La primatologue Jane Goodall s'est éteinte à l'âge de 91 ans
Grâce à ses travaux révolutionnaires avec les chimpanzés, Jane Goodall a permis au monde entier de comprendre que les animaux sont sensibles et intelligents.

Les décennies de recherches de la célèbre primatologue Jane Goodall sur la vie des chimpanzés dans leur habitat naturel ont radicalement changé notre compréhension de ces singes intelligents, les plus proches parents de l’Homme.
La primatologue, conservationniste et défenseuse des animaux Jane Goodall s'est éteinte à l’âge de 91 ans. Le Jane Goodall Institute a annoncé sa mort ce 1ᵉʳ octobre 2025 sur Instagram.
Ses premiers travaux de terrain, consistant à observer les chimpanzés dans la réserve de Gombe Stream, au Tanganyika (aujourd’hui la Tanzanie), ont révélé un riche catalogue de comportements partagés, sociaux aussi bien qu’émotionnels, entre les humains et les singes. Jane Goodall a été « la femme qui a redéfini l’Homme », a écrit son biographe, Dale Peterson.
JANE GOODALL ET NATIONAL GEOGRAPHIC
Jane Goodall attira l’attention de la National Geographic Society en 1961. Son mentor, le paléoanthropologue Louis Leakey, bénéficiaire d’une bourse de la Society, parla au Comité de recherches et d'exploration, l’auguste groupe de seize hommes qui distribuait alors des subventions aux scientifiques, explorateurs et photographes, de son assistante au musée Coryndon de Nairobi, qu’il avait envoyée à Gombe pour observer des chimpanzés.
La relation avec la National Geographic Society dura quatre décennies, mais au départ du moins, ce ne fut pas un parcours sans heurts. Bien qu’il ait approuvé 1 400 $ pour les travaux de Jane Goodall, le comité rechigna à financer ses frais de subsistance pendant qu’elle rédigeait ses résultats - ce qui était une demande de Louis Leakey. Ces hommes étaient méfiants. Jane Goodall était mince, d’apparence frêle. Elle n’avait pas de formation scientifique. Elle n’avait aucun diplôme. Une femme seule dans la nature sauvage d’Afrique de l’Est, étudiant le comportement des chimpanzés, exposée aux intempéries violentes, aux animaux prédateurs, aux serpents venimeux et aux moustiques porteurs de malaria ? Demander de rajouter 400 livres (soit 1 120 $ à l’époque) pouvait sembler excessif.
Louis Leakey joua habilement sa carte maîtresse : il leur exposa que Goodall avait documenté les primates fabriquant et utilisant des outils, des brins d’herbe et des brindilles introduits dans des termitières pour attraper des termites. Auparavant, on pensait que seuls les humains en avaient la capacité.

Jane Goodall observe une famille de chimpanzés dans un arbre à Gombe au début des années 1960. Lorsqu’elle commença à étudier ces animaux, elle n’avait pas encore reçu de formation scientifique formelle. Ne sachant pas que la pratique établie consistait à utiliser des numéros pour identifier les animaux, elle consignait ses observations des chimpanzés par les noms qu’elle leur attribuait : Fifi, Flo, Mr. McGregor et David Greybeard.
Cela attira leur attention. Ils approuvèrent les fonds supplémentaires, donnant un élan au travail de la jeune primatologue. Ce fut sans doute le meilleur investissement jamais réalisé par la National Geographic Society. La couverture médiatique des travaux de Jane Goodall, fit de la jeune femme l'une des scientifiques les plus connues au monde.
« Charmante demoiselle passe son temps à observer les singes » et « Crève d’envie, Fay Wray », proclamaient les gros titres avec un parfum de grivoiserie. Même le président de la National Geographic Society, Melville Bell Grosvenor, se référait à elle comme à « la blonde britannique étudiant les singes ». Elle n’en avait cure. En fait, cela pouvait même être utile ; les gens se sentiraient moins menacés par une femme, et seraient plus enclins à l’aider. « J’étais la cover girl de National Geographic », ironisait-elle.
LES ORIGINES DE SON ENGAGEMENT
La maison victorienne en briques rouges dans laquelle elle a grandi, dans la ville balnéaire anglaise de Bournemouth, abritait un foyer de femmes : Jane, sa mère Vanne, sa sœur Judy, deux tantes et une grand-mère. Son père, officier de l’armée britannique, était le plus souvent absent et divorça plus tard de sa mère. Enfant, elle aspirait à l’aventure et voulait faire les choses que les hommes faisaient et que les femmes ne faisaient pas. Plus que tout, elle désirait aller en Afrique pour étudier les animaux. Dans cette maison de femmes, et particulièrement grâce aux encouragements de sa mère, Jane apprit l’autonomie et fut bientôt persuadée qu’elle pourrait devenir ce qu’elle désirait.

Elle retrouva un peu de cette attention maternelle quand elle observa à Gombe Flo, la matriarche de la première famille de chimpanzés qu’elle étudia. Flo était affectueuse et, surtout, attentive et bienveillante envers ses enfants. La propre mère de Jane Goodall l’accompagna (le comité de recherche avait insisté pour qu’elle ait une chaperonne) durant ses cinq premiers mois dans la brousse. Et c'est là qu'elle trouva sa place : « c’était là que j’étais censée être », dit-elle dans le documentaire Jane de National Geographic, sorti en 2020.
Sur le terrain comme dans le monde en général, elle laissait l’empreinte la plus légère. Dans la forêt, elle allait souvent pieds nus. Végétarienne, elle mangeait littéralement comme un oiseau. Elle menait une vie d'ascète. Le matériel lui était immatériel. Tout tournait autour des chimpanzés, de l’environnement, de la conservation ; elle avait comme volonté que le monde ne s’autodétruise pas.
Ses tout premiers sujets d’étude, enfant, avaient été les vers de terre qu’elle plaçait sous son oreiller jusqu’à ce que sa mère lui fasse remarquer qu’ils mouraient sans terre, le rouge-gorge qu’elle avait réussi à convaincre de construire un nid dans sa bibliothèque, et son chien bien-aimé, Rusty. C'est grâce à ce chien qu'elle apprit que les animaux étaient intelligents, avaient des émotions ainsi que des personnalités distinctes.

Jane Goodall pose avec son premier chimpanzé, une peluche appelée Jubilee, dans sa maison familiale du comté de Dorset, en Angleterre. Goodall a grandi à “The Birches”, surnom donné en raison des bouleaux argentés de la propriété, avec sa mère, sa grand-mère, sa sœur et deux tantes, tandis que son père, ingénieur, était souvent absent pour le travail.
Elle vit cela chez David Greybeard, le premier chimpanzé à s’approcher d'elle et à accepter « l’étrange singe blanc », comme elle se désignait elle-même. La légende veut qu'un modèle en argile de ce chimpanzé ait été sur son gâteau de mariage lorsqu’elle épousa Hugo van Lawick, le photographe que National Geographic avait envoyé pour documenter son travail. David Greybeard était confiant, calme, déterminé. Goliath, le mâle alpha de son groupe, était tempétueux ; Frodo, un tyran. Plus tard, lorsque Jane Goodall transmit ses recherches de terrain à d’autres pour se consacrer à la mission de sensibiliser et de collecter des fonds pour la préservation environnementale, les études étaient à nouveau consacrées aux individus plutôt qu'aux groupes.
COMMENT JANE GOODALL A REDÉFINI LE COMPORTEMENT ANIMAL
Elle savait captiver une foule, même les habitués du divertissement à Hollywood, et faire une entrée de rock star. Un crescendo de ses pant-hoots emplissait la salle, augmentant en volume : Ho hoo ho hoo HOO HOOO ! Puis, quand les cris s’éteignaient dans le silence, elle surgissait de derrière le rideau sous une ovation. Sa passion tranquille était contagieuse ; les larmes coulaient, et les chèques arrivaient.
Un jour, lors d’une séance de dédicace dans une petite librairie de province, le photographe de National Geographic Nick Nichols lui demanda pourquoi la séance ne se tenait pas dans un lieu plus grand, comme les auditoriums où elle donnait souvent des conférences. Il se souvient de sa réponse : « Elle m’a juste regardé et a dit : “Mais si jamais il y a une personne qui vient aujourd’hui et qui change les choses pour la planète ?” » Même la personne assise à côté d’elle dans un avion pouvait être cet individu.
Jane Goodall voyait comment un animal en cage devenait une version diminuée et avilie de lui-même, ce qui se refletait dans son regard et dans sa manière de se mouvoir. C’était pour elle un impératif moral de changer cela. « Nous devrions être bons envers les animaux parce que cela fait de nous tous de meilleurs êtres humains », confiait-elle à Mary Smith, éditrice photo du magazine qui contribua à faire publier ses récits. Elle influença les National Institutes of Health pour mettre fin à l’utilisation de chimpanzés dans la recherche médicale et réussit à convaincre le secrétaire d’État américain James Baker en 1989 à l'aider à juguler le commerce de viande de brousse africaine.
En 1991, elle fonda l’association Roots & Shoots, en s’appuyant sur l’enthousiasme des jeunes dans sa mission d’arrêter la destruction de l’environnement, déterminée à ce que la génération suivante soit de meilleurs gardiens de la planète que la précédente. Elle savait se faire des alliés parmi les recrues les plus improbables. Elle persuada la compagnie pétrolière Conoco de construire le Centre de réhabilitation des chimpanzés de Tchimpounga, en République du Congo, qui ouvrit en 1992 comme sanctuaire pour chimpanzés orphelins.

Jane Goodall prend des notes tandis qu’elle observe des chimpanzés en train de jouer à Gombe, en 2011. Au fil de ses années d’observation minutieuse, elle en est venue à comprendre à quel point les chimpanzés peuvent être semblables aux humains. « Quand j’ai commencé à Gombe, je pensais que les chimpanzés étaient plus gentils que nous », dit-elle à National Geographic en 1995. « Mais le temps a révélé qu’ils ne le sont pas. Ils peuvent être tout aussi horribles. »

Dans sa maison de Dar es Salaam, en Tanzanie, dans les années 1990, Goodall écrivait de vingt à trente lettres par jour pour poursuivre ses objectifs de protection des chimpanzés et de leurs habitats. « En 1960, l’habitat des chimpanzés s’étendait aussi loin que je pouvais voir à Gombe », dit-elle à National Geographic en 1995. « Aujourd’hui, les chimpanzés sont emprisonnés comme s’ils étaient sur une île. »
Plusieurs distinctions vinrent récompenser son engagement : la Légion d’honneur, le titre de Dame Commander de l'ordre le plus excellent de l'Empire britannique, le prix de Kyoto, la médaille Schweitzer, des doctorats honoris causa d’universités en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Asie.
Et il y eut un prix à payer. L’invasion de micros et de caméras, « affamés », comme le décrit David Quammen dans les pages National Geographic, de « chacun de ses mots et de chacun de ses regards ». La foule de fans adorateurs, tendant la main pour un contact, un mot, un autographe, comme pour une relique sacrée. Lorsqu’elle parcourait les routes pour prêcher l’évangile de la conservation, bien après ses soixante-dix ans, elle passait encore 300 jours par an à faire le tour du monde. Il lui arrivait de se réveiller sans savoir où elle se trouvait, embrumée par l’épuisement. Qu’importe. Ce qui comptait, c’était sa mission.
Lorsqu’un journaliste lui demanda si elle se considérait d’abord comme une scientifique ou comme une figure mystique, elle opta pour la seconde option. « Je ne voulais pas être une scientifique », expliqua-t-elle. C’est Louis Leakey qui l'avait poussée à travailler pour obtenir un diplôme, un doctorat en comportement animal de l’Université de Cambridge, parce que cela l’aidait à se protéger des critiques de ses pairs qui, au début de ses recherches, la raillaient de ne pas savoir mener correctement des travaux scientifiques.

Jane Goodall discute avec des collégiens lors d’un événement en 1995 pour Roots & Shoots, une initiative qu’elle a lancée avec le Jane Goodall Institute en 1991 afin de sensibiliser les enfants à l’importance de la conservation. Dans le cadre de sa mission de développer la conscience environnementale, Jane Goodall croyait au pouvoir de la jeunesse pour faire bouger les lignes.

Jane Goodall se penche en avant tandis que Jou Jou, un chimpanzé, tend la main vers elle à Brazzaville, au Congo, en 1990. En repensant à sa jeunesse et à ses premières découvertes émerveillées de ces créatures fascinantes et complexes qui allaient devenir l’œuvre de sa vie, elle déclara que la jeune femme « [était] toujours là, toujours une partie de moi plus mûre, me chuchotant avec excitation à l’oreille ».
Au lieu d’attribuer des numéros à ses sujets d'étude, elle leur donnait des noms. Elle leur attribuait des émotions. Elle les anthropomorphisait. Elle se permettait de le faire parce qu’elle avait observé un jeune chimpanzé, angoissé par la perte de sa mère, sombrer dans la dépression et mourir. Elle vit aussi un côté sombre de ces grands primates : des mâles qui s’imposaient par l’intimidation au sommet. Et lorsque le groupe se scinda en deux factions rivales vint le meurtre. « Je pensais qu’ils étaient comme nous mais plus gentils. Il m’a fallu du temps pour accepter leur brutalité », regrettait-elle.
Cela mettait les créationnistes en fureur, mais son travail suggérait que peut-être ce n’étaient pas les singes qui reflétaient le comportement humain, mais bien le comportement humain qui reflétait celui des singes. « J’avais le sentiment d’apprendre à connaître des êtres semblables, capables de joie et de chagrin… de peur et de jalousie », dit-elle à propos de ces années à Gombe.
Et lorsque Flo, l’oreille en lambeaux, au nez bulbeux — la matriarche de la première famille de chimpanzés qu’elle étudia, qui lui avait tant appris sur le soin maternel — mourut, Jane Goodall pleura, exprimant une émotion partagée avec les chimpanzés qu’elle étudiait et aimait : le deuil.
Réalisé par Brett Morgen, sur une bande originale de Philip Glass, le long métrage documentaire JANE réunit des images inédites pour raconter l’histoire de la vie de Jane Goodall. Il est disponible en streaming sur Disney+.
