maladie aux communautés, » déclare Dario Kopenawa, vice-président de l'association yanomami Hutukara qui représente les 26 000 membres de tribus vivant sur le territoire indigène Yanomami. « Les mineurs vont tuer les Yanomamis avec cette contamination. »

    Ses remarques coïncident avec un rapport publié la semaine dernière par des chercheurs de l'université fédérale du Minas Gerais et du think tank Instituto Socioambiental basé à São Paulo selon lequel 40 % des Yanomamis vivant près des champs aurifères risqueraient une infection au coronavirus. L'un des camps de prospection se situe à moins de deux jours de marche d'un village Yanomami non contacté. Les activistes redoutent qu'une seule infection finisse par éradiquer cette communauté indigène.

    L'association Hutukara s'est associée à un consortium de groupes brésiliens et internationaux de défense des droits culturels pour lancer une campagne baptisée MinersOutCovidOut (en français, les mineurs dehors et la COVID aussi). Le but de cette campagne est de solliciter l'éviction de l'ensemble des mineurs, 20 000 selon les estimations, qui recherchent illégalement de l'or sur le territoire Yanomami.

     

    DISPARITION DE VÉRITABLES « ENCYCLOPÉDIES VIVANTES »

    Les anthropologues sont particulièrement inquiets du potentiel dévastateur pour les Natifs de la perte de leurs aînés, les plus vulnérables à la pandémie. « Les plus âgés sont de véritables encyclopédies vivantes, les gardiens de la vision du monde de ces populations, » explique Tiago Moreira dos Santos, anthropologue pour le think tank Instituto Socioambiental. « Ils sont les gardiens d'une culture. Nous parlons non seulement des mythes et des histoires mais aussi des langues, de la mémoire et du savoir qui constituent les fondamentaux de l'existence d'un peuple. »

    Au début de la pandémie, de nombreux groupes natifs se sont rapidement mobilisés pour limiter la propagation du coronavirus, témoigne Sônia Guajajara. Ils ont mis en place des barrages routiers et des contrôles sanitaires ; ils ont fabriqué des masques et recommandé aux membres de leurs tribus de ne pas quitter leurs villages, explique-t-elle : « Chaque communauté a adopté ses propres mesures de protection. » (À lire : À São Paulo, une vie ralentie par l'épidémie de coronavirus.)

    « Les peuples indigènes ont été à plusieurs reprises confrontés à des épidémies mortelles, » indique Glenn Shepard, anthropologue américain au musée du Pará Emílio Goeldi, à Belém, un centre pour l'étude de la diversité biologique et socioculturelle de l'Amazonie. « Donc ils savaient exactement quoi faire : s'isoler. » Ces mesures d'autoprotection instaurées depuis la nuit des temps expliquent la présence continue au Brésil et dans les pays voisins de communautés tribales non contactées, peut-être une centaine à travers l'Amazonie.

    « C'est grâce à cela que les peuples indigènes isolés, ces peuples non contactés, sont devenus ce qu'ils sont aujourd'hui, » poursuit Shepard. « C'est à cause des maladies et des violents déplacements qu'ils ont rompu le contact avec l'extérieur. C'est leur stratégie depuis le départ. »

    Cependant, les messages envoyés par le gouvernement de Jair Bolsonaro pour faire face à la pandémie ont baigné dans la contradiction. Par exemple, d'après Guajajara, inciter les citoyens à passer outre le confinement et les mesures de distanciation sociale tout en attirant les Natifs vers les villes avec la promesse de modestes compensations. Ajoutez à cela les initiatives et les déclarations ne manquant pas d'encourager les personnes venant de l'extérieur à s'introduire sur les terres indigènes et autres zones protégées et vous obtenez la recette parfaite pour un désastre socio-environnemental.

    « Nous vivons une période d'alerte générale, nous sommes complètement cernés, déplore-t-elle, d'un côté par le virus et de l'autre par les mesures génocidaires instaurées par ce gouvernement fasciste. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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