Coronavirus : comment savoir qu'un vaccin est prêt ?

Les autorités sanitaires ont défini les critères de sécurité et d’efficacité des vaccins. Le véritable défi est de réussir à convaincre le grand public.

De Roxanne Khamsi
Publication 2 juil. 2020, 17:28 CEST
Le 16 mars 2020, au Kaiser Permanente Washington Health Research Institute de Seattle, Neal Browning reçoit ...

Le 16 mars 2020, au Kaiser Permanente Washington Health Research Institute de Seattle, Neal Browning reçoit une injection lors de la phase 1 des essais cliniques pour tester l’efficacité d’un vaccin contre la COVID-19.

PHOTOGRAPHIE DE Ted S. Warren, AP Images

David Lewis faisait de la randonnée dans la neige avec son peloton. Ce jour-là, le militaire ne se sentait pas très en forme, en proie à une grippe. C’était en janvier 1976. Le jeune Lewis, alors âgé de 19 ans, était en poste à Fort Dix dans l’État du New Jersey, où 230 soldats tomberont malades par la suite. Cependant, Lewis a été le seul à s’effondrer en pleine randonnée avant de rendre l’âme peu de temps après. Les États-Unis ont été pris de panique suite à son décès.

La souche recueillie à Fort Dix ressemble à celle à l’origine de la grippe de 1918. Cette similarité fit la une des journaux. Dans les années 1970, les groupes à haut risque ont été incités à se faire vacciner contre la grippe. Le gouvernement américain s'est empressé de mettre en place un vaccin contre la souche de Fort Dix dans l’espoir que 80 % de la population reçoive l’injection.

La suite fut hélas déroutante. Élaboré à la hâte, le vaccin a provoqué 500 cas de paralysie et 25 décès. Peu de temps après que l’épidémie de Fort Dix a été rendue publique, la moitié de la population a exprimé son intention de se faire vacciner. Toutefois, avec la tournure que prenaient les événements, seuls 22 % des habitants des États-Unis ont reçu le vaccin avant la fin de l’année.

Maintenant que la COVID-19 s’est répandue un peu partout dans le monde, plus de 140 vaccins sont en cours d’élaboration pour essayer de protéger les populations contre le virus. À quel moment saurons-nous si un vaccin est suffisamment efficace et sûr pour convaincre les populations de le prendre ?

D’habitude, les vaccins mettent des années avant de voir le jour. Cependant, dans le cadre de la pandémie actuelle, les progrès sont très rapides. Une première. Au moins un candidat, produit par le laboratoire américain Moderna, devrait, ce mois-ci, entrer dans la troisième phase des essais cliniques. En mai dernier, le gouvernement américain a lancé l’opération « Warp Speed », investissant des milliards de dollars pour élaborer des vaccins potentiels et les tester le plus vite possible.

Certains chercheurs mettent en garde contre l’adoption du premier vaccin qui se concrétise. Le déploiement massif d’un vaccin auprès du grand public requiert un équilibre délicat de la part des autorités sanitaires.

Si on produit en masse un vaccin à l’efficacité limitée et qu’on en fait ardemment la promotion, cela risque de dissuader les concepteurs de vaccins d’essayer d’en trouver un meilleur. « Si vous acceptez un vaccin à faible efficacité, vous entravez la possibilité de développer un vaccin plus efficace », prévient Roland Sutter, coordonnateur à l’OMS de l’équipe Recherche et mise au point de produits de l’Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite à Genève en Suisse jusqu’à sa retraite en décembre dernier.

Qu’est-ce qui fait qu'un vaccin contre la COVID-19 est prêt pour un déploiement massif ? Tel est le défi principal pour les chercheurs et les décideurs politiques dans les mois à venir. Des contrôles sont également nécessaires pour en garantir la sûreté afin de ne pas répéter les erreurs de 1976 et de ne pas voir la confiance du public ébranlée.

 

QUELS CRITÈRES POUR LE VACCIN ?

La mise en place d’un vaccin se fait en plusieurs étapes, la première étant la phase 1 des essais cliniques pour évaluer l’innocuité du vaccin sur un nombre limité de sujets volontaires sains. Une cinquantaine de participants se prête généralement à l’essai mais ce nombre varie considérablement.

La phase 2 des essais cliniques donne une idée de l’efficacité du vaccin. Celle-ci est généralement évaluée grâce à une analyse sanguine pour détecter la présence d’anticorps capables de neutraliser l’agent pathogène.

La phase 3, qui permet de voir dans quelle mesure le vaccin protège les individus, inclut généralement des milliers de participants, en comparant le degré de protection de ceux qui reçoivent le vrai traitement par rapport à ceux qui se voient administrer le placebo.

La véritable épreuve, selon les chercheurs, commence une fois que ces vaccins sont approuvés et administrés à grande échelle.

« L’essai clinique reste un milieu sous contrôle », dit Charlie Weller, directrice des programmes de vaccins à Wellcome, organisme de financement des recherches biomédicales à Londres. Les personnes qui participent à l’essai sont plus consciencieuses et prennent moins de risques susceptibles de les exposer au virus parce que le suivi est assuré par les médecins. « Lorsque vous participez à un essai clinique, vous le faites en connaissance de cause et adaptez votre comportement en conséquence », ajoute-t-elle. « L’épreuve ultime est donc celle du déploiement du vaccin au sein de la population. »

Certains vaccins sont plus efficaces que d’autres même s’ils ont traversé les mêmes phases d’essais cliniques. (Les raisons exactes ne sont pas toujours claires. Cela peut s’expliquer par des facteurs inhérents au virus ciblé – sa tendance à muter et à se propager dans le corps – ainsi que la manière dont notre système immunitaire réagit au virus.)

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    Parmi les traitements très efficaces figure le vaccin antipoliomyélitique inactivé. La protection contre la maladie est pratiquement efficace à 100 % après l’administration des trois doses. De même, le vaccin contre la rougeole est efficace à 96 % environ après l’injection de la première dose.

    D’autres vaccins sont administrés même si leur efficacité est plus réduite. Les souches du virus de la grippe sont différentes d’une année à l’autre et c’est en partie pour cette raison que l’injection du vaccin annuel ne réduira le risque d’attraper le virus que de 40 à 60 %. Le vaccin contre le paludisme, connu sous le nom de RTS,S, réduit d’un tiers uniquement les chances de contracter une forme grave de la maladie. Cependant, ce vaccin reste une option dans les régions très touchées par la maladie parce qu’il entraîne la mort de jeunes enfants. Sauver la vie du tiers de ces enfants est déjà un avantage considérable, indique Matthew Laurens, spécialiste en maladies infectieuses pédiatriques au Center for Vaccine Development (CVD) de l’école de médecine de l’université du Maryland à Baltimore.

    En ce qui concerne le vaccin contre la COVID-19, le candidat idéal devrait conférer l’immunité à 70 % de la population au moins, y compris les personnes âgées, comme signalé en avril par l’OMS. Le 28 juin, Anthony Fauci, directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases, a dit qu’il se contenterait d’un vaccin efficace à 70 ou 75 %.

    Par ailleurs, l’OMS précise que le minimum d’efficacité requis pour accepter un vaccin est de 50 %. Le 30 juin, la Food and Drug Administration s’est alignée sur la décision de l’OMS, publiant un document qui met en lumière le même objectif de base. Certains chercheurs ne semblent pas convaincus : « Un taux de 50 % serait catastrophique », s’alarme Byram Bridle, immunologiste à l’Ontario Veterinary College de l’université de Guelph au Canada. « Pour mettre fin à la pandémie, nous devons absolument garantir l’immunité collective, explique Bridle, et un vaccin efficace à 50 % ne nous permet pas d’atteindre cet objectif. »

    D’autres chercheurs considèrent que tout vaccin ne représente qu’une partie d’une approche à plusieurs facettes pour réduire la propagation de la COVID-19, en plus de la distanciation sociale et du port du masque. « Nous devons évaluer l’intérêt que présente le vaccin pour la santé publique », insiste Laurens.

    Les immunologistes demeurent très vigilants quant aux conséquences des nouveaux vaccins pour éviter les mauvaises surprises qui, par le passé, étaient certes rares mais néfastes. Par exemple, le premier vaccin contre le rotavirus a été retiré du marché en 1999 parce qu’il causait des invaginations intestinales (pénétration d’une partie d'un organe dans celle qui lui fait suite). Cet effet indésirable grave n’avait pas été détecté lors des essais cliniques et avait été déployé en masse. Plus récemment, en 2009, on a établi un lien entre le vaccin Pandemrix contre le virus de la grippe H1N1 et la narcolepsie en Europe. 

    « Lors des petits essais cliniques menés pour essayer de trouver un vaccin contre la COVID-19, on assiste rarement à des réactions graves », dit Wayne Koff, PDG de Human Vaccines Project, un partenariat public-privé qui vise à accélérer la mise en place de vaccins. Chaque année, à travers le monde, on administre aux enfants et aux adultes des millions de doses de vaccins approuvés. Les effets indésirables sévères sont rares.

    Lors de la phase 1 des essais cliniques menés par Moderna dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, quatre parmi les 45 participants ayant reçu l’injection ont présenté des réactions indésirables marquées sur le plan médical, dont un homme qui a souffert de forte fièvre avant de s’évanouir. Cependant, les chercheurs savent que les vaccins à ARNm peuvent parfois hyper-stimuler le système immunitaire et trois des quatre personnes chez qui les effets indésirables se sont manifestés avaient reçu la dose la plus élevée lors de l’essai, une pratique qui a depuis été interrompue.

     

    UN DÉFI MAJEUR : CONVAINCRE LE PUBLIC

    À supposer qu’un vaccin contre la COVID-19 réponde aux exigences de l’OMS, y compris que les « avantages du vaccin l’emportent sur les risques en matière de sécurité », encore faut-il convaincre le grand public de se faire vacciner.

    Selon un sondage mené en mai dernier auprès de mille personnes par The Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research, 50 % des répondants se disent prêts à recevoir le vaccin une fois qu’il sera disponible. Le centre avait recensé le même nombre environ lors d’une enquête réalisée auparavant pour le vaccin contre la grippe. Cette proportion est également en accord avec les résultats d’un sondage mené à peu près au même moment par le Pew Research Center Poll.

    Cependant, en comparant les données, on remarque qu’il existe plus de personnes qui n’ont pas encore décidé si elles étaient oui ou non en faveur de la vaccination contre la COVID-19 par rapport au vaccin contre la grippe. 18 % des sondés se disent indécis par rapport au vaccin contre la grippe contre 31 % pour le vaccin contre la COVID-19. Parmi ceux qui préfèrent s’abstenir de recevoir l’injection, il y avait deux fois plus de personnes inquiètes des effets indésirables du vaccin contre la COVID-19 que du vaccin contre la grippe.

    Selon le sondage, « les femmes semblent plus indécises », dit Jennifer Benz, directrice adjointe de The Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research. 56 % des hommes ont répondu qu’ils se feraient vacciner contre 43 % des femmes seulement. « Souvent, ce sont les femmes qui prennent les décisions en matière de santé au sein de la famille. Lorsqu’il s’agit de faire vacciner toute la famille, mais aussi de prendre des rendez-vous, les femmes sont un groupe potentiellement influent », renchérit Benz.

    Le principal défi, selon Laurens, est d’expliquer aux différents individus comment ils peuvent avoir leur rôle à jouer dans le ralentissement de la pandémie, une fois qu’un vaccin adéquat est disponible. « Nous devons faire tout notre possible pour informer le public sur la manière dont les vaccins sont testés, mais aussi leur innocuité, leur importance et comment ils peuvent faire barrage à la maladie au sein d’une communauté », souligne-t-il.

    La réticence face à la vaccination n’est pas le seul obstacle à surmonter. Weller anticipe un scénario où l’intérêt public pour le vaccin est supérieur à la quantité disponible.

    Amesh Adalja du Johns Hopkins Center for Health Security à Baltimore met en garde contre un « chaos » si la demande est élevée et que le déploiement ne se fait pas avec précaution. « Il suffit de penser au Black Friday et à ce qui se passe lorsqu’on fait la queue », dit-il en parlant de cet évènement commercial d’une journée qui se déroule le vendredi suivant la fête de Thanksgiving, et où les foules impatientes se ruent à l’intérieur des boutiques.

    Les coordonnateurs des campagnes de vaccination passées surveillent de près le processus de la mise en place d’un vaccin contre la COVID-19, dans l’espoir d’éviter les faux pas susceptibles de compromettre l’adoption du vaccin et l’accès à celui-ci. « Il en faut peu pour décrédibiliser le vaccin auprès de la population », dit Sutter. « Le déploiement doit être mûrement réfléchi pour éviter de mettre en péril la confiance du public. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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