La fumée des feux de forêt peut endommager durablement le cerveau et le corps

De plus en plus de données suggèrent que la fumée des feux de forêt augmente le risque de maladies neurologiques, en plus de nuire aux poumons, aux reins et à d'autres organes.

De Tara Haelle
Publication 17 août 2023, 19:45 CEST
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Des habitants se sont rassemblés au milieu d’une épaisse fumée pour observer les efforts des pompiers après que l'incendie de forêt d'Eagle Bluff a traversé la frontière canado-américaine et provoqué l'évacuation de la ville canadienne d’Osoyoos, le 30 juillet 2023. Les maladies respiratoires sont déjà l'une des principales causes d'hospitalisation pédiatriques et de visites aux urgences, mais la fumée des feux de forêt peut également entraîner des lésions permanentes, chez les enfants comme chez les adultes.

PHOTOGRAPHIE DE Jesse Winter, Reuters, Redux

Les scientifiques savent d’ores et déjà que la fumée des feux de forêt peut exacerber des maladies comme l’asthme et la BPCO, augmenter le risque de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral, entraver la concentration, réduire la capacité de l’organisme à lutter contre les infections et provoquer une inflammation ciblant les poumons, les reins, le foie et probablement d’autres organes. Mais peut-elle aussi provoquer des dégâts plus durables, voire immuables ? L’exposition à la fumée des feux de forêt, même pendant de courtes périodes, peut-elle laisser des cicatrices permanentes au sein de l’organisme ?

Visiblement, oui, même si ce domaine d’investigation scientifique est relativement récent. Précisons néanmoins que les dommages potentiels sont fonction de l’âge, de la distance par rapport à l’incendie, de la quantité de fumée et même des caractéristiques de l’incendie. « Le problème des feux de forêt, c’est qu’il n’y a pas que du bois qui brûle », explique Lisa Miller, immunologiste à l’université de Californie à Davis, qui étudie les effets à long terme de l’exposition à la fumée des incendies de forêt sur le macaque rhésus. « C’est un véritable bourbier chimique ».

« On connaît depuis un certain temps l’impact général de la pollution atmosphérique sur l’Homme, mais on commence à peine à comprendre la dangerosité de la fumée des feux de forêt sur la santé humaine », explique Anthony White, neuroscientifique à l’université du Queensland, en Australie. « Ce problème est amplifié par le fait qu’il peut être difficile de distinguer les effets de la pollution de l’air ambiant de ceux de la fumée des feux de forêt sur la santé, en particulier lorsque cette pollution se produit de manière sporadique et imprévisible. »

 

PLUS QU’UNE SIMPLE POLLUTION DE L’AIR

Les scientifiques tirent principalement leurs informations sur les effets persistants de la fumée des feux de forêt d’études sur les animaux, de recherches à court terme sur la fumée des feux de forêt et de recherches sur la pollution de l’air et sur la fumée des cuisinières à bois. La plupart de ces recherches mesurent l'exposition aux PM2,5, des particules de 2,5 micromètres, donc environ 30 fois plus petites que le diamètre d'un cheveu.

« Nous ne disposons pas encore de beaucoup de données sur l’exposition à long terme à la fumée des feux de forêt, mais nous pouvons extrapoler sans risque une grande partie de ce que nous savons déjà des effets de la pollution atmosphérique en ville sur la santé », explique Ana Rappold, statisticienne environnementale à l’Agence pour la protection de l’environnement des Etats-Unis (Environmental Protection Agency — EPA). Reste que les recherches sur la pollution atmosphérique ne peuvent qu’en partie nous renseigner, car la fumée des feux de forêt est non seulement différente de la pollution atmosphérique, mais varie en plus d’un incendie à l’autre.

Sa composition change en fonction de ce qui brûle, qu’il s’agisse de la biomasse (arbres, arbustes, herbes, animaux) ou de tout autre combustible, comme des habitations et des exploitations, explique Stephanie Cleland, épidémiologiste spécialiste de la santé environnementale à l’EPA.

Outre les PM2,5, la fumée des incendies de forêt contient d'autres substances chimiques toxiques et des composés organiques volatils (COV) qui varient en fonction du combustible, de la température de combustion et même de l'ancienneté de la fumée. « Elle pourrait avoir différents effets sur la santé, ou en faire varier la sévérité. D’autant plus que vous êtes exposé à plusieurs éléments en même temps, ce qui n’est pas toujours le cas avec la pollution de l’air ambiant », explique Cleland. En outre, compte tenu de la plus grande densité des concentrations de PM2,5 et des divers gaz émis par les feux de forêt, « il pourrait y avoir un effet de synergie », ajoute Rappold.

 

LES LÉSIONS CÉRÉBRALES

Le cerveau est généralement mieux protégé que les autres organes grâce à la barrière hémato-encéphalique, un réseau serré de vaisseaux sanguins qui régule strictement le passage vers le cerveau (à l’instar d’un videur qui décide de qui peut entrer dans une boîte de nuit). Mais la barrière hémato-encéphalique n’est pas totalement imperméableAdam Schuller, toxicologue environnemental à l’université d’État du Colorado, a décrit trois manières dont les polluants peuvent atteindre le cerveau : 1) les particules voyagent dans le sang oxygéné en provenance des poumons jusqu’au cerveau, 2) les particules pénètrent directement dans le cerveau le long du tractus olfactif, et 3) les facteurs inflammatoires déclenchés par une réponse inflammatoire dans les poumons envahissent le cerveau.

Une fois sur place, les particules peuvent soit directement endommager les neurones par l’accumulation de molécules nocives et instables appelées radicaux libres, soit indirectement en déclenchant la libération, par les cellules immunitaires, de molécules qui altèrent ou tuent les neurones et perturbent les connexions qui permettent aux cellules cérébrales de communiquer et de stocker des souvenirs, même si les neurones ne meurent pas.

Cleland et Rappold ont identifié quelles étaient les répercussions cognitives à court terme d’une exposition en comparant les résultats de plus de 10 000 adultes américains sur Luminosity (une application mobile d’entraînement cérébral) lorsque certains d’entre eux se trouvaient dans des zones touchées par la fumée des feux de forêt. Les chercheuses ont constaté que les personnes exposées à des fumées de densité moyenne ou élevée (sur la base des données satellitaires de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique) obtenaient de moins bons résultats et des scores d’attention légèrement inférieurs que les personnes non exposées, ou celles exposées à des fumées de faible densité. Les désignations de densité « moyenne » et « forte » ne sont pas directement corrélées aux chiffres de l’indice de qualité de l’air (IQA), explique Rappold, mais ce que la ville de New York a connu au début du mois de juin pourrait être qualifié de moyen ou fort.

Ces résultats, couplés à ce que nous savions déjà à propos d’autres types d’exposition à la fumée, soutiennent la thèse de probables effets cognitifs à long terme. Il existe des preuves solides que la pollution de l’air ambiant et la fumée des cuisinières à bois augmentent le risque de maladie d’Alzheimer et d’autres démences, et que la pollution de l’air augmente le risque de dépression.

« La fumée des feux de forêt pourrait avoir des effets additionnels sur d’autres changements neurologiques, mais il nous faut plus d’études et plus de sujets pour proposer des conclusions solides », explique White. « Nous essayons également de comparer les effets de la fumée des feux de forêt et de la pollution de l’air ambiant sur la démence. »

De nouvelles études suggèrent également que l’exposition à la pollution atmosphérique pendant la grossesse peut augmenter le risque de troubles du spectre autistique et de troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez le fœtus en développement. La plupart des études sur l'exposition à la fumée des feux de forêt pendant la grossesse se sont concentrées sur les naissances prématurées et le poids à la naissance, mais comme la fumée des feux de forêt contient les mêmes PM2,5 que la pollution atmosphérique, elle pourrait aussi avoir des effets à long terme sur le fœtus.

 

LES EFFETS SUR LE SYSTÈME IMMUNITAIRE ET LES POUMONS

Selon les quelques études disponibles sur les effets persistants de la fumée des feux de forêt sur la santé, les poumons et le système immunitaire peuvent être particulièrement touchés. Lorsque les feux de forêt ont menacé la région de Seeley Lake dans le Montana en 2017, Chris Migliaccio, toxicologue à l’Université du Montana, a commencé à étudier les effets de la fumée des feux de forêt sur les résidents des environs. Il n’a initialement pas constaté d’effets significatifs sur leur fonction pulmonaire deux mois après l’exposition, mais un an et deux ans plus tard, les résidents présentaient une diminution significative de leur fonction respiratoire, c’est-à-dire de leur capacité à vider rapidement leurs poumons. La pandémie a empêché un suivi à plus long terme.

L’une des seules études à très long terme sur les effets de la fumée des incendies de forêt a été menée sur des macaques rhésus dans un laboratoire financé par les Instituts américains de la santé (NIH) à Davis, en Californie. Les scientifiques de ce laboratoire n'avaient pas prévu d'étudier la fumée des feux de forêt chez les animaux, mais les incendies qui se sont déclarés à proximité en juin et juillet 2008 ont répandu des panaches de fumée au-dessus des enclos extérieurs des singes, les exposant pendant 10 jours à des niveaux de PM2,5 supérieurs à la norme journalière de l'EPA. Lisa Miller a étudié les effets de l’exposition sur les singes nés ce printemps-là, qui n’avaient que 4 à 6 mois (l’équivalent d’un enfant de 2 à 3 ans) lorsqu’ils se sont retrouvés exposés à la fumée.

Lorsque Miller a étudié le sang des singes en laboratoire et l’a exposé à des bactéries, les cellules immunitaires ont eu une réponse défectueuse, ce qui laisse supposer qu’elles ne seraient pas capables de mettre en place une défense solide en cas d’infection bactérienne. C’était il y a 15 ans, et Miller constate encore aujourd’hui des anomalies de la fonction immunitaire chez ces singes.

Elle a également découvert des changements dans les rythmes circadiens des macaques, à savoir l’horloge interne du corps qui régit les cycles de sommeil et d’éveil, ainsi que des changements « assez stupéfiants » en ce qui concerne leur structure pulmonaire, observée par tomodensitométrie. Les singes produisent des niveaux plus élevés de cortisol en réponse au stress, ils dorment moins, et leurs poumons sont plus rigides et ont un volume plus petit. « Ils semblent présenter une maladie pulmonaire interstitielle », un ensemble d’affections qui provoquent des fibroses dans les poumons, explique-t-elle.

Les singes ne sont pas de parfaits substituts à l’Homme, mais s’en rapprochent énormément, et les résultats de Miller sont cohérents avec une autre étude qui a examiné le lien entre les taux de grippe et une exposition à la fumée des feux de forêt sur une période de huit ans dans le Montana. Les chercheurs ont constaté que l'exposition aux PM2,5 pendant la saison des feux de forêt (de juillet à septembre) était liée à des taux de grippe plus importants au cours de la saison grippale suivante. La pollution atmosphérique, et donc la fumée des feux de forêt, présente également des risques accrus pour les personnes souffrant de maladies cardiaques, précise Rappold, mais les scientifiques commencent à peine à se pencher sur les effets à long terme de l’exposition à la fumée sur le cœur.

Bien qu’il s’agisse des meilleures données disponibles sur l’exposition à long terme, n’oublions pas que les travaux de Miller ne concernent que les effets d’un seul incendie. « Il faut que le public comprenne la différence entre la fumée d’un feu de forêt et la fumée d’une cheminée, et le fait que tous les feux de forêt n’ont pas les mêmes effets », explique Miller.

 

RÉDUIRE LES RISQUES

En toxicologie, l’adage veut que ce soit la « dose qui fait le poison ». Mais la dose, ou en l’occurrence la densité des PM2,5 et d'autres gaz dans le cas de la fumée des feux de forêt, n'est qu'un facteur parmi d'autres : la durée et la fréquence doivent aussi être prises en compte, explique Luke Montrose, toxicologue environnemental à l'université d'État du Colorado.

« Il faut réfléchir à un moyen d’actionner ces leviers dans sa propre vie, donc à réduire la dose, la durée et la fréquence » afin de réduire le risque d’effets sur la santé, explique Montrose. On peut notamment pour ce faire utiliser un moniteur de qualité de l’air portatif ou vérifier les niveaux locaux de l’IQA ; de la même manière que l’on vérifierait la météo avant de partir en randonnée ou pratiquer toute autre activité. « Il faut que les gens prennent l’habitude de penser à vérifier la qualité de l’air avant d’aller à l’extérieur, et que cela les oriente dans leur décision de sortir ou non », explique Montrose.

L’avantage des moniteurs portables (que Rappold et Cleland recommandent également), est qu’ils permettent aussi de connaître la qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments. Les conseils de santé publique recommandent souvent de rester à l’intérieur les jours où la qualité de l’air est mauvaise, mais en cas de feux forêt, « la fumée est capable de pénétrer et de perturber la qualité de l’air en intérieur », souligne Schuller. L’utilisation d’un filtre HEPA, d’un filtre MERV-13 ou même d’une boîte Corsi-Rosenthal faite maison peut améliorer la qualité de l’air intérieur et réduire les effets sur la santé. Si l’air intérieur est meilleur que l’air extérieur, rester à l’intérieur avec l’air conditionné peut également vous protéger de la chaleur.

« Nous ne connaissons pas encore les effets combinés de la fumée des feux de forêt et de la chaleur extrême sur la santé humaine », car ces deux facteurs ont jusqu’à présent été étudiés séparément, souligne White. « Il s’agit de deux facteurs de stress importants pour l’organisme, et leur combinaison pourrait avoir des conséquences encore inconnues. »

Les plus mauvais jours, porter un masque peut réduire l'exposition aux PM2,5, même s'il ne peut pas filtrer les gaz. Une étude suggère que les masques chirurgicaux réduisent de 20 % les effets de l’exposition et les masques N95 de 80 %. Si la situation est mauvaise, pensez également à adapter votre programme d’entraînement. Un exercice physique intense fait pénétrer les particules de pollution plus profondément dans les poumons et les fait se remplir davantage qu’au repos, où notre respiration est plus superficielle, explique Montrose. Or plus on absorbe d’oxygène, plus on risque d’absorber une dose plus importante de polluants.

Si les pouvoirs publics ne peuvent pas arrêter la fumée, ils peuvent au moins alerter le public sur les risques encourus et partager des ressources telles que la boîte à outils Smoke-Ready de l’EPA pour les incendies de forêt. « Il faut expliquer au public que la fumée des incendies de forêt peut avoir des effets à plus long terme », précise White. « Et donner des avertissements clairs en matière de santé publique lorsque la fumée est susceptible d’avoir un impact sur la santé, afin de permettre aux gens de prendre des dispositions pour éviter autant que possible d’être exposés aux fumées. »

Passer un ou deux jours sous un ciel orange et apocalyptique peut ne pas avoir de répercussions sur le long terme (nous ne le savons pas encore) mais à mesure qu’augmentent la fréquence et l’étendue géographique des faux de forêt, ces épisodes de ciel enfumé risquent de durer plus que quelques de jours et de devenir plus récurrents.

« Nous ne savons malheureusement pas encore à partir de quelle intensité et de combien de temps d’exposition la fumée des feux de forêt peut avoir des effets à long terme sur la santé », déclare White. « Quoi qu’il en soit, plus nous étudions la pollution de l’air et la fumée des feux de forêt, plus il paraît évident que même de petites quantités de fumées peuvent avoir des effets toxiques. De manière générale, moins l’on est exposé, mieux c’est. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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