Activité volcanique : l'Islande se prépare au pire

Les scientifiques s'attendent à voir des éruptions importantes autour de la ville côtière de Grindavík, qui menaceraient les infrastructures et pourraient, si la lave venait à toucher la mer, provoquer de dangereuses émanations de cendres et de gaz.

De Robin George Andrews
Publication 14 nov. 2023, 18:22 CET
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Après avoir reçu l'ordre d'évacuer en raison des inquiétudes croissantes liées à une éventuelle éruption volcanique, les habitants de la ville de Grindavík, dans le sud-ouest de l'Islande, ont été brièvement autorisés à rentrer chez eux pour récupérer des produits de première nécessité.

PHOTOGRAPHIE DE Brynjar Gunnarsson, AP Photo

Depuis quelques années, la péninsule de Reykjanes, dans le sud-ouest de l’Islande, est une habituée des éruptions volcaniques. En mars 2021, l’émergence de lave dans une vallée reculée marquait la première éruption sur la péninsule en huit siècles. Deux autres éruptions ont eu lieu depuis et, pour les chercheurs, une quatrième était inévitable ; tout ce qu’ils espéraient, c’est qu’elle se produirait loin des centres de population, et ne représenterait pas donc pas de grand danger pour les habitants de la région.

Il semble que ces espoirs aient été vains. En effet, une intense série de séismes, qui a débuté fin octobre, a atteint son apogée vendredi dernier après s’être déplacée vers la ville côtière de Grindavík, qui abrite 3 500 personnes. Selon les experts, un volume important de magma serait remonté juste en dessous de la localité, provoquant l’organisation d’une évacuation en urgence.

Les volcanologues, qui estiment que le risque d’éruption est très élevé, craignent qu’une profusion de lave ne vienne directement s’écouler sur la ville ou ses alentours. « Les jours à venir sont pleins d’incertitude », s’inquiète Tom Winder, sismologue spécialiste des volcans à l’Université de Cambridge.

Bien que ce soit peu probable, il est encore possible que le magma ne remonte pas jusqu’à la surface et ne provoque donc pas d’éruption. En revanche, dans le pire des scénarios, la ville serait entièrement détruite et, si la lave venait à entrer en contact avec la mer, de dangereuses émanations de cendres et de gaz auraient également lieu au large de la péninsule.

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    De la vapeur s'élève d'une fissure dans une route près de la ville de Grindavík, en Islande, le lundi 13 novembre 2023, à la suite d'un pic sismique qui indique que du magma s'approche de la surface terrestre.

    PHOTOGRAPHIE DE Brynjar Gunnarsson, AP Photo

    « Jusqu’à présent, j’ai surtout réagi au travers d’une détresse émotionnelle plutôt que d’une curiosité scientifique », confie Evgenia Ilyinskaya, volcanologue à l’Université de Leeds, qui a grandi en Islande. « Je n’arrive toujours pas à imaginer ce que l’on ressent lorsque l’on doit quitter sa maison au milieu de la nuit sans savoir si on pourra le revoir. »

     

    UNE NOUVELLE ÈRE D’ACTIVITÉ VOLCANIQUE

    Beaucoup considèrent les éruptions de ces deux dernières années comme une nouvelle ère d’activité volcanique dans la péninsule de Reykjanes. Entre 1210 et 1240, la dernière fois que la région s’était embrasée, plusieurs éruptions s’étaient produites après que de multiples fissures ouvertes dans le sol avaient laissé échapper de la roche en fusion. Cette ère volcanique est désormais surnommée la période des « incendies de Reykjanes ».

    Après cet épisode, aucune lave n’a atteint la surface de la péninsule, et ce jusqu’au 19 mars 2021, soit près de 800 ans plus tard. Après quinze mois de séismes de plus en plus intenses et fréquents, des fissures ont commencé à apparaître non loin de Fagradalsfjall, une montagne volcanique. L’éruption violente, qui a vu des fontaines et des rivières de lave jaillir du sol, a eu lieu dans une vallée située à plusieurs kilomètres des infrastructures humaines les plus proches.

    Cette éruption, qui a pris fin six mois plus tard, a été suivie d’une seconde éruption, plus petite, au nord-est, en août 2022, qui a quant à elle duré pas moins de trois semaines. En juillet de cette année, toujours vers le nord-est, une troisième fissure s’est ouverte, déclenchant une éruption qui a duré près d’un mois. À ce stade, les volcanologues étaient désormais convaincus que la péninsule connaissait une sorte de nouvelle version des fameux incendies de Reykjanes, autrement dit, une nouvelle période multidécennale d’éruptions.

    Pour les scientifiques, la prochaine éruption devait suivre un schéma similaire aux trois précédentes : après de nombreux séismes grâce permettant au magma de traverser la roche pour atteindre les parties peu profondes de la croûte, le sol se serait déformé, facilitant ainsi l’arrivée et le déplacement du magma.

    Selon les estimations, la quatrième éruption devait également avoir lieu dans la même zone, près de Fagradalsfjall, où le gonflement du sol était particulièrement important. Le récent pic sismique a cependant indiqué que le magma était en déplacement, non pas nécessairement en direction de la surface, mais horizontalement sous le sol. Cette fois, les choses semblaient donc différentes.

    La déformation du sol était également plus spectaculaire, suggérant que le taux d’écoulement du magma était au moins deux fois plus élevé que lors des trois dernières éruptions. En outre, cette fois, l’activité géologique ne s’est pas produite près de Fagradalsfjall, mais près de Þorbjörn, une montagne située à proximité de la station thermale Blue Lagoon, qui est un haut lieu touristique, mais aussi de Grindavík et de la centrale géothermique de Svartsengi, ce qui est particulièrement inquiétant.

    Comprendre : les supervolcans

    Une éruption ici pourrait menacer n’importe laquelle de ces localités. « Le fait que cet épisode d’activité ait lieu à Svartsengi a surpris beaucoup de monde », admet Winder.

    La raison pour laquelle le magma a pris cette direction plutôt que de suivre le chemin des trois dernières éruptions n’est pas claire. Selon Þorvaldur Þórðarson, volcanologue à l’Université d’Islande, les caches profondes de magma y ont au moins deux voies d’accès à la surface, mais « nous ne comprenons pas pourquoi elles fonctionnent de manière semi-indépendante ».

     

    UN ÉTAT D’URGENCE

    Ces dernières années, Þorbjörn a connu plusieurs périodes de gonflement du sol, ce qui suggérait que du magma s’accumulait ou se déplaçait sous la terre. À chaque fois, le gonflement a cependant fini par prendre fin sans que le magma ne parvienne à remonter à la surface. « Je m’attendais à ce que le phénomène se résorbe, comme d’habitude », affirme Edward Marshall, géochimiste à l’Université d’Islande.

    À Grindavík, des plans d’évacuation préventive ont été élaborés, tandis que les travailleurs prenaient des mesures afin de s’assurer que la centrale électrique, essentielle pour la région, notamment pendant la saison hivernale, puisse être opérée à distance. Le 9 novembre, les séismes de plus en plus violents ont également contraint Blue Lagoon à fermer temporairement ses portes et à déplacer ses visiteurs.

    Puis, dans l’après-midi du 10 novembre, « les choses se sont emballées », décrit Winder. La péninsule a été secouée par une poignée de séismes de magnitude 4, voire plus, qui ont endommagé des routes et certains bâtiments. À ce stade, 24 000 séismes avaient donc frappé la péninsule depuis la fin du mois d’octobre.

    Le magma remontait rapidement, et les scientifiques ont été surpris de constater que le gonflement légèrement inquiétant était devenu une nappe de magma qui s’élevait au travers d’anciennes couches géologiques, appelées des « dykes ». « J’ai été stupéfait par la rapidité de la transition », confie Winder.

    L’état d’urgence a été déclaré et, vendredi en début de soirée, l’Office météorologique islandais a officiellement prévu une éruption dans les prochains jours. « L’injection soudaine de ce dyke a changé la donne », explique Marshall, car elle impliquait que la roche en fusion disposait désormais d’une voie d’accès viable pour rejoindre la surface. D’après la déformation de la croûte, il est possible qu’un énorme volume de magma, supérieur à celui des trois dernières éruptions, ait été en cause.

    À l’origine, les experts pensaient que les éruptions à venir auraient probablement lieu autour d’anciens cratères au nord-est de la ville, une zone où le sol est plus faible, et que le magma pourrait donc exploiter. Les choses se sont toutefois aggravées lorsque, comme mentionné plus haut, tard dans la journée de vendredi, les grondements sismiques ont migré vers Grindavík, indiquant qu’une éruption pourrait avoir lieu dans la ville et ses alentours.

    À près de minuit ce jour-là, face à la menace, le gouvernement a ordonné une évacuation obligatoire et immédiate qui s’est achevée environ deux heures plus tard. Cette même nuit, l’activité sismique s’est étendue jusqu’à la mer. Selon Mike Burton, volcanologue à l’Université de Manchester, une éruption à cet endroit « générerait beaucoup de cendres et de gaz dangereux, mais aussi de la vapeur ainsi qu’une activité encore plus explosive ».

    Si cela se produit, il est probable que le danger se limite à l’Islande et ne s’étende pas à l’international comme l’éruption de l’Eyjafjallajökull en 2010, une émission de lave sous une calotte glaciaire qui avait créé une colonne de cendres colossale et durable, provoquant la fermeture temporaire d’une partie de l’espace aérien européen.

    Dans la soirée du 11 novembre, le magma se trouvait à moins de 1 kilomètre de la surface, et le couloir qui constitue le site d’éruption potentiel s’était élargi à environ 16 kilomètres de long, s’étendant ainsi de la région cratérisée jusqu’au large, en passant par Grindavík.

     

    UNE ATTENTE LONGUE ET INQUIÉTANTE

    Lundi, l’activité sismique avait baissé en intensité, ce qui ne signifie pas qu’une éruption est devenue moins probable. Au contraire.

    L’activité sismique avait également diminué avant les trois éruptions précédentes, suggérant qu'à l’approche de la surface, le magma nécessitait moins de puissance pour briser les roches. Ces dernières années, la péninsule a néanmoins connu au moins une éruption ratée, du magma ayant tenté en vain de jaillir à la surface.

    L’éruption de 2021 à Fagradalsfjall a commencé trois semaines après que le magma qui l’alimentait était remonté jusqu’à des parties peu profondes de la croûte. Ainsi, il pourrait également s’écouler des semaines entières, et non pas des jours, avant que Grindavík ne connaisse son éventuelle éruption. « Les habitants de Grindavík pourraient donc avoir à s’habituer » à devoir s’abriter loin de chez eux, révèle Marshall.

    Si l'éruption attendue avait bien lieu, la lave pourrait soit se déverser sur un segment de ce couloir, soit jaillir sur toute sa longueur. « Certaines des interprétations les plus pessimistes des données suggèrent un ordre de grandeur supérieur à celui de l’Holuhraun », détaille Ilyinskaya, en référence à l’éruption qui a recouvert de lave 85 kilomètres carrés de terres islandaises, soit environ la superficie d’Ajaccio, en 2014 et 2015. Contrairement à celle qui s’annonce actuellement, cette éruption avait cependant eu lieu dans un endroit isolé, loin des centres de population.

    Bien que cette éventualité soit peu probable, il est encore possible qu’aucune éruption ne se produise. Un tel scénario constituerait une réelle surprise pour les scientifiques ainsi qu’un évident soulagement pour les Islandais ; néanmoins, si cela devait se produire, il fait peu de doute que les tensions persisteront et que beaucoup se demanderont pourquoi toute cette agitation géologique n’aura mené à aucune éruption.

    La plupart des experts s’attendent à voir de la lave jaillir prochainement. L’Office météorologique islandais estime que la probabilité d’une éruption dans les prochains jours est « importante ». Les autorités et les scientifiques islandais, qui travaillent jour et nuit pour protéger les vies et les infrastructures de la région, espèrent le meilleur tout en se préparant au pire.

    « Je pense qu’il faut s’attendre à un comportement inattendu », prévient Burton.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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