Ce que la fracturation hydraulique inflige à la planète... et à notre santé

Sous des couches de roche millénaires, un procédé à haute pression redessine le paysage énergétique mondial. À mesure que la fracturation hydraulique s’étend aux États-Unis, les inquiétudes autour de ses effets ne cessent de croître.

De Kieran Mulvaney
Publication 21 juin 2025, 16:04 CEST
Une torchère de gaz méthane s’échappe des champs pétrolifères de Bakken, dans le comté de Mountrail, ...

Une torchère de gaz méthane s’échappe des champs pétrolifères de Bakken, dans le comté de Mountrail, dans le Dakota du Nord. Des recherches attribuent 40 % de l’augmentation du méthane atmosphérique depuis le début du 21e siècle à la fracturation hydraulique.

PHOTOGRAPHIE DE Richard Hamilton Smith, Getty Images

Mais entre 2007 et 2016, la production de pétrole aux États-Unis a augmenté de 75 %, et celle de gaz naturel de 39 %, grâce à un recours massif à la fracturation hydraulique. 

Le secteur étant en plein essor de l'autre côté de l'Atlantique, la voix de nombreux scientifiques spécialisés dans le climat et certaines communautés s'élèvent pour prévenir les populations et les pouvoirs publics des dangers encourus.

Voici tout ce qu’il faut savoir sur cette technique et ses effets.

 

LA FRACTURATION HYDRAULIQUE

La fracturation hydraulique, est une méthode d’extraction des énergies fossiles, principalement du méthane, composant principal du gaz naturel, à partir de couches rocheuses souterraines. Le gaz naturel est couramment utilisé pour chauffer les habitations, alimenter des processus industriels via la production de vapeur, et représente environ 25 % de la production d’électricité aux États-Unis.

Le méthane est piégé dans de petites poches situées à l’intérieur de formations de schiste, des roches issues d’anciens fonds marins. Pour y accéder, il faut forer un puits d’environ 1,5 km de profondeur. Une fois cette couche atteinte, le forage se poursuit horizontalement, afin de traverser une plus grande section de roche contenant du gaz.

Après avoir foré ce puits (ou wellbore), les ingénieurs le tapissent de tubes en acier pour le stabiliser, puis utilisent un canon perforateur pour y percer de minuscules trous. Ensuite, on injecte à très haute pression un mélange d’eau et de sable, qui traverse les perforations, fracture la roche, et y crée des fissures. Le sable s'y engouffre et maintient ces fissures ouvertes. La pression du schiste pousse ensuite le pétrole et le gaz à remonter à la surface.

 

QUELS SONT LES PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX QUI Y SONT LIÉS ?

Tout d’abord, un seul puits peut consommer entre 5,7 et 60 millions de litres. Le mélange injecté contient aussi des produits chimiques destinés à éviter la corrosion des équipements et à réduire la friction lors du forage. Une partie de l’eau et des substances chimiques revient ensuite à la surface. Elle est alors traitée et rejetée dans les cours d’eau, réutilisée pour d’autres opérations de fracking, ou injectée dans des puits profonds de stockage.

Des citernes d’eau sont remplies en vue d'une opération de fracturation hydraulique à Vaca Muerta, en ...

Des citernes d’eau sont remplies en vue d'une opération de fracturation hydraulique à Vaca Muerta, en Argentine. La fracturation hydraulique, également désignée par l'anglicisme fracking, utilise entre 5,5 millions et 60 millions de litres d'eau par puits.

PHOTOGRAPHIE DE Cristian Martin, Getty Images

 

L'ESSOR DE LA FRACTURATION HYDRAULIQUE 

La fracturation hydraulique a été inventée en 1947 et introduite sur le marché en 1949. Les investissements et les avancées techniques ont conduit à un boom de la fracturation hydraulique, ainsi qu’à une croissance significative de la production de pétrole et de gaz aux États-Unis au début du 21e siècle.

Les défenseurs de la fracturation hydraulique la présentent comme un progrès dans la lutte contre le réchauffement climatique, car la combustion du gaz naturel émet environ deux fois moins de gaz à effet de serre que celle du charbon. Dans son discours sur l’état de l’Union en 2014, l’ancien président Barack Obama affirmait que, « s’il est extrait de manière sûre, [le gaz naturel] est le “carburant de transition” capable d’alimenter notre économie tout en réduisant la pollution au carbone responsable du changement climatique ».

L’Independent Petroleum Association of America, un groupe de pression formé par les producteurs de pétrole et de gaz aux États-Unis, affirme que la fracturation hydraulique « a créé des millions d’emplois aux États-Unis, réduit le prix de l’énergie, amélioré la qualité de l’air… renforcé notre sécurité nationale et transformé les États-Unis en superpuissance énergétique mondiale ». Toutefois, certains reportages suggèrent que les chiffres de création d’emplois ont été exagérés, et qu’après un élan initial, de nombreuses suppressions d’emplois ont suivi en raison de la baisse des prix du pétrole et du gaz – baisse paradoxalement alimentée par le succès même de la fracturation hydraulique.

 

LES INCONVÉNIENTS

L’un des effets environnementaux les plus importants de la fracturation hydraulique est la quantité de méthane relâchée. Le méthane est un gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone. Une étude de l’Université Cornell publiée en 2019 a établi un lien entre la fracturation hydraulique et l’augmentation rapide du méthane dans l’atmosphère.

D’autres études ont également mis en évidence des problèmes affectant les communautés proches des sites de fracturation hydraulique.

Par exemple, la fracturation hydraulique libère des polluants dans l’air : des flammes de méthane brûlé, des hydrocarbures qui fuient par les interstices dans les puits, et des oxydes d’azote produits par les moteurs diesel utilisés pour faire fonctionner les machines. Ces éléments réagissent ensemble et créent un smog au niveau du sol.

« Nous savons, par exemple, que dans la région de Front Range, au Colorado, le forage pétrolier et gazier produit plus de smog que la circulation automobile... c’est donc la principale source de pollution de l’air », affirme Sandra Steingraber, scientifique principale au sein du Science and Environmental Health Network et cofondatrice de Concerned Health Professionals of New York.

Comme la fracturation hydraulique a lieu en zones rurales, elle y introduit ce que Steingraber appelle un « smog d’allure urbaine ».

Elle souligne que les stations de compression, qui maintiennent la pression du gaz dans les pipelines, sont une source majeure de pollution de l’air. Ces stations fonctionnent avec des moteurs à combustion, émettant des particules fines et des polluants pouvant affecter la santé cardiovasculaire, respiratoire et neurologique des personnes vivant à proximité.

Par ailleurs, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a constaté que la fracturation hydraulique pouvait affecter l’eau potable dans les zones environnantes. Des fuites de produits chimiques de fracturation dans les nappes phréatiques peuvent contaminer l’eau, et le traitement inadéquat des eaux usées issues de la fracturation hydraulique représente aussi une menace pour la santé publique et l’environnement.

Une revue des substances chimiques libérées dans l’air et dans l’eau a identifié 55 substances potentiellement cancérigènes, dont 20 augmentant le risque de leucémie ou de lymphome.

 

LES EFFETS SANITAIRES

Sandra Steingraber rappelle que 17,6 millions d’Américains vivent à moins de 1,6 km d’un puits de forage. Elle est coautrice d’un rapport de synthèse sur les impacts de la fracturation hydraulique sur la santé des populations et l’environnement, qui rassemble de nombreuses études démontrant les effets sanitaires négatifs de cette pratique.

Parmi les conclusions de ces études :

  • En Alberta rurale (Canada), les bébés nés de mères vivant à proximité de sites de fracturation hydraulique présentaient une augmentation des cas de faible poids à la naissance, de naissances prématurées et d’anomalies congénitales graves.
  • Des données collectées auprès de plus de 15 millions de bénéficiaires de Medicare ont montré que les personnes âgées vivant près des sites de fracturation hydraulique ont un risque plus élevé de décès prématuré que celles vivant dans des zones sans fracturation hydraulique.
  • Une étude menée en Pennsylvanie a révélé une augmentation de deux à trois fois des cas de leucémie chez les enfants ayant vécu à proximité d’un puits de fracturation hydraulique pendant leur petite enfance ou la grossesse de leur mère.

Le rapport souligne également d’autres effets sanitaires négatifs documentés : aggravation de l’asthme, hausse des hospitalisations, des appels d’ambulance, des passages aux urgences, des problèmes respiratoires auto-déclarés et des éruptions cutanées.

« C’est une crise de santé publique », conclut Sandra Steingraber.

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    PHOTOGRAPHIE DE Photography by Mark Thiessen, National Geographic Image Collection

     

    CELA PROVOQUE-T-IL DES TREMBLEMENTS DE TERRE ?

    Les opérations de fracturation hydraulique peuvent en effet provoquer des tremblements de terre. La cause principale n’est pas la fracturation en elle-même, mais l’élimination des fluides utilisés pour fracturer le schiste, qui sont injectés en profondeur dans le sol sous haute pression. Des études ont établi un lien entre l’augmentation des tremblements de terre dans l’ouest du Texas et l’élimination des eaux usées issues de la fracturation hydraulique.

    Selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (U.S. Geological Survey), la fracturation hydraulique est responsable de 2 % des tremblements de terre en Oklahoma, et le plus puissant séisme connu comme étant induit par la fracturation hydraulique a atteint une magnitude de 4,0 au Texas en 2018.

     

    LES ÉTATS-UNIS DEVRAIENT-ILS CONTINUER A UTILISER CETTE TECHNIQUE ?

    Les partisans de la fracturation hydraulique affirment que les accusations concernant les risques sanitaires et sismiques sont exagérées, voire « tout simplement fausses ».

    D’autres ne sont pas d’accord. Robert Howarth, biogéochimiste à l’université Cornell – considéré comme l’un des plus grands spécialistes mondiaux du méthane – et Anthony Ingraffea, professeur émérite en ingénierie, ont déclaré dans un commentaire publié en 2011 que « le gaz de schiste n’est pas une énergie propre, et ne devrait pas être utilisé comme carburant de transition », ajoutant que « ce gaz devrait rester confiné dans le schiste, pendant que la société améliore son efficacité énergétique et développe plus activement les sources d’énergie renouvelable ».

    Quant aux habitants vivant près des sites de fracturation hydraulique, ils doivent composer avec une incertitude et une angoisse constantes. Comme l’a observé un résident interrogé dans le cadre d’une étude menée dans le Colorado : « Nous sommes des cobayes. Ils apprennent en avançant… Nous ne savons pas quels seront les effets dans vingt ans. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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