Psychologie : comment mesurer le bonheur ?

Les chercheurs tentent encore de définir le bien-être en fonction des références culturelles et des habitudes de vie. Le bonheur est certes un facteur, mais ce n’est pas le seul.

De Nora Bradford
Publication 29 mai 2025, 15:31 CEST
Le bonheur d’une personne est souvent lié à son bien-être général. Mais certains chercheurs avancent que ...

Le bonheur d’une personne est souvent lié à son bien-être général. Mais certains chercheurs avancent que ce n’est pas la seule métrique d’une belle vie.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Fink, Nat Geo Image Collection

À la question « Qu’est-ce qui rend la vie belle ? » on répond souvent par une liste de ce qui nous rend heureux. Mais tout le monde ne mesure pas sa vie par le bonheur, et certains y accordent plus d’importance que d’autres. Les humains ont du mal à trouver une recette pour une belle vie ou pour le bien-être qui dépasse le simple fait d'« être heureux ».

Aristote était connu pour faire la distinction entre l’hédonisme, le plaisir, et l’eudémonisme, qui renvoie à une forme plus durable et plus profonde de bonheur. L’eudémonisme, c’est « l’idée qu’une vie vraiment épanouissante demande d’avoir des vertus et d’utiliser ses forces en accord avec une poursuite qui nous tient à cœur, ce qui n’est pas la même chose que d’être heureux », explique David Yaden, chercheur en substances psychédéliques et en bien-être de l’université Johns Hopkins.

Aujourd’hui, le modèle le plus populaire du bien-être se construit sur cette dichotomie entre l’hédonise et l’eudémonisme. Il implique à la fois les changements dans l’humeur et la satisfaction de la vie. Mais les chercheurs débattent encore, ils se demandent si le bonheur est au cœur du bien-être chez toutes les populations du monde. Bien que la question puisse sembler plus philosophique que pratique, sa réponse pourrait aboutir à des politiques sociales plus larges qui influenceraient le bien-être, non pas de quelques individus, mais de communautés entières, voire de pays.

 

COMMENT LES CHERCHEURS ÉTUDIENT LE BIEN-ÊTRE

L’humeur peut être ardue à mesurer précisément en une seule rencontre. C’est pour cela que plusieurs études ont recours à l’échelle de satisfaction de vie (ESV) qui inclut cinq énoncés simples, comme « En général, ma vie correspond de près à mes idéaux » ou « Je suis satisfait de ma vie ». Les sondés répondent aux énoncés en leur attribuant à chacun une note allant de un à sept.

Les personnes prennent souvent plusieurs facteurs en compte pour répondre. « Certaines études montrent que le bien-être émotionnel tourne autour des ressources sociales : le nombre de fois que l’on rencontre d’autres personnes, la qualité des relations que l’on entretient », explique David Yaden. « La satisfaction relève plus des circonstances matérielles, comme le statut social et le salaire. »

Le rapport mondial sur le bonheur classe chaque année 140 pays sur la base de leur niveau de bonheur et utilise une version encore plus simplifiée de l’ESV, en ne posant qu’une seule question. Les auteurs de ce rapport ont demandé aux participants d’imaginer une échelle sur laquelle le sommet représente la meilleure vie possible et le bas correspond à la pire possible. Aux participants de se situer sur l’échelle.

Les critiques de cette mesure sont nombreuses. Une étude publiée l’an passé affirmait que l’échelle imaginaire incitait à des pensées hiérarchiques qui pourraient inconsciemment biaiser les réponses. Cette équipe a découvert que, lorsque la question était formulée sans cette image d’échelle, les participants se concentraient plus sur leur état de santé, leurs relations et leur famille plutôt que sur le pouvoir et la richesse.

 

LE BIEN-ÊTRE AU-DELÀ DU BONHEUR

Les autres biais des données du rapport sur le bonheur pourraient venir de la valeur que lui accordent les cultures. Dans les sociétés dites WEIRD (Western, Educated, Industrialized, Rich, Democratic en anglais ; Occidentale, Éduquée, Industrialisée, Riche, Démocratique en français), la poursuite du bonheur joue un rôle prépondérant. Il est cependant moins important dans d’autres.

Le psychologue Kuba Krys, de l’Académie polonaise des sciences, et ses collègues ont étudié ce phénomène. Ils ont pour cela analysé des données provenant de soixante-et-un pays. Leur recherche indique que l’idéalisation d’un bonheur maximum est surtout prédominante dans les sociétés WEIRD. Lorsqu’on leur demandait si cet idéal répondrait à l’échelle de la satisfaction de vie, les participants venant de sociétés non-WEIRD attribuaient une note plus basse que les habitants de sociétés WEIRD.

« Dans le milieu scientifique, dominé par les valeurs occidentales, nous mettons souvent sur le même plan le bien-être subjectif et le bonheur », informe Kuba Krys. « Mais si l’on va au-delà de ce paradigme occidental, il apparaît que le simple fait d'être heureux ne garantit pas d'avoir une belle vie. Le bonheur est important, le bonheur est fondamental, mais il ne fait pas tout. »

Si les données suggèrent que les sociétés non-WEIRD ne pensent pas au bonheur de la même manière que les WEIRD, on ignore si elles priorisent d’autres facteurs du bien-être, ni ce qu’ils pourraient être.

« Je trouve intéressant de voir que les personnes ont effectivement des définitions de certains termes qui diffèrent de celles des chercheurs. Et je pense que cela montre l’importance de donner sa définition d’un terme, de manière générale, que l’on soit ou non un chercheur. »

Une autre étude menée par Kuba Krys et son équipe suggère que le bien-être pourrait être divisé en composantes. Tandis que le bonheur restait le plus important dans leur échantillon sondé du Royaume-Uni, le sens, l’harmonie et également l’amour étaient des réponses qui revenaient souvent lorsque les participants exposaient leur vision d’une belle vie. L’équipe s’attend à ce que les composantes soient plus diverses et que l’importance du bonheur diminue, si la même étude était menée sur un échantillon multiculturel.

 

PARTAGER SON BONHEUR AVEC LES AUTRES

En étudiant les possibles composantes du bien-être, Kuba Krys et son équipe ont découvert que la communauté jouait également un rôle. Les composantes, comme le bonheur, ont tendance à être associées à des communautés plus petites, dans lesquelles les interactions et le cercle social proche sont des facteurs dominants. En contraste, la quête de sens, la spiritualité et l’harmonie étaient liés au bien-être au sein de communautés plus vastes, illustrant un sens collectif du but et de l’interconnectivité. Le psychologue espère pouvoir se servir de ces découvertes liées à la communauté au cours de projets futurs sur un groupe plus divers de participants.

« Il faut réfléchir à la manière de construire des attitudes communautaires, des approches communautaires afin d'assurer notre bien-être », déclare Kuba Krys.

Il y a quelques années, à la recherche d’une approche communautaire afin d’étudier le bien-être, Kuba Krys et son équipe ont eu recours à une mesure appelée l’échelle interdépendante du bonheur dans quarante-neuf pays. Cette échelle comprend des énoncés tels que « Je pense que mes proches et moi sommes heureux » et « Je pense que ma vie est aussi heureuse que celle de mes proches ». L’échelle interdépendante du bonheur a été conçue comme une mesure de l’harmonie entre les personnes et de la connexion au bien-être collectif. Elle a reçu de bons scores dans des sociétés collectivistes comme la Chine ou le Japon.

 

VERS UNE VISION PLUS PRÉCISE DU BIEN-ÊTRE

Les sociétés non-WEIRD ne sont pas suffisamment représentées dans les recherches sur la psychologie, ce qui signifie que notre compréhension du bien-être mondial est incomplète. Des changements de politique au sein d’un pays pourraient ne pas fonctionner partout pour améliorer le bien-être global. En élargissant le champ des métriques du bien-être pour qu’elles soient adaptées à ces cultures, les chercheurs pourraient être en mesure de découvrir tout un éventail de composants du bien-être. Ou bien, ils pourraient simplement avoir besoin de changer leurs formulations, tout en gardant le bonheur en tant que concept central.

La question « qu'est-ce qu’une belle vie ? » a tellement de réponses possibles. Jonas Schöne, psychologue social statistique de l’université de Stanford, encourage les chercheurs à continuer de « s’intéresser aux questions ouvertes. Vous pourriez y trouver de quoi ne pas perdre votre temps. » Avec toujours plus d’outils disponibles pour analyser les textes, il serait plus facile que jamais d’utiliser des questions ouvertes pour étudier les différentes définitions du bien-être dans les pays et les régions.

Certains experts sont de l’avis que le bonheur demeurera une métrique centrale et utile. Sonja Lyubomirsky, psychologue sociale de« l’université Riverside, en Californie, reconnaît l’importance de faire la distinction entre le bonheur et les autres composants du bien-être, mais insiste sur leur interconnectivité. « Ils vont presque toujours de pair », déclare-t-elle. « Cela fait du bien de vivre une vie qui a du sens, cela fait du bien d’avoir de l’intérêt, d’être absorbé par une tache, ou toutes ces autres choses qui font partie du bien-être eudémonique. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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