Le dernier repas de ce nodosaure a été exceptionnellement bien préservé

L’analyse du contenu stomacal d’un dinosaure vieux de 110 millions d’années nous donne de précieux détails sur son quotidien et son environnement.

De Michael Greshko
Publication 8 juin 2020, 16:08 CEST
Il y a 110 millions d’années, dans l’actuel nord-ouest de l’Alberta, le nodosaure Borealopelta markmitchelli se nourrissait ...

Il y a 110 millions d’années, dans l’actuel nord-ouest de l’Alberta, le nodosaure Borealopelta markmitchelli se nourrissait de fougères dans une zone qui semblait avoir été récemment incendiée, selon une nouvelle étude de son contenu stomacal.

PHOTOGRAPHIE DE Illustration by Julius Csotonyi

C’est l’été, environ 110 millions d’années avant notre ère. Un dinosaure cuirassé erre dans une forêt ravagée par un incendie dans l’actuel nord-ouest de l’Alberta, au Canada. Il engloutit des fougères qui fleurissent au ras du sol, entre les cendres. Peu de temps après, il a trouvé la mort dans une rivière du Crétacé avant d’être emporté par la mer. Ce n’est qu’en 2011 qu’un exploitant de sables bitumineux déterre, par hasard, les restes de la créature préhistorique, enfouis dans les sédiments marins. C’est l’un des dinosaures les mieux préservés jamais découverts.

L’étude du fossile avait déjà donné des indices précieux sur l’apparence des dinosaures cuirassés et leur comportement. Aujourd’hui, les restes impressionnants du nodosaure ont permis aux chercheurs de faire une incroyable découverte : une masse de restes digestifs, retrouvée dans ses entrailles, révèle non seulement son régime alimentaire mais également la saison de sa mort.

Des pierres ont été retrouvées dans l’estomac du Borealopelta, sans doute avalées par le nodosaure pour faciliter la digestion.

PHOTOGRAPHIE DE Royal Tyrrell Museum Of Palaeontology

« Les restes sont si magnifiquement conservés que nous pouvons analyser le contenu stomacal », affirme Caleb Brown, auteur principal de l’étude et conservateur de dinosaures au Royal Tyrrell Museum of Palaeontology de l’Alberta.

L’étude, publiée dans la revue Royal Society Open Science, est en partie financée par la National Geographic Society. Elle donne des informations inédites sur ce grand dinosaure herbivore, depuis l’environnement où il a évolué jusqu’aux traces de charbon retrouvées dans son estomac.

« On peut se faire une idée assez claire du milieu où ce dinosaure a vécu », explique Victoria Arbour, conservatrice en paléontologie au musée royal de la Colombie-Britannique au Canada. « On peut avoir une vision très précise de la vie du nodosaure et c’est vraiment chouette. »

 

UN REPAS PRÉHISTORIQUE

S’il est plutôt rare de retrouver des estomacs fossilisés, il est rarissime de tomber sur des fossiles où on peut si clairement distinguer le dernier repas d’un herbivore. Il faut dire que les conditions chimiques qui assurent la conservation des os ont également tendance à décomposer la matière végétale. On n’a pu mettre en évidence la présence de matière végétale que dans l’estomac d’un seul autre dinosaure cuirassé, le Kunbarrasaurus d’Australie. Cependant, le dinosaure d’Alberta, le Borealopelta markmitchelli, était bien plus grand. Il mesurait environ 5,5 mètres de long et pesait 1 360 kilos. Son contenu stomacal est également mieux préservé.

Le Borealopelta est un nodosaure, un type de dinosaure cuirassé qui n’était pas doté d’une queue en forme de massue comme l’Ankylosaurus, son cousin plus connu. Il a vécu il y a 110 millions d’années environ dans l’actuel nord-ouest de l’Amérique du Nord. Le dinosaure semble s’être fossilisé dans des circonstances incroyables : il aurait été surpris par une rivière en crue puis emporté, à plus de 160 kilomètres, par une mer qui divisait jadis l’Amérique du Nord en deux parties, du golfe du Mexique à l’océan Arctique.

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    En enrobant des fragments du contenu stomacal dans la résine, les chercheurs ont réussi à les découper en des lamelles assez fines pour les étudier au microscope. Ils ont alors pu observer des milliers de minuscules fossiles végétaux.

    Image by Royal Tyrrell Museum Of Palaeontology

    Les restes du dinosaure ont été remarquablement bien conservés. Sa carapace osseuse est intacte mais également une grande partie des gaines de kératine qui la recouvrent. Ces indices permettent aux chercheurs de comprendre comment les plaques des dinosaures sont apparues, de se familiariser avec leur mode de fonctionnement et d’avoir même plus d’informations sur la pigmentation de leur peau.

    Borealopelta a été découvert en 2011 par un exploitant de sables bitumineux dans le nord de l’Alberta. Une équipe du Royal Tyrrell Museum of Palaeontology s’est rendue sur place pour entamer les travaux de fouille et le technicien du musée, Mark Mitchell, a consacré six ans à révéler soigneusement la peau et les os de la roche marine dans laquelle les restes du dinosaure étaient enveloppés. L’espèce a été rebaptisée markmitchelli en hommage au technicien.

    Lorsque Borealopelta a été dévoilé en 2017, les chercheurs se sont extasiés devant la qualité de conservation. Brown et son collègue Don Henderson, également conservateur de dinosaures au Royal Tyrrell Museum, ont émis l’hypothèse selon laquelle le fossile renfermait également un contenu stomacal. Dans le côté gauche de la cavité abdominale, on pouvait entrevoir une masse étrange de pierres multicolores, à l’emplacement même de l’estomac. Brown et Henderson ont alors récolté quelques fragments de la masse, les ont enrobés dans la résine et les ont découpés en fines lamelles pour pouvoir les observer au microscope.

    Quelques heures après avoir savouré son dernier repas, Borealopelta a été emporté par la mer. Sa carcasse et son contenu stomacal ont été merveilleusement bien conservés dans les sédiments marins.

    PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

    En scrutant les fragments au microscope, les deux chercheurs ont rapidement distingué la matière végétale fossilisée, y compris les pores à travers lesquelles les plantes absorbaient le dioxyde de carbone. Brown et Henderson sont cependant experts en dinosaures et non en plantes. Ils décident donc de faire appel à Jim Basinger et David Greenwood, experts chevronnés en flore ancienne.

    « Les plantes sont une machine à remonter le temps. Elles permettent de nous donner une idée du paysage », explique Greenwood, paléobotaniste à l’université de Brandon. « Était-ce humide ? La région faisait-elle face à une sécheresse saisonnière ? Y avait-il formation de gel en hiver ? Bien sûr, cette étude nous permet également de savoir de quoi notre ami se nourrissait. »

     

    DANS LES ENTRAILLES DU DINOSAURE

    Du milieu de l’année 2017 à la fin de 2018, l’équipe a passé les indices au crible, sous la direction de la femme de Greenwood, Cathy. Cette dernière a minutieusement répertorié les milliers de fragments de matière végétale. Pour mieux comprendre le milieu dans lequel Borealopelta a évolué, l’équipe a également examiné les fossiles de la formation de Gates, une série de lits de charbon qui se sont formés dans la région où Borealopelta vivait à l’ère du Crétacé.

    Dans le Crétacé moyen, le climat du nord du Canada était beaucoup plus humide et chaud qu’il ne l’est de nos jours. Des clairières luxuriantes ornaient le paysage d’un feuillage très différent des champs de blés et des forêts qu’on voit aujourd’hui. Les plantes à fleurs commençaient à peine à pousser il y a 110 millions d’années. Les forêts étaient plutôt dominées par des conifères et des cycadales. Les broussailles étaient remplies de fougères et de prêles.

    En comparant les plantes de la formation de Gates à celles retrouvées dans le contenu stomacal de Borealopelta, l’équipe a conclu que l’animal broutait près du sol. Les chercheurs ont été surpris de constater que Borealopelta semblait même avoir une préférence pour un certain type de fougère et négligeait les autres plantes. De plus, près de 6 % du contenu stomacal contenait du charbon de bois. Cela suggère qu’il broutait dans une zone récemment ravagée par des incendies.

    D’autres indices, comme les anneaux de maturité de certains plants, ont permis aux chercheurs de supposer que le dinosaure les aurait engloutis au cours de leur période de croissance qui s’étend de la fin du printemps au milieu de l’été. De plus, les fougères ingérées par le nodosaure étaient dotées de sporanges matures. Toutes ces données suggèrent que Borealopelta a ingurgité son dernier repas entre le début et le milieu de l’été, avant de rendre son dernier souffle quelques heures plus tard.

    Les chercheurs ont déjà émis l’hypothèse que les dinosaures cuirassés se nourrissaient de fougères et autres plantes qui poussaient au ras du sol et que les espèces aux mâchoires étroites comme Borealopelta privilégiaient certaines plantes plutôt que d’autres comme le cerf actuel. Ce nouveau fossile a permis de confirmer leurs dires et servirait de modèle pour l’étude d’éventuels contenus stomacaux fossilisés.  

    « Il s’agit d’un spécimen particulier et on n’a pu déceler qu’une infime partie de sa vie. On ne peut donc pas savoir si cet échantillon est représentatif », souligne Brown. « Cependant, en théorie, si on réussit à mettre la main sur d’autres spécimens du genre, on pourra établir les différences entre un régime d’été et un régime d’hiver. »

    Le fossile Borealopelta n’a peut-être pas livré tous ses secrets. L’animal a en effet été emporté par la mer. Les chercheurs ne savent donc pas où il a vécu. De plus, des pierres appelées gastrolithes ont été retrouvées dans l’estomac du dinosaure. Elles ressemblent aux pierres de gésier que les oiseaux avalent pour faciliter la digestion. Grâce aux empreintes fossilisées, les chercheurs savent que les dinosaures comme Borealopelta ont vécu dans la formation de Gates. Les tests chimiques pourraient leur permettre d’attribuer les pierres stomacales à des affleurements bien précis.

    Même sans ces détails supplémentaires, Borealopelta nous permet de nous plonger dans une journée d’été il y a plus de cent millions d’années. « Nous avons pris le pli de percevoir les dinosaures comme des créatures mortes et non comme des êtres vivants », indique Basinger, paléobotaniste à l’université de la Saskatchewan. « Cette découverte est l’occasion de montrer au monde qu’il s’agit d’espèces vivantes qui évoluaient, mangeaient et vagabondaient dans un environnement donné. Les dinosaures ne se limitent pas à des os qu’on admire dans un musée. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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