La température du corps humain ne serait pas de 37°C

Contrairement à l'idée reçue, la température moyenne du corps humain ne s'élèverait pas à 37 °C : selon certaines études, elle aurait soit diminué au fil du temps, soit été mal mesurée dès le départ.

De Brian Gutierrez
Publication 25 août 2022, 17:35 CEST
Cette vue infrarouge montre la chaleur corporelle des personnes par rapport à la zone environnante aux ...

Cette vue infrarouge montre la chaleur corporelle des personnes par rapport à la zone environnante aux Jubilee Gardens, à Londres.

PHOTOGRAPHIE DE Giles Price, Nat Geo Image Collection

Pendant 150 ans, on a considéré que 37 °C était la température moyenne d’un corps humain en bonne santé. Mais ce chiffre n’est pas correct.

Depuis au moins vingt ans, les chercheurs savent qu’en réalité, la température moyenne de notre corps est plus faible, à environ 36,5 °C, et que toute température comprise entre 35,7 et 37,3 °C peut être considérée comme normale. Pourtant, 37 °C degrés demeure le chiffre de référence pour les parents inquiets et les médecins, et reste affiché partout, des thermomètres de pharmacie aux sites internet des centres médicaux.

« Les médecins ne sont pas différents des autres », affirme Julie Parsonnet, médecin spécialiste des maladies infectieuses à l’université de Stanford. « Nous sommes élevés en pensant que ce chiffre est la valeur normale depuis que nous sommes petits. »

Chaque personne est différente, et de nombreux facteurs peuvent causer des variations dans la température corporelle, tels que l’âge, la morphologie, l’activité, le régime alimentaire, la maladie, l’heure de la journée et la méthode de mesure de la température. Celle-ci est généralement prise à l’intérieur de l’oreille, sous la langue, sous l’aisselle, par voie rectale ou sur le front; et il existe même une gélule thermomètre à ingérer. Chacun de ces différents types de thermomètres affichent des températures moyennes légèrement différentes.

En étudiant les températures des personnes en bonne santé et les facteurs qui peuvent pousser le corps à atteindre des mesures dangereuses pour lui, les chercheurs peuvent mieux comprendre le fonctionnement du corps dans son ensemble. Pour fonctionner correctement, le corps humain doit rester dans une plage de température étroite d’environ 1,5 degré Celsius ; en dehors de cette plage, les neurones ralentissent et les muscles et organes fonctionnent moins efficacement. Même les protéines des cellules pourraient être affectées. Le corps fait donc de gros efforts pour rester à une température sûre, en transpirant lorsqu’il fait chaud ou en resserrant les vaisseaux sanguins lorsqu’il fait froid, par exemple.

« Tout cela se fait grâce à des signaux émis par l’hypothalamus [du cerveau] qui nous avertissent que notre sang n’est pas à la bonne température », explique Parsonnet.

La température corporelle peut également fluctuer en réaction à une maladie. Une fièvre survient lorsque le corps augmente sa température de quelques degrés au-dessus de la normale afin de tuer certains types de microbes, et ainsi aider le système immunitaire à fonctionner plus rapidement.

La température corporelle étant mesurée si fréquemment, et constituant un outil important pour l’étude de la santé, les chercheurs estiment qu’il est grand temps de réévaluer la chaleur interne du corps humain.

 

NOTRE CORPS EST-IL EN TRAIN DE SE REFROIDIR ?

Selon Parsonnet, les fameux 37 °C n’ont peut-être pas toujours été une mesure incorrecte ; elle aurait simplement évolué. Nous nous refroidissons, suggère la spécialiste.

Alors qu’elle s’intéressait initialement aux raisons pour lesquelles le citoyen américain moyen est devenu plus lourd au fil du temps, Parsonnet a commencé à examiner les liens que la température corporelle pouvait avoir avec le métabolisme. « Je pense depuis des années à trouver une cohorte qui pourrait nous montrer quelle était la température [corporelle moyenne] il y a plusieurs décennies », dit-elle.

Elle a trouvé cette cohorte dans la Civil War Veterans Series, une base de données sur la santé des vétérans de l’Armée de l’Union américaine, qui avaient combattu lors de la guerre de Sécession, que l’économiste Robert Fogel, lauréat du prix Nobel, a commencé à compiler en 1978. Le rapport contient des informations sur les professions, les maladies et les handicaps des vétérans, y compris les statistiques de température dont Parsonnet avait besoin.

En 2019, Parsonnet et ses collègues de Stanford ont combiné ces données avec une enquête sur la santé datant des années 1970, et avec des données plus récentes du centre médical de l’université de Stanford. L’objectif était d’ainsi obtenir un ensemble de données complet comprenant près de 200 000 mesures thermométriques sur les 160 dernières années. Après avoir tout analysé, l’équipe a constaté que la température corporelle de l’Américain moyen avait diminué d’environ 0,5 °C (1 °F dans l’étude) depuis la révolution industrielle.

Cette évolution correspond à la théorie de Parsonnet selon laquelle le métabolisme humain pourrait ralentir avec le temps, mais aussi aux autres modifications qu’a connu le corps humain grâce à un meilleur accès à la nourriture et à des soins de santé, dans les pays industrialisés tout du moins.

Nous sommes « devenus plus grands, plus gros, plus froids et [nous vivons] plus longtemps », selon Parsonnet. « Ces quatre éléments vont ensemble, en quelque sorte. »

 

UN THERMOMÈTRE DÉFECTUEUX ?

Philip Mackowiak, professeur émérite à la faculté de médecine de l’Université du Maryland, a une autre théorie pour expliquer le décalage entre les 37 °C et les températures actuelles. Selon lui, le chiffre n’aurait jamais été correct.

La température standard des 37 °C remonte à un ouvrage publié en 1870 par le médecin allemand Carl Rinhold August Wunderlich. « Il était dans une clinique en Allemagne et, selon son livre […], il aurait accumulé un million de températures », raconte Mackowiak. « Quand il a fait la moyenne de ces températures, il est arrivé à 37 degrés centigrades. »

Un certain nombre de raisons pourrait, selon lui, expliquer pourquoi l’estimation initiale de la température moyenne pourrait être erronée. Par exemple, on ne sait pas exactement de quelle manière Wunderlich est arrivé à sa moyenne, mais l’ensemble des données était aussi tellement vaste que le médecin n’a probablement fait la moyenne que d’une petite partie de ses mesures.

« Les statistiques n’étaient pas d’usage courant à l’époque, et encore moins les ordinateurs », explique Mackowiak. « Donc il est impossible d’imaginer qu’il soit parvenu à traiter un million de points de données pour arriver aux résultats qu’il a obtenus. »

Les thermomètres de Wunderlich, qui mesuraient la température à partir de l’aisselle et devaient être lus sans bouger pendant 15 à 20 minutes, pourraient également être une source d’erreur. L’un de ces thermomètres à mercure d’origine est conservé au Mütter Museum de Philadelphie, et Mackowiak a pu emprunter l’instrument pour l’inspecter.

« Nous avons procédé à des études minutieuses afin de vérifier sa portée et [il] était calibré 1,5 degré [centigrade] de plus que les thermomètres modernes ou contemporains. »

Cette erreur de longue date pose problème à Mackowiak depuis des dizaines d’années. Dans un article paru en 1992 dans le Journal of the American Medical Association, lui et ses collègues ont écrit : « Nous estimons que le concept selon lequel les 37°C ont une quelconque pertinence en termes de température normale du corps devrait être abandonné ».

Interrogé sur l’étude qui suggère que la température corporelle moyenne aux États-Unis est en diminution, Mackowiak répond ne pas être convaincu. Pour lui, l’ensemble de données utilisé dans l’article manquait de facteurs clés, tels que les types de thermomètres utilisés et le moment de la journée où les températures ont été enregistrées.

« Je n’ai aucun moyen d’en être certain, ni dans un sens ni dans l’autre », affirme Mackowiak. « Mais mon intuition est que non, elle n’a pas diminué au fil du temps. »

 

PRENDRE LA TEMPÉRATURE DES CHIMANES

Au départ, Michael Gurven, anthropologue à l’Université de Californie, à Santa Barbara, n’était pas non plus convaincu par la théorie de la baisse de la température signalée dans l’étude de Stanford. « On était sceptiques, on a donc réanalysé leurs données », confie-t-il.

Lorsque Gurven et son équipe ont effectué leurs propres calculs, ils ont constaté la même tendance : la température corporelle se refroidirait bien. « Nous ne comprenons pas très bien pourquoi exactement, mais il semblerait qu’il y ait bien eu un déclin », affirme-t-il.

Le scientifique s’est intéressé à la recherche sur la température corporelle en raison de son propre travail avec le peuple des Chimanes (ou Tsimanes), des agriculteurs et des chasseurs de subsistance vivant en Bolivie, relativement isolés du monde extérieur.

« Certains villages sont à une heure de marche de la ville la plus proche. D’autres sont à plusieurs jours de route en pirogue. »

Après avoir lu l’article sur la baisse de la température corporelle aux États-Unis, Gurven était curieux d’examiner la température corporelle moyenne des Chimanes. Si l’évolution des modes de vie dans les pays industrialisés est à l’origine de la baisse de la température corporelle, alors les personnes vivant en dehors de ce système moderne devraient, en théorie, avoir une température plus élevée.

À sa grande surprise, Gurven et ses collègues ont constaté que la température corporelle des Chimanes avait également diminué au fil du temps. « Nous avons constaté un niveau de déclin similaire, mais sur un dixième de la période de temps », révèle-t-il.

Depuis que Gurven a commencé à travailler avec les Chimanes en 2002, il a constaté que leur température moyenne était passée d’environ 37 à 36,5 °C.

Ces recherches permettent de fournir d’autres données indépendantes suggérant que les humains se refroidissent. Cependant, si cette observation est bien réelle, aucune raison évidente ne permet de l’expliquer. « Tout le monde a une idée différente », poursuit-il.

Certaines des causes possibles sont la climatisation, le régime alimentaire, les maladies chroniques, l’activité du système immunitaire, les maladies dentaires, les parasites, les habitudes de sommeil et les médicaments anti-inflammatoires.

Pour les Chimanes, certains de ces facteurs peuvent être exclus, tels que les fast-foods et les climatiseurs, mais de nombreuses petites choses ont changé pour ce peuple au cours des vingt dernières années, qui pourraient avoir contribué à ce changement. Ils ont par exemple un meilleur accès aux soins de santé, ce qui entraîne une diminution des taux de maladies pouvant affecter la température corporelle, mais aussi à davantage de biens de consommation comme les couvertures, qui pourraient les aider à rester à une température plus confortable tout au long de l’année.

Selon Gurven, tous ces changements pourraient contribuer à une diminution globale de la température moyenne.

 

LA TEMPÉRATURE N’EST QU’UNE INDICATION

Comment toutes ces recherches s’appliquent-elles à la santé de tous les jours ? Doit-on s’inquiéter si notre température est de 37 °C ?

« 37 °C est une température normale, mais ce n’est pas la température normale », explique Mackowiak. « Il n’y a pas une unique température normale. »

Si vous voulez absolument un chiffre, il peut être utile de connaître la température que Mackowiak qualifie de fièvre qui nécessitant une action, c’est-à-dire une température si élevée qu’un traitement médical est nécessaire, même si le patient ne présente aucun autre symptôme. Il précise que pour les hôpitaux, cette température est généralement égale ou supérieure à 38,3 °C.

Cependant, la température n’est pas toujours une mesure précise de la maladie. Même si la température corporelle se situe dans la fourchette normale, d’autres symptômes peuvent indiquer que quelque chose ne va pas.

La température corporelle « n’est qu’une des indications de la maladie », explique Parsonnet. « On l’aime bien parce que c’est un chiffre et que tout le monde aime les chiffres […] Mais le fait est que si vous vous sentez malade, alors vous êtes malade, et ce quelle que soit votre température. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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