Coronavirus : Les camps de vacances, crash-test avant la rentrée scolaire
Aux États-Unis, de nombreux camps de vacances ont maintenu leur activité pendant la pandémie et pourraient offrir aux écoles une base de référence pour organiser le retour en classe.
La plupart des organisateurs de camps de vacances interrogés par National Geographic ont déclaré ne pas avoir eu de cas de COVID-19 à déplorer, mais tous les centres d'accueil pour enfants ne sortent pas indemnes de cette période estivale.
Du haut de ses 9 ans, Georgia Zengerle attendait patiemment la fin du trajet. À l'avant, son père faisait onduler la voiture sur les routes sinueuses des montagnes verdoyantes de Caroline du Nord. Nous sommes à la mi-juillet, un trajet de quatre heures les attend pour rejoindre la ville de Brevard dans l'espoir d'y retrouver un semblant de normalité.
Leur destination ? Le camp de vacances pour filles Keystone, un établissement centenaire resté ouvert en 1918 pendant la pandémie de grippe espagnole et qui a décidé cette année de défier le coronavirus. Habituellement, les participantes sillonnent à cheval les 50 hectares du domaine, descendent en canoë les rivières Green et Tuckasegee ou filent à vive allure sur les tyroliennes tendues entre les pins des montagnes Blue Ridge. Cette année en revanche, coronavirus oblige, activité allait devoir rimer avec mesures de sécurité.
Dès qu'elle quittait sa chambre, Georgia devait porter un masque et toutes ses activités se déroulaient avec le même petit groupe aux liens étroits, sa bulle sociale. Du côté des feux de camp, des cônes stratégiquement répartis à travers le terrain signalaient les places assises respectueuses de la distanciation sociale. Grâce à ces mesures, c'est la tête remplie de souvenirs heureux que Georgia a pu rentrer chez elle le 24 juillet… et sans COVID-19.
« Elle a compris le raisonnement derrière ces changements et elle a compris que ce séjour était une sorte d'expérience inédite : pas moins amusante, juste différente, » raconte la mère de Georgia, Claire Farel, médecin spécialiste des maladies infectieuses au sein de l'université de Caroline du Nord à Chapel Hill.
À l'heure où la maladie du coronavirus atteint des sommets aux États-Unis, certains camps de vacances s'efforcent de naviguer le plus sereinement possible à travers la pandémie. D'après Tom Rosenberg, PDG de l'American Camp Association, sur les plus 15 000 camps que comptent les États-Unis, 80 % des camps résidentiels et 40 % des camps à la journée ont fermé leurs portes cet été, soit une perte de 16 milliards de dollars pour le secteur.
Afin de limiter les risques encourus par le personnel et les enfants, les camps ayant choisi d'ouvrir ont dû repenser leur organisation, voilà ce qui ressort de l'enquête réalisée par National Geographic. Bon nombre d'entre eux ont ainsi établi des protocoles visant à isoler les cas avant le départ d'une flambée épidémique. Certains ont même réussi à éviter la maladie à coronavirus plusieurs semaines d'affilée.
Ce n'est malheureusement pas le cas de la totalité d'entre eux. D'après un rapport des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) paru le 31 juillet, 260 des 597 participants (44 %) à un camp avec hébergement resté anonyme dans l'état de Géorgie ont été testés positifs à la COVID-19. La flambée épidémique a particulièrement touché les plus jeunes campeurs avec 51 enfants de 6 à 10 ans testés positifs sur les 100 présents, un constat qui vient appuyer les récentes observations attestant de la vulnérabilité des plus jeunes face à la COVID-19, contrairement à ce que laissaient entendre les hypothèses antérieures.
Ces camps de vacances pourraient offrir un aperçu partiel de la marche à suivre pour une rentrée des classes en toute sécurité et des défis qui attendent les établissements scolaires le moment venu.
« ON REPART À ZÉRO »
Des angines aux poux, les maladies infectieuses n'ont rien de nouveau pour les camps de vacances. Pourtant, comme en témoigne Page Lemel, propriétaire et directrice du Keystone Camp, aucun été de mémoire récente n'avait posé un aussi grand défi que celui-ci.
Lemel est à la tête du Keystone Camp depuis 37 ans et cela fait plus d'un siècle que sa famille en est propriétaire. Son arrière-grand-tante a fondé le camp en 1916 et l'a dirigé à travers la pandémie de grippe de 1918. Lorsque les premières mentions du coronavirus ont émergé au printemps, Lemel s'est entretenue avec sa tante âgée de 89 ans à propos des quarantaines imposées à Keystone pour lutter contre la poliomyélite dans les années 1940.
Pour rester en activité pendant la pandémie, Lemel et son équipe n'ont eu d'autre choix que de tout repenser : de l'arrivée des enfants (parents dans la voiture) aux rassemblements des campeurs masqués, sur le court de tennis, à bonne distance les un des autres grâce à des cercles tracés au sol. En outre, Lemel tient un journal de la température quotidienne de ses employés depuis le mois de mai.
Pour le moment, ces changements semblent avoir porté leurs fruits. Deux semaines avant la fin des deux mois de saison, aucun participant ni membre du personnel n'a été testé positif à la COVID-19 et les campeurs comme Georgia ont eu tout le loisir de jouer à l'extérieur avec leurs amis d'une façon qui leur était impossible chez eux depuis la fermeture des écoles et la mise en place des mesures de confinement plus tôt cette année. Cela dit, cette vigilance de tous les instants n'est pas sans conséquence, d'autant plus que les cas de COVID-19 sont à la hausse en Caroline du Nord.
« Le stress est plus intense que tout ce que j'ai déjà pu vivre en tant que directrice de camp, » déclare Lemel. « Je suis terrifiée à l'idée d'ouvrir une nouvelle session, car on repart à zéro. »
DISTANCIATION ET SUIVI
Laura Blaisdell n'est pas étrangère à ce sentiment qui allie stress et détermination. Pédiatre de formation, elle emménage en 2005 à Fayette dans le Maine où son mari est le propriétaire de troisième génération du Camp Winnebago, un camp réservé aux garçons. Depuis, elle travaille chaque été en tant que directrice médicale du centre.
En 2012, Blaisdell, également titulaire d'un Master en santé publique, a copublié une étude sur la propagation de la grippe A (H1N1) de 2009 à travers les camps résidentiels d'été du Maine. Malgré tout, avec la COVID-19 elle s'est retrouvée confrontée à des défis qu'elle-même n'avait pas anticipés, comme la discrétion de ses symptômes ou l'ampleur de l'épidémie à l'échelle nationale.
Quoi qu'il en soit, Blaisdell et bien d'autres n'ont pas hésité à mettre les bouchées doubles pour aider le secteur des camps de vacances à passer les eaux agitées du coronavirus. Plus tôt cette année, l'American Camp Association et la Young Men's Christian Association ont publié un guide pratique de 90 pages dans lequel offrent des conseils aux camps résidentiels et de jour sur mise en place des directives de santé publique communiquées par les CDC.
Plutôt que d'éliminer les risques COVID-19, ce qui est impossible, le guide se propose d'aider les directeurs de camps de vacances à les atténuer et les appréhender. Par exemple, il conseille aux parents de surveiller les éventuels symptômes de leur enfant, voire de leur imposer une quatorzaine, dans les deux semaines qui précèdent l'arrivée au camp. De la même façon, le personnel est invité à s'isoler sur site pendant deux semaines avant l'arrivée des campeurs, dont la température et les symptômes devront faire l'objet d'un suivi scrupuleux au quotidien.
En plus des règles habituelles que sont le lavage des mains, le port du masque et la distanciation sociale, certains directeurs médicaux à l'instar de Blaisdell ont ajouté une contrainte supplémentaire : la bulle sociale. Chaque chambrée ou chaque classe limite au maximum ses contacts avec le reste des participants au camp. Cette division permet d'éviter les flambées à l'échelle du camp tout entier en facilitant l'isolation des éventuels nouveaux cas.
Ces bulles sociales sont plus difficiles à mettre en place pour les camps de jour, puisque les enfants, le personnel et les parents vont et viennent régulièrement. Il est toutefois possible d'en appliquer une variante. Au Children’s Theater of Charlotte en Caroline du Nord, les participants et les membres du personnel à la journée doivent consigner chaque jour leurs symptômes dans une application sur smartphone. De plus, les groupes restent avec le même moniteur pendant toute la durée du camp afin de minimiser les interactions. Steven Levine, le directeur de production du Children’s Theater of Charlotte, nous informe également de la mise en place d'une rediffusion en direct des activités du jour, dans l'éventualité où un participant venait à tomber malade ou ne pourrait pas se rendre physiquement au camp pour d'autres raisons.
Certaines organisations pour la jeunesse ont rencontré un tel succès avec les camps virtuels qu'ils prévoient d'en faire une offre permanente. Ainsi, les Girl Scouts of Southern Arizona, qui ne comptent pas moins de 5 000 membres filles à travers l'état, ont décidé au printemps de se tourner vers une offre intégralement virtuelle. Pour ces « Camp Log On », les scouts reçoivent un colis, le « camp-in-a-box » (camp en boîte), qui contient des matériaux de fabrication, des écussons et des t-shirts du camp. Les Girl Scouts se connectent ensuite à Zoom et passent quelques heures par jour avec leurs camarades de camp. Afin de permettre aux familles ne disposant pas d'un accès à internet de participer plus facilement aux Camp Log On, les Girl Scouts of Southern Arizona ont étendu le réseau Wi-Fi de leurs établissements aux parkings adjacents. Pour les prochaines éditions du camp virtuel, l'organisation a l'intention de mettre en place une « bibliothèque de prêt » d'ordinateurs.
« On s'essayait au virtuel depuis un moment déjà, mais nous n'avions jamais vraiment été en mesure de lancer un projet à part entière, » explique Kristen Garcia-Hernandez, directrice des Girl Scouts of Southern Arizona. « Il nous apparaît évident à présent que nous devrons garder cette voie ouverte et proposer cette expérience de camp virtuel. »
UN MODÈLE POUR LES ÉCOLES
À ce stade de la saison estivale, de nombreux organisateurs de camp interrogés par National Geographic ont déclaré n'avoir aucun cas de COVID-19 à déplorer ou avoir réussi à isoler les cas avant la propagation du virus. « Je suis au milieu de la sixième manche ; le match est en bonne voie, » déclare Steve Baskin, propriétaire et directeur du Camp Champions de Marble Falls, au Texas. « Je ne voudrais pas tout gâcher. »
Cependant, l'été ne se montre pas aussi inoffensif pour l'ensemble des centres d'accueil pour enfants. Emily Oster est économiste à l'université Brown ; elle a organisé un sondage auprès des crèches, des écoles d'été et des camps de vacances, auquel ont notamment participé Camp Champions et Keystone Camp, afin d'évaluer la prévalence du virus dans ces environnements. Même si Oster précise que les données ne sont pas idéales, elles suggèrent tout de même que de nombreux centres pour enfants sont parvenus à empêcher la formation de foyers épidémiques.
Hormis le camp resté anonyme en Géorgie, des flambées épidémiques ont été suspectées dans d'autres centres également. À titre d'exemple, le centre de vacances Allaso Ranch de Hawkins, au Texas, a accueilli en juillet des séjours catholiques qui auraient généré entre 30 et 80 cas de COVID-19 d'après les parents des participants, des témoignages recueillis par le Fort Worth Star-Telegram et directement auprès de deux parents par National Geographic. La Fellowship Church de Grapevine, l'église propriétaire de l'Allaso Ranch, n'a pas souhaité faire de déclaration publique sur la taille réelle du foyer épidémique et le Texas Department of State Health Services ne divulgue aucune donnée liée au coronavirus pour les établissements privés.
L'Allaso Ranch disposait d'un plan COVID-19, prévoyant notamment la prise de température sans toutefois exiger des campeurs le port du masque. Des photos publiées sur Instagram montrent qu'à un certain point au mois de juillet, plus de 140 adolescents dépourvus de masque étaient rassemblés au sein de l'établissement pour une photo de groupe. D'autres images laissent entrevoir des dizaines de campeurs réunis en intérieur à l'occasion d'un concert évangélique, sans masque apparent ni distanciation sociale.
Dans un communiqué adressé au Star-Telegram, un porte-parole de la Fellowship Church a assuré que l'église avait suivi les recommandations des CDC. Le porte-parole a également indiqué que l'Allaso Ranch contactait les parents si des campeurs développaient des symptômes ou étaient entrés en contact étroit avec des cas potentiels. L'Allaso Ranch et la Fellowship Church n'ont pas réagi aux demandes de commentaires adressées par National Geographic.
En ce qui concerne l'épidémie de l'état de Géorgie, les CDC notent que le personnel n'avait ni exigé des participants qu'ils portent un masque ni ouvert les portes et les fenêtres pour aérer la pièce. « Les multiples mesures adoptées par le camp n'étaient pas suffisantes pour empêcher une flambée épidémique dans le contexte d'une importante transmission communautaire, » peut-on lire dans le rapport.
De tels incidents permettent de comprendre l'état d'alerte permanent dans lequel se trouve le personnel médical des différents camps pour enfants de tous âges. Blaisdell indique que dans le cas de la grippe H1N1, la visibilité des symptômes grippaux facilitait le suivi. Au camp de Géorgie, un quart des cas confirmés de COVID-19 étaient asymptomatiques et même lorsque des symptômes apparaissent, le coronavirus ne se manifeste pas toujours de la même façon chez l'enfant qu'il le ferait chez l'adulte ; la maladie peut se cacher derrière le moindre mal d'estomac, épisode de diarrhée ou reniflement.
Par précaution, certains camps ont d'ailleurs mis en quarantaine des enfants pour des maladies qui se sont plus tard révélées être de l'asthme ou de simples allergies. « Le coronavirus est un virtuose du déguisement chez l'enfant, » déclare Blaisdell. (À lire : Coronavirus : que se passe-t-il dans le corps des enfants qui en sont atteints ?)
Autre défi : nous ne savons toujours pas avec quelle efficacité les enfants transmettent la COVID-19, mais les premières recherches ne nient pas les risques de transmission. Par exemple, une étude récente de suivi des cas contacts réalisée en Corée du Sud a montré que les patients âgés de 10 à 19 ans propageaient le virus aussi efficacement que les adultes. Dans une autre étude publiée le 30 juillet par la revue JAMA Pediatrics, des chercheurs ont montré que les moins de 5 ans atteints par la maladie à coronavirus possédaient autant de matériel génétique viral dans leurs voies nasales que les enfants plus âgés ou les adultes, si ce n'est plus.
Ce constat ne signifie pas nécessairement, en soi, que les jeunes enfants sont susceptibles de diffuser de grandes quantités de charges virales infectieuses. Cependant, une étude à petite échelle menée en Suisse a montré l'existence d'une corrélation entre la quantité de matériel génétique viral récoltée par prélèvement nasal et la capacité à isoler des virus infectieux chez les enfants présentant des symptômes de la COVID-19.
« À quel point les enfants sont-ils contagieux ? Quels sont les risques qu'ils transmettent le virus à d'autres enfants, à leurs enseignants ou à leurs parents ? Nous ne pouvons pas encore répondre avec certitude à ces questions, » déclare Dimitri Christakis, pédiatre au sein de l'hôpital pour enfants de Seattle et coauteur d'une étude de l'Académie Nationale des États-Unis sur la réouverture des écoles maternelles et primaires dans le contexte épidémique actuel.
Vient ensuite le problème des coûts. Les directeurs de camps ont bien conscience des ressources exigées par cette adaptation : plus de personnel, de produits de nettoyage, de tests, de temps et d'argent. Tous les camps ou, au sens plus large, les centres d'accueil pour enfants ne disposent pas des mêmes niveaux de ressource ou d'infrastructure.
Diriger un camp en toute sécurité ou y participer pendant une pandémie est un privilège, un privilège qui met en lumière les inégalités économiques et sanitaires inhérentes à l'été américain et témoigne d'un fossé qui ne fera que se creuser lors du retour en classe des élèves cet automne.
« Aux États-Unis, la plupart des inégalités et des disparités selon les clivages ethniques sont peut-être encore plus visibles aujourd'hui, en raison du contexte, » déclare Rachel Thornton, maître de conférences en pédiatrie à l'université Johns-Hopkins et coauteure d'une étude de l'Académie Nationale des États-Unis sur la saison estivale parue en 2019.
Les camps ont également remarqué les effets indirects et néfastes du coronavirus sur les enfants. Les mois d'isolation et de distanciation sociale ont eu pour effet de dégrader la forme physique de certains enfants, témoigne Blaisdell. Chez certains campeurs, le personnel a également décelé une forme d'agoraphobie et l'émergence d'une souffrance mentale induite par ces derniers mois. « Habituellement, on a peut-être un enfant qui utilise Zoom pour parler à un thérapeute, mais cet été il y en a une dizaine, » indique Baskin.
Des experts prennent note des leçons tirées par ces camps afin d'en faire profiter les écoles qui pourront ensuite adopter leurs meilleures pratiques. L'American Camp Association prévoit de réaliser un sondage rétrospectif des camps plus tard cette année et les données de quatre camps du Maine sont recueillies par Blaisdell tout au long de l'été.
Pour Christakis, les réussites et les échecs des camps devraient offrir aux écoles une base de référence « très utile », mais avec ses confrères il déplore l'absence de stratégie concrète à l'échelle nationale pour suivre la propagation du coronavirus dans les établissements accueillant des enfants.
« Lorsque nous avons commencé, il n'y avait pas la marge de manœuvre nécessaire, il n'y avait même pas de quoi tester suffisamment… cela devrait passer en priorité, car nous devons absolument répondre à ces questions, » explique Christakis.
Du point de vue de Lemel, directrice du Keystone Camp, les enjeux nationaux sont trop importants pour se permettre un faux pas lors de la réouverture des écoles, un message qu'elle tente de faire entendre au gouvernement local. Lorsque Lemel n'est pas au camp, elle est membre de commission au comté de Transylvania, où se situe Keystone, et elle préside le comité à la santé et aux services sociaux de l'Association des commissaires du comté.
« Il faut mesurer l'énergie et les efforts investis pour maintenir les camps en activité, mais également mettre un point d'honneur à garantir que nos enfants aient une enfance, » conclut-elle. « Voilà les leçons à tirer et à mettre en place. Il le faut, tout simplement. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.