Chaque grossesse peut ajouter plusieurs mois à votre âge biologique

Une étude qui va faire date confirme que le fait de faire grandir un être humain en soi en neuf mois fait « vieillir » le corps, et que des grossesses successives peuvent avoir un effet cumulatif.

De Elizabeth Anne Brown
Publication 10 avr. 2024, 11:46 CEST

Les scientifiques savaient déjà que la grossesse mettait le corps à rude épreuve, mais désormais une étude montre que lorsqu’elle est enceinte, une femme est susceptible de voir s’accélérer le vieillissement de ses cellules.

PHOTOGRAPHIE DE Philipp Horak, Agency Anzenberger, Redux

Des chercheurs ont découvert que le fait de faire grandir un être humain en soi à partir de zéro fait « vieillir » le corps ; rien de surprenant pour quiconque a connu une grossesse.

Une étude qui vient de paraître suggère qu’une seule grossesse peut suffire à ajouter deux à quatorze mois à votre âge biologique.

« La grossesse a un coût qui semble être détectable » dès la vingtaine, révèle Calen Ryan, auteur principal de l’étude et spécialiste de biologie humaine de l’École de santé publique de l’Université Columbia de New York.

Selon Yousin Suh, professeure de l’Université Columbia n’ayant pas pris part aux travaux publiés le 8 avril dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences et dont les recherches portent sur les conséquences de la grossesse sur le vieillissement, cette « étude capitale » confirme ce que les femmes savaient déjà : la grossesse impose un lourd tribut au corps.

L’âge chronologique, c’est-à-dire le nombre de voyages que vous avez effectués autour du soleil, peut être différent de votre âge biologique, qui correspond à l’âge apparent de vos cellules et de vos organes selon des critères biochimiques.

Calen Ryan tâche d’étudier les raisons pour lesquelles notre corps peut vieillir plus rapidement ou plus lentement que ce à quoi l’on s’attend. Il s’avère que cela relève en grande partie de l’épigénétique, c’est-à-dire des moments où notre corps décide d’activer ou d’inhiber des gènes. 

Certains événements de la vie (maladies graves, traumatismes ou périodes de stress aigu) semblent causer des « bonds » dans l’âge épigénétique, car le corps réalloue de l’énergie et des ressources pour faire face à ces défis.

Peu de fonctions biologiques sont aussi laborieuses que celle qui consiste à faire se développer une personne entière en l’espace de neuf mois seulement, et la récente étude confirme les doutes qu’avaient les scientifiques : une grossesse, en particulier lorsqu’elle est suivie d’autres grossesses, se paie en âge biologique.

 

VOTRE HORLOGE ÉPIGÉNÉTIQUE

Si notre génome est un mode d’emploi, l’épigénome est un système complexe de marque-pages, de moments marquants et de soulignements qui dit à nos cellules quels gènes lire et à quel moment. Souvent, cela se produit par méthylation, un processus par lequel de minuscules étiquettes que l’on appelle « groupes méthyles » s’attachent à une section d’ADN.

Comprendre : La grossesse

Les gènes qui doivent être actifs changent constamment selon notre environnement et selon nos expériences. Ainsi ces groupes méthyles ont besoin de se déplacer et d’être remplacés fréquemment. Pourtant, à mesure que nous vieillissons, cette machine de maintenance semble commencer à faire des erreurs : les méthylations s’accumulent à certains endroits et disparaissent à d’autres. 

En prélevant un échantillon sanguin et en dénombrant le nombre de marque-pages méthylés à des endroits clés du code génétique, les scientifiques sont en mesure de calculer l’âge épigénétique d’une personne grâce à un ensemble d’algorithmes nommés « horloges ». Si ces horloges prédisent vos chances de mourir ou de connaître des complications en matière de santé, on connaît en revanche moins les effets de la fertilité sur l’horloge biologique.

Pour en savoir davantage, Calen Ryan et ses collègues ont choisi de réaliser une étude au long cours sur la santé intergénérationnelle aux Philippines. En 2005, ils ont analysé les échantillons sanguins de 825 femmes âgées de vingt à vingt-deux ans. 

Les chercheurs ont identifié une différence frappante : le nombre de changements épigénétiques dans l’ADN des participantes a révélé que celles qui avaient été enceintes étaient biologiquement plus âgées de quatre à quatorze mois que celles qui ne l’avaient pas été, et ce même après avoir pris en compte des facteurs tel que le niveau de revenu ou le tabagisme.

 

UN EFFET CUMULATIF

Bien que d’âges proches, les femmes de l’étude suivaient déjà des trajectoires de fertilité bien distinctes ; certaines n’avaient jamais été enceintes, d’autres disaient l’avoir été une fois ou plus, et d’autres encore étaient enceintes au moment où les prises de sang ont été effectuées.

Cela a soulevé une question cruciale : le fait de tomber enceinte plusieurs fois avait-il un effet cumulatif sur le vieillissement, chaque grossesse supplémentaire faisant augmenter l’âge épigénétique de la mère ?

En se servant des premiers échantillons sanguins comme référence, les chercheurs ont prélevé de nouveaux échantillons chez 331 de ces femmes quatre à neuf ans plus tard alors qu’elles étaient enceintes. 

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    Selon une nouvelle étude, chaque grossesse rajouterait deux à trois mois à l’âge biologique de la mère.

    PHOTOGRAPHIE DE Srdjan Rakonjac / Alamy Stock Photo

    En comparant ces deux instantanés de l’âge épigénétique de chaque femme, Calen Ryan et son équipe ont calculé l’effet de chaque grossesse supplémentaire survenue au cours des années qui s’étaient écoulées.

    « L’âge épigénétique des femmes qui avaient eu plus de grossesses durant ce laps de temps avait davantage changé », affirme-t-il. Chaque grossesse rajoutait deux à trois mois à l’âge biologique de la mère.

    Selon Yousin Suh, qui étudie le coût de la reproduction pour le corps humain, les résultats de Calen Ryan constituent une avancée importante dans notre compréhension de la façon dont les grossesses multiples affectent l’âge biologique, car la majorité des recherches existantes ne s’intéressent qu’à une unique grossesse.

    Cette nouvelle étude cadre selon elle avec nos connaissances en matière de fécondité élevée : tomber enceinte plusieurs fois peut raccourcir la durée de vie et accroître le risque de contracter des cardiopathies.

     

    UNE RAISON D’ÊTRE OPTIMISTE

    Toutefois, Yousin Suh et Calen Ryan s’accordent à dire que ceux qui souhaiteraient devenir parents ne devraient pas désespérer. En effet, il n’est pas certain qu’un âge épigénétique légèrement plus élevé lors de vos années de grossesse conduise à des complications des décennies plus tard.

    D’ailleurs, selon Yousin Suh, certaines études suggèrent l’existence d’un « point idéal » en ce qui concerne la fertilité. Par exemple, dans certains cas, une ou deux grossesses peuvent être meilleures qu’aucune, car la grossesse est associée à des risques moindres de contracter certains cancers et le fait d’avoir au moins un enfant est associé à une espérance de vie légèrement plus grande.

    Tandis que les scientifiques en apprennent davantage sur le vieillissement et la fertilité, « nous pouvons travailler à identifier les personnes susceptibles d’être les plus exposées », ajoute Calen Ryan, et mettre au point des stratégies pour atténuer les effets négatifs de la grossesse.

    Des études récentes indiquent que le coût épigénétique de la grossesse peut varier selon les pays et les cultures, ce qui suggère que le soutien parental et l’accès à la santé jouent un rôle important. Une amélioration de ces deux facteurs pourrait atténuer l’impact de la grossesse sur l’âge épigénétique.

    Yousin Suh ajoute qu’il faudra effectuer davantage de recherches pour distinguer les effets de l’éducation d’enfants et ceux de l’accouchement sur l’âge génétique, mais aussi tâcher de savoir si le fardeau de la grossesse est plus important quand les mères sont plus âgées que celles qui ont participé à l’étude.

    On peut avoir l’impression qu’il est notoire que la grossesse fait vieillir, mais c’est un concept relativement nouveau dans la littérature scientifique. Et pour Yousin Suh, les recherches comme celles entreprises par Calen Ryan se sont faites attendre. « J’éprouve un grand réconfort à l’idée que des études de ce type soient en train d’être réalisées », se réjouit-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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