En Afrique Centrale, un variant mortel de la variole du singe fait rage

Des experts appellent au renforcement des mesures visant à endiguer le variant qui sévit en République démocratique du Congo, un variant 10 fois plus mortel que la souche qui s'est propagée à travers le monde.

De Rene Ebersole
Publication 31 oct. 2022, 12:22 CET
Après avoir perdu sa fille emportée par la variole du singe, Blandine Bosaky, âgée de 18 ans ...

Après avoir perdu sa fille emportée par la variole du singe, Blandine Bosaky, âgée de 18 ans et enceinte, a reçu un traitement aux antibiotiques dans une clinique rurale de la République du Congo. Si une femme contracte la variole du singe pendant la grossesse, la maladie peut être transmise à son foetus, ce qui lui laisse peu de chances de survie. Les experts demandent une surveillance renforcée de la maladie dans ces régions reculées d'Afrique afin de mieux détecter les premiers signes d'une épidémie.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

Une femme enceinte de huit mois couverte de lésions des pieds à la tête. Des enfants rongés par la fièvre et les douleurs. Un père demandant de l'argent pour acheter des antibiotiques afin de soigner son fils de cinq ans après avoir enterré deux autres enfants contaminés par la variole du singe.

Voilà les souvenirs qui tourmentent Divin Malekani, écologiste à l'université de Kinshasa en République du Congo. Divin collabore actuellement avec la Wildlife Conservation Society afin de réduire l'exposition aux maladies zoonotiques. « J'ai vu de nombreux cas humains de varioles du singe, » dit-il en évoquant un séjour passé dans le nord-ouest du pays l'année dernière.

La Sangha est une rivière fréquemment empruntée pour le commerce, notamment celui du gibier comme le singe, les rongeurs et le cerf chassés puis vendus sur les étals des marchés du Congo et du Cameroun voisin. Pour certains chercheurs, la clé de la réduction des risques de débordement des maladies infectieuses de la faune à l'Homme réside dans la protection de la forêt contre l'empiétement humain.

PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

Dérivée de la variole avec deux variants connus à ce jour, la variole du singe a reçu son nom en 1958 suite à la détection dans une colonie de singes de laboratoire à Copenhague, au Danemark. Les scientifiques pensent que les rongeurs sont le principal réservoir de la maladie, et non les primates.

La forme moins virulente de la maladie est le clade II, ou variant d'Afrique de l'Ouest. C'est ce variant qui s'est propagé à travers le monde en mai dernier. À ce jour, il a infecté plus de 77 000 personnes et causé au minimum 36 décès, dans plus de cent pays et territoire, la grande majorité des cas étant des hommes homosexuels. Grâce à la vaccination et à l'évolution des comportements sexuels, le nombre de cas connaît actuellement une baisse mondiale.

Pendant ce temps, un autre variant fait des ravages en Afrique Centrale, une souche dix fois plus mortelle.

D'après les Centres de contrôle et de prévention des maladies de l'Afrique, la majorité des 3 500 cas suspectés de clade I, dont 120 décès, se trouvent en République du Congo. Le Nigeria, point de départ de l'épidémie de clade II, a enregistré environ 700 suspicions de cas, pour moins de 10 décès.

Les professionnels de la santé contactés par National Geographic au sujet de la propagation du clade I en Afrique Centrale indiquent que la communauté internationale devrait être préoccupée par cette menace et accentuer les mesures visant à empêcher cette maladie et les autres zoonoses de se répandre à travers le monde.

« Si le variant d'Afrique de l'Ouest peut se propager en Europe, en Amérique et ailleurs dans le monde, la souche plus virulente du bassin du Congo peut également y aller, » déclare Dimie Ogoina, expert des maladies infectieuses à la Niger Delta University, dans le sud du Nigeria. « Les acteurs internationaux de la santé doivent intervenir dans la lutte contre la variole du singe et les autres maladies en Afrique. Si nous ne le faisons pas, la situation se retournera contre nous. »

 

LETTRES MORTES

Ogoina connaît bien la variole du singe, c'est lui qui a confirmé la maladie chez un enfant de 11 ans en septembre 2017, le premier cas humain au Nigeria en près de 40 ans. C'est également lui qui a signalé, il y a quatre ans, l'évolution inquiétante du mode de transmission du virus et de la population infectée.

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    Arthur Bengo, 28 ans, a contracté la variole du singe après avoir mangé un singe malade qu'il avait abattu pour nourrir sa famille en République du Congo. Alors que la fièvre grimpait, il a vu apparaître les lésions caractéristiques et douloureuses qui ont fini par marquer son visage et son corps. Les CDC Afrique signalent plus de 3 500 cas de variole du singe en RDC cette année, dont plus de 120 décès.

    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

    Aux premiers jours de l'épidémie, les experts pensaient que la maladie se comportait comme elle l'avait toujours fait en Afrique, affectant principalement les personnes entrées en contact avec des animaux infectés en chassant, en préparant la viande ou à la suite d'un contact étroit avec une personne qui avait contracté la maladie par un animal. D'ordinaire, ces flambées se dissipent rapidement.

    Cette fois en revanche, Ogoina et ses collègues avaient remarqué une tendance inhabituelle : la majorité des malades diagnostiqués par sa clinique ne vivaient pas en milieu rural, c'étaient de jeunes hommes issus de la classe moyenne des grandes villes et leurs lésions se concentraient fortement sur leurs parties génitales. Le milieu de la santé était perplexe face aux résultats d'Ogoina. « Ce que nous avons vu n'était pas la norme, indique-t-il. Donc personne n'était prêt à l'accepter. »

    Avançons à l'épidémie mondiale de variole du singe qui a éclaté en 2022. D'après les CDC des États-Unis, 99 % des cas nationaux de variole du singe étaient des hommes et 94 % de ces patients avaient admis avoir eu récemment une relation intime ou sexuelle avec un autre homme.

    Aux yeux de certains experts, les sceptiques ont raté une occasion majeure d'endiguer l'épidémie avant même son apparition. « La variole du singe devrait être considérée comme un avertissement, nous devons à tout prix améliorer la surveillance des maladies chez les populations à haut risque, » déclare Anne Rimoin, chercheuse en maladies infectieuses pour l'université de Californie à Los Angeles, où elle étudie depuis vingt ans la variole du singe en RDC. « L'endroit où il est le plus difficile et le plus onéreux de mener cette mission, c'est dans les régions rurales et reculées d'Afrique, » ajoute-t-elle. « Mais avec la croissance de la population, de la mobilité et du commerce, ces virus pourraient aisément arriver à notre porte. »

    Cela fait des années que Rimoin donne l'alerte concernant l'augmentation des cas de variole du singe, notamment en RDC, où le premier cas humain remonte à 1970, chez un bébé de neuf mois. Avec ses collègues, elle a publié une étude en 2010 révélant que le taux d'incidence de la variole du singe dans le pays avait été multiplié par 20 depuis la fin des campagnes de vaccination contre la variole, trente ans plus tôt, ce qui avait également éradiqué la variole du singe. Ne pas tenir compte de cette augmentation signifiait rater une opportunité de « lutter contre le virus tant que son aire de distribution était encore limitée, » pouvait-on lire dans l'étude.

    « Les cas de variole du singe ont continué d'augmenter ces douze dernières années en RDC, ainsi que dans les pays d'Afrique Centrale et de l'Ouest, » indique Rimoin. Bien que le mode de transmission du clade I, toujours de l'animal infecté à l'humain, soit différent de la façon dont la maladie s'est propagée d'Afrique de l'Ouest au monde, cela pourrait changer. « Ce n'est pas parce qu'on ne le voit pas actuellement qu'on ne le verra jamais. S'il y a bien une leçon à retenir de la COVID-19, c'est qu'une infection à un seul endroit peut rapidement faire le tour du monde. »

     

    SAUT D’ESPÈCES

    Plus de soixante ans après la découverte de la variole du singe chez des animaux de laboratoire, les scientifiques ont encore du mal à identifier les créatures sauvages au sein desquelles le virus vit, se développe et se multiplie.

    En 2012, l'écologiste Divin Malekani de l'université de Kinshasa avait rejoint une équipe de recherche essayant de réduire l'éventail des suspects. Les scientifiques avaient piégé ou acheté à des chasseurs plus de 350 mammifères dans une zone de la RDC où la variole du singe contaminait environ 660 personnes par an. Ils ont identifié des anticorps de la variole du singe chez sept animaux, dont deux écureuils du genre Funisciurus, un loir africain (Graphiurus lorraineus) et un cricétome (Cricetomys emini), autant de sources de nourriture. En RDC, 27 millions de personnes souffrent de la faim, soit un quart de la population, d'après l'Organisation des Nations unies. Beaucoup n'ont pas d'autre choix que de chasser pour survivre.

    Sur les rives de la rivière Sangha en République démocratique du Congo, la ville d'Oesso est un centre majeur pour le commerce de la viande de brousse. Les animaux et d'autres produits sont transportés par bateau, voiture ou moto. Les marchands locaux vendent la viande à moitié prix par rapport aux tarifs des grandes villes, où une épidémie pourrait se propager rapidement en infectant des millions de personnes.

    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton

    Malekani et les autres sont inquiets face à la menace de la viande de brousse contaminée par la variole du singe arrivant sur les marchés de Kinshasa, la plus grande ville d'Afrique, où elle est perçue comme un luxe avec une certaine nostalgie. Les pays doivent contribuer à réduire la consommation de viande de brousse afin d'empêcher l'émergence d'une nouvelle pandémie, indique Sarah Olson, épidémiologiste pour la Wildlife Conservation Society. « Le problème ne va pas disparaître comme par enchantement, mais cela pourrait réduire la transmission future de la variole du singe et d'autres maladies transmises de la faune à l'Homme. »

    Afin d'organiser la riposte face aux maladies infectieuses en harmonisant les politiques nationales, l'Organisation mondiale de la santé se dirige vers un traité pandémique international juridiquement contraignant. Certains chercheurs craignent que le traité ne soit axé sur le traitement des maladies une fois l'humain contaminé au lieu d'empêcher les pathogènes de réaliser un saut d'espèce avant toute chose.

    Les sauts d'espèce se produisent lorsque l'Homme empiète sur la nature. L'exploitation forestière, l'agriculture et les villes pénètrent des écosystèmes débordants de vie sauvage. Lorsque la faune sauvage entre dans nos échanges sous forme de nourriture, d'animaux de compagnie et de produits médicinaux, nous risquons l'exposition à des agents pathogènes. De plus, pour les populations pauvres vivant dans les régions reculées d'Afrique, l'accès aux soins médicaux, s'il existe, est souvent inabordable.

    Nous pouvons empêcher les sauts d'espèce, déclare Aaron Bernstein, directeur par intérim du Center for Climate, Health, and the Global Environment de la Harvard T.H. Chan School of Public Health, en protégeant les forêts, en interdisant le commerce d'animaux sauvages ou en lui imposant des règles strictes, et en repensant l'agriculture. Autre étape cruciale : aider les habitants des principaux foyers de maladies à trouver un emploi et une source de nourriture autre que la viande de brousse.

    « Nous aurons toujours besoin de vaccins, de tests, de médicaments et d'infrastructure de santé publique, » déclare Bernstein, « mais se concentrer uniquement sur cet aspect serait comme tenter de contrer le changement climatique en construisant des digues alors que la production de gaz à effet de serre s'envole. Voilà la situation actuelle avec les maladies infectieuses, déplore-t-il. On dépense des milliards de dollars à essayer de contenir ces maladies après leur apparition, sans prendre en compte leur origine. »

    Henriete Bakete Wanda, 13 ans, est placée à l'isolement dans un hôpital où elle reçoit un traitement aux antibiotiques pour la variole du singe. Sa mère a rapidement reconnu les symptômes et s'est empressée de l'amener à l'hôpital. Un cas sur dix de clade I de la variole du singe meurt de la maladie.

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    Pendant ce temps, en RDC, les éducateurs de l'International Conservation and Education Fund passent de village en village pour montrer les témoignages filmés de locaux sur leur expérience avec la variole du singe et les moyens de l'éviter.

    Un homme raconte que la fièvre de son enfant était si forte qu'il avait l'impression de dormir à côté d'un feu. À l'hôpital, le nouveau-né a développé des lésions douloureuses qui se sont propagées sur l'ensemble de son corps, son visage, ses mains et ses pieds. La maladie est devenue si grave que le bébé est mort, laissant ses parents abasourdis. D'autres villageois partagent des récits similaires sur l'intensité de la souche la plus virulente de la variole du singe, des enfants avec des « bosses » sur la tête et une gorge si gonflée qu'ils n'arrivaient plus à boire ou à manger.

    « À choisir, je pense qu'on a eu de la chance avec le variant qui s'est propagé dans le monde, » déclare Olson. « Il est toujours temps de comprendre ce qui est en train de se produire avec cette autre souche avant qu'elle soit hors de contrôle. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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