Cancer du sein : pourrait-on empêcher la réplication des cellules cancéreuses ?

Des chercheurs de l’Institut Curie ont découvert qu’en empêchant l’intervention d’une enzyme spécifique dans la réplication de certaines cellules cancéreuses, ils pourraient les cibler directement, sans entraîner la mort de cellules saines.

De Marie Zekri
Publication 18 oct. 2023, 09:21 CEST
Certaines enzymes permettent aux cellules cancéreuses de se propager. Cette image à contraste différentiel d’une tumeur ...

Certaines enzymes permettent aux cellules cancéreuses de se propager. Cette image à contraste différentiel d’une tumeur mammaire, prise à un grossissement 20x avec un microscope fluorescent Zeiss LSM 780, montre que le collagène dans la matrice a été décomposé par les enzymes sécrétées et que les cellules tumorales se préparent à se propager.

PHOTOGRAPHIE DE Wayne State University

La recherche contre le cancer est un domaine étudié depuis les années 1970, époque où l’on pensait encore que le cancer était une maladie majoritairement infectieuse. Ces dernières années, les progrès de la médecine ont permis de réaliser des avancées considérables dans la compréhension du fonctionnement de la dégénérescence maligne des cellules de notre organisme, mais également de la multitude de causes et formes de cancers. 

Cependant, depuis quelques années, une augmentation inquiétante du nombre de cas de cancers est observée. La recherche dans ce domaine est plus que jamais nécessaire. « On a besoin d’attirer les talents de demain, c'est ça la clef », explique Raphael Ceccaldi, directeur de recherche à l’Institut Curie et chef du laboratoire Alternative DNA repair in cancer, qui a récemment publié une étude menée par Camille Gelot dans la revue Nature.

 

L’ADN, HISTOIRES DE CASSURES ET DE RÉPARATIONS PERPÉTUELLES

Nos cellules sont des entités vivantes. Chaque seconde, certaines apparaissent, d’autres meurent. Elles se répliquent pour se succéder, se conserver. C’est de cette façon que l’organisme reste en vie. Or, pour se répliquer, une cellule doit copier l’information génétique qu’elle contient et la retranscrire à l’identique lorsqu’elle se divise.

Nos cellules meurent pour que nous puissions survivre

« L’ADN est comme un livre qui est lu par la cellule », explique Ceccaldi. Les informations contenues dictent à l’organisme l’ensemble de ses caractéristiques, par le biais des chromosomes. « Il faut imaginer une bobine de fils ». L’ADN forme des sortes de pelotes à double hélices, qui doivent être déroulées pour pouvoir être lues et recopiées. 

Mais la plupart du temps, ce dépliage délicat créé des nœuds qui entraînent des cassures. « Il s’agit d’un phénomène naturel tout à fait contrôlé », explique le chercheur. Il est engendré par un besoin d’une cellule mère de lire et de dupliquer son information génétique pour engendrer deux cellules filles. Les cassures « délétères » ou « cassures doubles brins », autrement dit les ruptures de la double hélice, ont une origine physiologique ou encore extérieure, en réponse à une agression.

Si cependant l’ADN subit trop de cassures, par exemple si le corps est exposé à d’importantes radiations, ou toxines, comme dans le cas du tabagisme, la cassure n’est plus contrôlée, entraînant la mort de la cellule. L’objectif de la radiothérapie est ainsi de viser localement les cellules cancéreuses pour détruire les cellules défectueuses et empêcher la réplication de ces dernières. Mais une radiation non localisée est dangereuse pour l’ensemble des cellules. La chimiothérapie, pour sa part, impacte l’ensemble de l’organisme et entraîne également la destruction de tissus sains.  

« Il y a des milliards de cassures à chaque cycle cellulaire de l’ADN », explique le chercheur. « Ce qui signifie que l’ADN se répare constamment pour pouvoir se répliquer ». Des enzymes et protéines interviennent alors dans ce schéma classique de réparation de l’ADN des cellules, appelé « recombinaison homologue ». Leur action, qui permet de ressouder le fil d’ADN, est largement étudiée dans les laboratoires du monde entier, dont celui de l’Institut Curie.

 

UNE RÉPARATION DIFFÉRENCIÉE POUR LES CELLULES CANCÉREUSES 

Il arrive que le schéma de réparation de l’information génétique ne se déroule pas correctement. Les cellules cancéreuses emploient d’autres méthodes pour répliquer leur ADN. Les chercheurs de l’Institut Curie ont découvert que dans la majorité des cas de cancers du sein et de l’ovaire, les cellules cancéreuses parviennent à se répliquer grâce à l’intervention d’une enzyme spécifique : la polymérase thêta, PolꝊ (présente uniquement chez les organismes multicellulaires complexes). 

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    Observation d'une enzyme, la polymérase thêta, qui intervient dans la recombinaison de l'ADN des cellules cancéreuses, et joue donc un rôle majeur dans leur réplication.

    PHOTOGRAPHIE DE Institut Curie

    « Certains cancers, comme le cancer du sein et de l’ovaire, ont des défauts de réparation de l’ADN ». C’est ce défaut qui induit des évènements de recombinaison de l’ADN. « Une cellule ne peut pas vivre sans réparation », reprend Ceccaldi. « Mais si elle est mal réparée, cela engendre des mutations ». Ces mutations conduisent soit à la mort de la cellule, dans le meilleur des cas, soit au cancer. Dans le cas d’un défaut de recombinaison, la cellule cancéreuse qui présente une altération chromosomique se reproduit de façon anarchique.

    La polymérase thêta répare l’ADN quand il n’y a pas de mécanisme classique. Une cellule cancéreuse perd sa capacité à se réparer naturellement en raison d’une erreur dans la recombinaison du code génétique. Dans de nombreux cas de cancers du sein et cancers de l’ovaire, les cellules tumorales ne se réparent pas comme les autres. « Elles utilisent des voies qui sont complètement différentes et qui n’existent que dans ces cellules ». La polymérase thêta est l’une des voies identifiées.

    En identifiant ces voies, les chercheurs peuvent envisager des possibilités de traitement du cancer. En inhibant l’alternative de réparation trouvée par les cellules cancéreuses, il est possible de détruire le problème à la source, tout en préservant les autres cellules.

     

    UN ESPOIR DE TRAITEMENT ?

    « Les cancers du sein et de l’ovaire ont une caractéristique commune : ils ne réparent pas l’ADN selon l’une des voies les plus fondamentales ». Pour ces deux cancers, ce défaut est relativement constant et récurrent, bien plus que pour tout autre cancer. Par exemple, un cancer du poumon trouve des origines multiples et bien plus diversifiées. Le fonctionnement des cellules d’une tumeur maligne au niveau du sein ou des ovaires est plus facile à cibler pour les chercheurs. 

    Photographie prise le 4 octobre 2017 Rue De La Loge à Montpellier en France pour la ligue contre le cancer et le dépistage du cancer du sein.

    PHOTOGRAPHIE DE digitalman/StockimoNews/Alamy Live News

    L’objectif des nouvelles thérapies pour lutter contre le cancer est justement de chercher à viser directement les cellules cancéreuses sans altérer la vie des autres cellules, en compensant le défaut intrinsèque de ces tumeurs. « C’est le principe de la thérapie ciblée », explique Ceccaldi. 

    Autrement dit, l’objectif du laboratoire est ici de trouver le moyen d’inhiber la production de cette enzyme, la polymérase thêta, pour empêcher les cellules cancéreuses de procéder à la réparation de leur ADN, et donc de proliférer.

    Chaque molécule a une fonction. Certaines produisent de l’énergie, d’autres font fusionner les bouts de chromosomes, d’autres, comme la polymérase thêta, ont une fonction catalytique, qui permet de copier des informations. « Toutes ces activités sont mesurables », explique Ceccaldi. « Il faut purifier l’enzyme, mesurer son activité, réaliser un test, [puis l’enregistrer dans une banque de données], avec des millions d’autres composés ». Ces tests sont également réalisés avec des protéines, néanmoins plus complexes à traiter car elles n’ont pas d’activité.

    Les recherches n’en sont qu’à leurs prémices, mais cette découverte ouvre la voie à une multitude de possibilités pour d’éventuels traitements du cancer du sein et de l’ovaire. Plus ciblés, les inhibiteurs de polymérase thêta pourraient présenter une alternative plus efficace et moins nocive que la chimiothérapie. 

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