Non, la rousseur n’est pas en voie de disparition

Qu'ils soient cuivrés, auburn ou blond vénitien, les cheveux roux ont encore de beaux jours devant eux d'après les généticiens.

De Sharon Guynup
Publication 25 janv. 2023, 17:59 CET
Avec plusieurs dizaines de millions de représentants à travers le monde, la rousseur est un trait ...

Avec plusieurs dizaines de millions de représentants à travers le monde, la rousseur est un trait qui n'est pas près de disparaître. 

PHOTOGRAPHIE DE Kike Calvo, Nat Geo Image Collection

Que ce soit à l'écran ou dans la rue, il est une couleur de cheveux qui n'en finit plus d'attirer notre attention, des plus légères aux plus profondes de ses nuances, c'est la rousseur. Si les cheveux roux nous font cet effet, c'est parce qu'ils sont rares : 1 ou 2 % de la population mondiale. Malgré la rareté des variantes génétiques responsables de ces reflets ardents, la rousseur n'est pas destinée à disparaître, contrairement à ce que certains prétendent.

« Les roux ne sont pas en voie de disparition, » déclare Katerina Zorina-Lichtenwalter, stagiaire postdoctorale au sein de l'Institute for Behavioral Genetics de l'université du Colorado à Boulder.

Pour comprendre ce phénomène, il convient dans un premier temps de remonter aux origines de la rousseur. Il s'avère que la chevelure de feu ne fascine pas uniquement les tabloïds, mais également la science, qui mène sur les variations de couleur des cheveux humains un nombre d'études insoupçonné. S'il y a bien une chose qui ressort de ces travaux, c'est la certitude que les cheveux roux ont encore de beaux jours devant eux.

C'est un trait qui remonte à la préhistoire. D'après une analyse ADN menée sur un échantillon vieux de 50 000 ans, certains néandertaliens avaient la peau claire et les cheveux roux. La Beauté de Loulan, une célèbre momie de l'âge du bronze âgée de 3 800 ans, a été mise au  jour dans un désert du nord-ouest de la Chine avec une chevelure sépia intacte. À partir du 5e siècle dans la région devenue le sud-est de l'Europe et la Turquie, le roi Rhésos de Thrace est représenté avec une barbe et des cheveux couleur carotte sur les poteries grecques.

Les gènes impliqués étant récessifs, deux copies sont nécessaires pour donner naissance à un enfant roux, l'une du père et l'autre de la mère. Comme nous l'explique Zorina-Lichtenwalter, seuls deux parents roux peuvent être quasi certains de la couleur de cheveux de leur enfant.

Dans son livre Red: A History of the Redhead, l'auteure Jacky Coliss Harvey illustre la probabilité d'avoir un enfant roux de la façon suivante : « Si la génétique était un jeu de cartes, la rousseur serait le deux de trèfle, coupée par toutes les autres cartes du paquet. »

 

AUX ORIGINES DE LA ROUSSEUR

Que ce soit chez l'Homme, le cheval, le chien, le cochon et tout autre mammifère, la rousseur est le fruit d'une poignée de mutations génétiques dont les deux parents doivent être porteurs. Le « gène de la rousseur » a été découvert en 1995 par une équipe à laquelle appartenait Ian Jackson, de nos jours professeur émérite à l'université d'Édimbourg en Écosse.

Le récepteur de la mélanocortine 1, ou MC1R, joue un rôle clé dans la production de mélanine, les pigments foncés qui protègent la peau contre les rayons ultraviolets, notamment la lumière du soleil, et donnent leur couleur aux yeux et à la peau. Par exemple, l'eumélanine se traduit par des cheveux bruns ou noirs. La phéomélanine est quant à elle à l'origine des chevelures rousses ou blondes, mais aussi de la peau pâle et des taches de rousseur.

Chez les individus roux, les cellules cutanées responsables de la pigmentation, les mélanocytes, possèdent un récepteur différent en surface. Exposé à la lumière ultraviolette, ce récepteur omet de déclencher un processus qui transforme les pigments jaunes/rouges de la mélanine en pigments protecteurs bruns/noirs. « MC1R est l'un des gènes qui contribuent à la production de mélanine foncée et en l'absence de cet élément, la peau sera pâle, » indique Zorina-Lichtenwalter, et particulièrement sensible aux coups de soleil.

Dans leur étude de 1995, Jackson et ses collègues ont comparé 30 sujets roux irlandais et britanniques avec le même nombre de sujets bruns. Plus de 80 % des sujets aux cheveux roux et/ou à la peau claire étaient porteurs de mutations du gène MC1R. Chez les sujets aux cheveux bruns, cette proportion chutait à 20 %.

« C'est la première fois qu'un gène codant pour une caractéristique visible commune est identifié chez l'Homme », avait indiqué à la presse le généticien Richard Spritz lors de la publication de l'étude.

 

AVANTAGES ET DANGERS

Le teint pâle présentait un avantage majeur pour les peuples découvrant le ciel gris et les courtes journées d'hiver de l'Europe du Nord après avoir leur migration depuis des régions plus ensoleillées. « Il y avait une pression de sélection pour perdre la pigmentation, » explique Zorina-Lichtenwalter, car la peau claire absorbe plus d'UV, ce qui permet de produire plus de vitamine D à partir de l'ensoleillement limité qui caractérise les régions nordiques. La vitamine D favorise l'absorption et la rétention du calcium, aide à produire des os plus solides et protège contre l'inflammation.

Ces avantages pour la santé augmentaient les chances de survie des femmes pendant la grossesse et la naissance, transmettant ainsi les gènes de la peau claire et des cheveux blonds ou roux à leur progéniture. Ce caractère est très répandu au Royaume-Uni et en Irlande, où les roux à la peau claire sont bien plus nombreux que partout ailleurs sur Terre. Certaines estimations non officielles situent la proportion autour de 10 %.

La majorité des travaux sur la génétique de la rousseur porte sur le risque accru de cancer de la peau. Sous l'effet des mutations du gène MC1R liées aux cheveux roux, à la peau claire et aux taches de rousseur, une plus grande quantité de lumière ultraviolette peut atteindre l'ADN et entraîner des lésions. Une étude montre que l'incidence de l'une des formes de cancers les plus agressives, le mélanome, est supérieure de 42 % chez les sujets possédant le variant R du gène MC1R. Aux États-Unis, il y a 20 fois plus de mélanomes au sein de la population blanche qu'au sein de la population noire.

Cependant, l'âge moyen de diagnostic du mélanome est de 65 ans. Ainsi, poursuit Zorina-Lichtenwalter, « le phénomène ne menace pas la santé reproductive. » À cet âge, les femmes ont déjà transmis leurs gènes à la génération suivante. C'est pourquoi il est peu probable que la rousseur disparaisse du pool génétique.

 

UNE HISTOIRE DE GÈNES

Durant ses travaux de 1995, Jackson savait qu'il y avait bien plus à comprendre sur les facteurs donnant aux cheveux leur couleur rousse. « Il semblait logique que d'autres gènes soient impliqués, » dit-il, mais il lui était impossible à l'époque de pousser plus loin l'exploration : la recherche génétique était extrêmement lente et onéreuse. Alors que les rapides progrès de la technologie génétique et de l'informatique avaient déjà permis de lancer le projet Génome humain, il faudrait attendre 2001 pour enfin poser les yeux sur la première ébauche de carte génétique.

Près d'un quart de siècle plus tard, la tendance est à la recherche génétique rapide et peu coûteuse. Jackson et ses collègues ont récemment reproduit leur enquête avec des ressources inimaginables en 1995. Ils ont analysé l'ADN fourni par UK Biobank, une biobanque contenant les données génétiques de plus d'un demi-million de résidents du Royaume-Uni. Ils ont découvert huit nouveaux variants génétiques qui affectent les cheveux roux et la pigmentation de la peau. « C'était vraiment satisfaisant de trouver toutes ces données sur la biobanque, » témoigne Jackson. Cette étude, publiée en 2022, a identifié la plupart des variations génétiques codant pour les différentes couleurs de cheveux.

Selon Jackson, la majorité des roux possède deux variants MC1R, un de chaque parent. Cependant, plusieurs autres gènes peuvent être à l'origine des cheveux roux. « La rousseur est le fruit d'une combinaison particulière, » explique-t-il. Les chercheurs ont attribué à chaque gène impliqué un « score de risque génétique » : certains variants augmentent la probabilité de rousseur, alors que d'autres ont beaucoup moins d'influence, sans toutefois être complètement dissociés. Il n'est pas nécessaire de tous les posséder pour avoir les cheveux roux, précise Jackson.

« MC1R est roi en ce qui concerne la rousseur, » indique Zorina-Lichtenwalter. « Il a une immense part de responsabilité dans la pigmentation. » Plus de quatre cinquièmes des roux sont porteurs du gène MC1R, la part restante étant le fruit d'autres gènes.

 

GÉOGRAPHIE ET GÉNÉALOGIE

Une récente étude génétique menée au Royaume-Uni a établi un lien entre la rousseur et le lieu de naissance, le nord et l'ouest du pays recensant le plus grand nombre de roux. « La biobanque précise la latitude et la longitude du lieu de naissance de chaque individu, » ajoute Jackson. « Plus le lieu de naissance se situe au nord, plus la probabilité d'être roux est élevée. »

Le patrimoine génétique associé à la rousseur et à la peau claire prospère dans les régions isolées, les communautés fermées et les îles. En Écosse, les estimations situent la proportion de roux entre 6 %, selon les travaux de Jackson, et 12 ou 14 % ; autour de 10 % en Irlande et de 6 % en Grande-Bretagne. Bien que ces régions ne soient plus coupées du reste du monde, « lorsque vous êtes face à une population insulaire, dont la reproduction est isolée, quels que soient les allèles étudiés, leur fréquence augmente d'une génération à l'autre, » explique Zorina-Lichtenwalter.

Cela dit, la rousseur ne concerne pas uniquement les Celtes ou les Caucasiens. La distribution du caractère témoigne du mouvement mondial de l'ADN à travers les territoires et les sociétés. Malgré une fréquence plus élevée en Europe du Nord, dans certaines régions de Russie et parmi les descendants des Européens en Australie, aucune ethnie n'échappe à cette chevelure flamboyante. On constate par exemple des fréquences supérieures à la moyenne au Maroc et en Jamaïque.

En effet, si plusieurs gènes sont capables de déclencher la production d'eumélanine foncée pour protéger la peau, indique Zorina-Lichtenwalter, il semblerait que MC1R soit le gène dominant pour la couleur de cheveux, c'est pourquoi des variants de MC1R peuvent produire des cheveux roux chez les Jamaïcains ou d'autres individus à la peau foncée. »

 

LE MYTHE DE L'EXTINCTION 

Les déclarations affirmant que les roux seraient une espèce en voie de disparition ne sont pas récentes et certaines d'entre elles relevaient clairement de l'appât du gain, assure Jackson.

« Les roux sur le point de rejoindre les ours polaires parmi les victimes du changement climatique », pouvait-on lire en titre d'un article qui avait fait grand bruit. Voilà une affirmation qui se passe de retenue. Il est vrai que les événements météorologiques extrêmes se multiplient sous l'effet du changement climatique, mais de là à amplifier le rayonnement ultraviolet suffisamment pour altérer le patrimoine génétique de l'hémisphère Nord en l'espace de quelques centaines d'années comme le suppose l'article, il y a un fossé, indique Zorina-Lichtenwalter. L'auteur de cette déclaration était Alistair Moffat, PDG de la société de tests génétiques ScotlandsDNA, qui a depuis fermé boutique.

Avant cela, la désormais dissoute Oxford Hair Foundation pariait quant à elle sur une extinction de la rousseur à l'horizon 2100, en justifiant ses affirmations par la disparition progressive du variant génétique à l'origine de l'éclatante chevelure. « La fondation en question était une façade, financée par une entreprise de cosmétiques et de colorations afin de générer de l'intérêt pour la couleur de cheveux, » indique Jackson.

Il arrive que les gènes récessifs se fassent rares, mais pour disparaître totalement du paysage génétique, il faudrait que chaque porteur du gène en question périsse ou arrête de se reproduire, ce qui n'est pas près d'arriver.

Quel que soit l'endroit où ils vivent, les roux font l'objet d'une attention toute particulière, allant de la stigmatisation à l'admiration. Afin de célébrer leur pérennité à travers le monde, ils organisent chaque année des événements au Royaume-Uni, en France, en Italie et aux États-Unis. Le plus important d'entre eux se déroule au mois d'août, lorsque des milliers de représentants venus du monde entier se réunissent aux Pays-Bas à l'occasion du Redhead Days Festival.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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