COVID-19 : un vaccin en phase de test sur l'Homme

La phase 2 des essais cliniques menés par le laboratoire américain Moderna Therapeutics a débuté. Faisons le point sur les vaccins à ARNm.

De Nsikan Akpan
Publication 4 juin 2020, 12:37 CEST
La surface du SARS-CoV-2 est couverte de protéines à pointes (en rouge). Le vaccin à ARN ...

La surface du SARS-CoV-2 est couverte de protéines à pointes (en rouge). Le vaccin à ARN messager (ARNm) du laboratoire Moderna permettrait au corps de reconnaître ces pointes et donc de produire des anticorps neutralisants (en blanc) pour freiner le coronavirus avant que l’infection n’ait lieu.

PHOTOGRAPHIE DE Model At Atomic Resolution In By Visual Science

La semaine dernière, un projet de vaccin prometteur a franchi un obstacle majeur : les essais cliniques du laboratoire Moderna Therapeutics sont désormais passés en phase 2. Le vaccin à ARNm a enregistré des données positives en phase initiale, une étape décisive et un pas de plus vers la commercialisation.

Décès et ralentissement économique à l’échelle mondiale. La pandémie de COVID-19 fait des ravages depuis cinq mois déjà. L’anxiété gagne du terrain et on se raccroche à la moindre lueur d’espoir pour reprendre ses habitudes. Ceci explique en partie l’effervescence autour du vaccin à ARNm de Moderna. Il n’aura fallu que soixante-trois jours pour que le candidat phare passe du séquençage génétique dans le laboratoire de l’entreprise à Cambridge dans le Massachusetts à la première injection chez l’homme. Un record pour ce vaccin qui est en tête de course.

Le 18 mai, l’entreprise biotechnologique a fait part de ses résultats préliminaires. Le vaccin à ARNm semble avoir suscité une réponse immunitaire chez des individus sains qui ont secrété des « anticorps neutralisants ». Notons que les anticorps sont produits par le système immunitaire pour bloquer l’infection au coronavirus. Les scientifiques ont tôt fait de préciser que ces résultats ont été observés uniquement chez huit personnes parmi les quarante-cinq à qui le vaccin, développé en partenariat avec l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses des États-Unis, a été administré. Moderna n’a pas fourni d’informations suffisantes pour évaluer si les sujets de la phase 1 ont eu une réponse immunitaire protectrice, sachant que, selon les immunologistes, celle-ci va au-delà de la simple production d’anticorps.

Il n’en demeure pas moins que les détails fournis par Moderna, doublés de l’annonce faite la semaine dernière, donnent à croire que l’entreprise pourrait relever un défi sans précédent : celui de valider le premier vaccin à ARNm pour usage humain.

Le 16 mars 2020, le pharmacien Michael Witte (à gauche) administre à Rebecca Sirull le vaccin potentiel contre la COVID-19 lors de la phase initiale des essais cliniques. Sirull est la troisième patiente à se faire injecter le vaccin au Kaiser Permanente Washington Health Research Institute de Seattle, l’un des trois centres participant à la phase 1.

PHOTOGRAPHIE DE Ted S. Warren, AP Photo

« Les résultats sont impressionnants dans la mesure où les données de la phase 1 prouvent que le vaccin est sans danger, ce qui revêt une importance primordiale », affirme Ali Salem, spécialiste de la mise au point de médicaments et enseignant à la faculté de pharmacie de l’université de l’Iowa qui n’a pas pris part à l’essai clinique mené par Moderna.

Six cent personnes, réparties sur dix centres à travers huit États, participeront à la phase 2 des essais cliniques. Lesdits centres ont commencé à rassembler des volontaires en vue de leur administrer le vaccin si leurs examens physiques le permettent. Dans un communiqué de presse publié après la parution de cet article, Moderna a confirmé que les premiers participants de chaque groupe – adultes de moins et de plus de 55 ans – se sont vus injecter le vaccin.

« Pour nos chercheurs principaux, ces études expérimentales sont les plus importantes qu’ils aient jamais faites », souligne Jaime Farra, responsable marketing d’Alliance for Multispecialty Research qui dirige un des centres concernés par l’étude à Newton dans le Kansas.

 

HISTORIQUE DES VACCINS À ARN MESSAGER

Lorsqu’un microbe s’attaque au corps humain, le système immunitaire s’empresse de le reconnaître pour se défendre. Les vaccins traditionnels consistent à introduire dans l’organisme soit des virus entiers rendus inactifs soit leurs protéines virales pour déclencher une réaction immunitaire. Il faut du temps pour mettre au point des vaccins parce que les chercheurs doivent cultiver et inactiver un microbe entier ou ses protéines d’une manière bien spécifique.

L’ARNm est un matériel génétique formé d’acide nucléique – la même substance que notre ADN – qui circule dans les cellules et donne les instructions finales quant aux types de protéines qui définissent l’architecture cellulaire du corps. Au début des années 1990, les chercheurs ont voulu savoir ce qui se passe lorsqu’on fabrique des morceaux d’ADN et d’ARNm viraux et qu’on les injecte dans des cellules humaines ou chez des animaux de laboratoire. L'espoir des scientifiques était que les cellules s’attaqueraient aux fragments génétiques pour en faire des protéines virales et déclencher une réponse immunitaire.

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    Le coronavirus tire son nom de ces pointes en forme de couronnes (en rouge) qui provoquent l’infection d’une cellule humaine.

    PHOTOGRAPHIE DE Model At Atomic Resolution In By Visual Science

    En théorie, cette méthode permettrait aux chercheurs de développer plus rapidement des vaccins. Le vaccin potentiel pourrait être testé en quelques jours, voire quelques heures au lieu de plusieurs semaines.

    Ces candidats-vaccins seraient également plus flexibles et plus résistants aux microbes qui ont tendance à évoluer par mutation comme les coronavirus, la grippe et le VIH. Cette méthode pourrait également aboutir à la mise au point d’un vaccin universel efficace contre plusieurs souches d’un virus, selon Margaret Liu, présidente du conseil d’administration de l’International Society of Vaccines.

    Il y a trente ans, Liu faisait partie de la première génération de chercheurs en laboratoire qui utilisaient les vaccins à ADN et à ARNm. Les résultats préliminaires de ses études dans le cadre de la mise au point d’un vaccin universel contre la grippe se sont avérés très prometteurs, du moins chez les souris. En général, les premiers vaccins à ADN et à ARNm ont été couronnés de succès à plusieurs reprises auprès des animaux. Cette étape, connue sous le nom de stade pré-clinique de développement du médicament, n’a cependant pas réussi à déclencher des réponses immunitaires efficaces chez l’être humain.

    « C’est parce que les êtres humains sont plus grands, pensait-on », explique Liu. Cependant, l’hypothèse est tombée à l’eau lorsque des vaccins à ADN ont prouvé leur efficacité chez les chevaux, les poissons et les condors de Californie (Gymnogyps californianus).

    Les vaccins à ARNm, eux, font face à une certaine instabilité. Une fois à l’intérieur de l’organisme, l’ARNm se décompose plus vite que l’ADN, ce qui limite la puissance du système immunitaire. De plus, l’ARNm peut renforcer les cellules immunitaires et provoquer des effets indésirables. Pendant des années, ces défis ont écarté les vaccins à ARNm et relégué les vaccins à ADN au rang de la médecine vétérinaire.

     

    UN PERFECTIONNEMENT EN COURS

    En 2005, des chercheurs à l’université de Pennsylvanie ont opéré de légères modifications chimiques aux vaccins à ARNm. La durabilité a ainsi été renforcée et les vaccins sont devenus plus sûrs, suscitant moins de réponses immunitaires indésirables.

    « Pour nombre de personnes, l’ARNm devient une sorte de stratégie thérapeutique pour le traitement de plusieurs maladies », indique Salem. ModeRNA Therapeutics, aujourd’hui connue sous le nom de Moderna, voit le jour en 2010 après que Derrick Rossi, chercheur à Harvard, a modifié l’ARNm de manière à reprogrammer les cellules souches dans le but de traiter les maladies cardiovasculaires.

    Au fil des années, Moderna a également recouru aux nanoparticules lipidiques dans la mise au point de médicaments. Grâce à leur cœur huileux pouvant encapsuler le matériel génétique, ces particules permettent à l’ARNm de s’infiltrer facilement dans les cellules. Une technologie à base d’ARNm plus sûre et une meilleure mise au point des médicaments ont permis au laboratoire de préparer des remèdes contre le cancer et plusieurs maladies infectieuses comme la grippe. Cependant, c’est le virus Zika, transmis par les moustiques, qui a constitué un véritable tournant.

    Le vaccin incite le corps à produire des anticorps neutralisants (en blanc) qui repoussent le virus en se fixant sur ces protéines à pointes. Pour pouvoir élaborer un vaccin, il faut d’abord bien comprendre la structure génétique et moléculaire du virus. Pour découvrir les composants d’un virus, consultez cette vidéo.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Model at atomic resolution in by Visual || https://www.instagram.com/visualscience/ Science || https://visual-science.com/projects/sars-cov-2/3d-model

    Après l’apparition du virus Zika en 2015, les laboratoires se sont lancés dans une course au vaccin. Justin Richner, professeur adjoint à l’université de l’Illinois à Chicago, avait à l’époque pris part à une initiative rassemblant plusieurs universités dans le but de mener des études préliminaires sur les candidats-vaccins mis au point par Moderna Therapeutics. Richner affime que l’équipe a perfectionné les codes de l’ARNm, ce qui a conduit au développement du premier vaccin testé sur des êtres humains en 2016, demeuré hélas au point mort.

     

    LA SÉCURITÉ AVANT TOUT

    Moderna Therapeutics n’a pas donné suite aux multiples demandes d’entretien de National Geographic. Toutefois, les dernières informations communiquées par l’entreprise – qui n’ont pas fait l’objet d’un examen par les pairs – donnent quelques indications sur la progression dans le cadre du vaccin contre la COVID-19. Si l’annonce du 18 mai n’a pas fourni de chiffres précis sur le nombre d’anticorps présents chez l’être humain ou la souris après la vaccination, elle a cependant révélé que la phase 1 des essais cliniques a atteint son objectif principal : celui de déterminer quelle posologie est sans danger.

    « Lors d’un premier essai clinique chez l’être humain, l’information la plus importante est de savoir si le vaccin est sûr », dit Maria Elena Bottazzi, vice-doyen de la National School of Tropical Medicine du Baylor College of Medicine qui n’a pas pris part à l’étude expérimentale de Moderna.

    Une cellule humaine d’un brun verdâtre est gravement infectée par les particules du SARS-CoV-2 (en rose) isolées chez un patient humain. Cette image, améliorée par coloration, a été prise au NIAID Integrated Research Facility de Fort Detrick au Maryland. Un vaccin empêcherait la réplication du virus et l’infection des cellules.

    PHOTOGRAPHIE DE Colorized scanning electron micrograph by National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH

    Elle ajoute que le véritable signe de réussite n’a toujours pas été évoqué dans les déclarations de l’entreprise : les cellules T ou lymphocytes T. Les anticorps ne représentent qu’une partie de la réponse immunitaire. Les cellules T en constituent l’autre. Les deux entités peuvent, par elles-mêmes, induire une protection durable mais les cellules T favorisent l’apparition des anticorps. Cette information est importante parce que les vaccins à ADN et à ARNm sont plus orientés vers le déclenchement des cellules T, élabore Bottazzi. Or l’évaluation d’une telle réponse est un processus ardu généralement réservé aux phases ultérieures des essais cliniques.

    Le chemin risque néanmoins d’être long pour Moderna. Les volontaires de la phase 2 devraient être surveillés pendant quinze mois au moins. Cependant, si les premiers signes semblent encourageants, le candidat-vaccin pourrait passer en dernière phase plus tard cette année.

    Que Moderna relève ou pas le défi, le monde aura besoin de plusieurs versions pour venir à bout de la pandémie. Plus de cent candidats-vaccins sont actuellement en phase d’élaboration à l’échelle mondiale et nombre d’entreprises font état de résultats prometteurs examinés par les pairs. Finalement, c’est un avantage d’avoir plusieurs projets de vaccin parce que si l’un s’avère inefficace, il y en aura toujours d’autres. L’espoir est sans cesse renouvelé, conclut Bottazzi.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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