Quels sont les signes de la démence, si difficile à diagnostiquer ?

La démence existe sous plusieurs formes, et la façon dont celle-ci se manifeste dépend de la région du cerveau endommagée. Voici l’état de nos connaissances à ce sujet.

De Sharon Guynup
Publication 17 oct. 2023, 15:27 CEST
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Le déclin cognitif peut être le fruit d’une multitude de processus, ce qui pose un défi aux praticiens lorsqu’il s’agit de diagnostiquer une démence. Souvent, les IRM et les scanners permettent d’exclure des sources de déclin n’ayant pas de liens avec la démence. La tomographie par émission de positrons (TEP), montrée ci-dessus, permet quant à elle de visualiser les plaques amyloïdes et peut permettre d’identifier des démences vasculaires et fronto-temporales.

PHOTOGRAPHIE DE MASSIMO BREGA, SCIENCE PHOTO LIBRARY

À soixante-dix ans à peine se sont manifestés chez Steve Selvin les premiers signes qu’il n’était plus tout à fait lui-même : il était capable de raconter des épisodes passés mais il était étrangement réservé quant au présent. Statisticien renommé, il s’était mis en retrait de son poste de professeur à l’Université de Californie à Berkeley. « Nous pensions que c’était de l’anxiété ou une dépression », confie Liz Selvin, sa fille.

Le comportement de Steve Selvin, facilement confondu avec d’autres troubles mentaux parce qu’il changeait petit à petit, était en fait un symptôme de démence. Le professeur était expert dans l’art de dissimuler son déclin cognitif croissant… jusqu’à ce qu’il ne le soit plus, raconte Liz Selvin. Son père a commencé à laisser des inconnus entrer chez lui. Il radotait. Il oubliait ce qu’il avait mangé au petit-déjeuner. Désormais, une décennie plus tard, il vit dans un établissement de soins spécialisés en Californie.

La maladie d’Alzheimer et les démences apparentées affectent tant de personnes (plus de 55 millions dans le monde et au moins 850 000 en France) que la plupart d’entre nous connaissons ou avons connu quelqu’un qui en souffre.

Comme dans le cas de Bruce Willis, qui souffre d’une démence fronto-temporale, le long chemin de célébrités vers un diagnostic sensibilise le public à la difficulté potentielle d’identifier la forme et la cause de ces maladies dévastatrices pour le cerveau.

Ainsi que l’explique Timothy Rittman, neuroscientifique de l’Université de Cambridge, la démence est un syndrome causé par de nombreuses maladies ou blessures qui détruisent des neurones et rompent les synapses qui les relient. Elle altère progressivement la capacité à penser, à raisonner, à contrôler son humeur et son comportement, et à conserver sa mobilité. Elle entrave si gravement la vie que les patients sont incapables de réaliser ne serait-ce que de banales tâches quotidiennes sans aide. À un moment donné, Steve Selvin, un génie des mathématiques, ne parvenait même plus à se servir d’un distributeur de billets.

Si cela touche principalement des personnes âgées, « cela ne fait pas partie d’un vieillissement normal », fait observer Timothy Rittman.

La façon dont la démence se manifeste dépend de la partie du cerveau qui est endommagée. Certaines formes sont assez gérables. Peu sont réversibles. Un seul type, causé par une fuite de liquide cérébrospinal, est traitable, et les options de traitements pour les autres types sont médiocres, selon Wouter Schievink, neurochirurgien au Centre médical Cedars-Sinaï, à Los Angeles. « Il existe peu de médicaments, et ils comportent beaucoup de risques et peu de bénéfices. »

Quant au coût financier des soins, il est faramineux. Selon les plus récentes estimations de l’Organisation mondiale de la santé, la démence aurait coûté 1 230 milliards d’euros à l’économie mondiale en 2019. Dans la moitié des cas environ, la responsabilité des soins échoit à des membres de la famille et à des amis, la plupart du temps à des femmes, ce qui entraîne un lourd tribut émotionnel et physique.

La recherche commence à lever le voile sur les causes et les facteurs de risques de la démence : prédispositions génétiques, hygiène de vie, lésion ou répercussions dues à d’autres maladies… Mais de nombreuses questions restent sans réponse.

 

SYMPTÔMES COURANTS

Le risque augmente avec l’âge, et les premiers symptômes se présentent sous des formes diverses et variées. Dans une société où nous sommes nombreux à faire plusieurs choses à la fois, on a tendance à en ignorer certains : oublier et égarer des choses, perdre la notion du temps, se perdre en conduisant.

Mais quand la confusion règne la plupart du temps (les tâches du quotidien posent problème, l’élocution est difficile, les mots ne viennent pas, on a du mal à gérer son argent ou à jauger visuellement les distances), il est plus facile de poser un diagnostic.

Chez certaines personnes, des changements de personnalité précèdent les problèmes de mémoire : elles deviennent nerveuses, anxieuses, agressives, tristes ou en colère. Elles sont susceptibles de s’éloigner des autres ou de se comporter de manière inappropriée ou choquante.

« Avec la démence, le déclin n’est pas linéaire », explique Melissa Toms Minotti, chercheuse à l’École de santé publique Bloomberg de l’Université Johns-Hopkins, dans le Maryland, qui est familière de cette maladie tant sur le plan professionnel que personnel. Pour son père, Richard Toms, comme pour ses patients atteints de démence qu’elle voit au centre de recherche, « chaque jour était un jour différent ».

 

ALZHEIMER, DÉMENCE À CORPS DE LEWY ET DÉMENCE VASCULAIRE

Le type le plus fréquent et le plus connu de démence est la maladie d’Alzheimer. Selon les estimations des chercheurs, elle serait responsable de 1,2 million de cas de démence en France.

Les deux principaux suspects qui se cachent derrière cette maladie sont des amas de protéines qu’on appelle « plaques » et « enchevêtrements » qui détériorent et tuent les neurones. Un fragment de protéine, le bêta-amyloïde, s’accumule en plaques entre les cellules nerveuses. Les enchevêtrements, des fibres emmêlées d’une autre protéine (tau), s’accumulent à l’intérieur des cellules. Quand des éléments toxiques s’enroulent autour des cellules nerveuses, celles-ci meurent.

D’autres maladies ou d’autres lésions peuvent entraîner une démence en affectant directement ou indirectement le cerveau. Plus de 250 000 Français souffriraient de démence à corps de Lewy. Il s’agit du deuxième type le plus prévalent et il se caractérise par des dépôts anormaux de la protéine alpha-synucléine dans les cellules nerveuses du cerveau qui régissent la pensée, la mémoire et le mouvement. Les patients peuvent également être sujets à des épisodes d’hallucination, de tremblements et de rigidité, à une tension artérielle et à un rythme cardiaque irréguliers, et à d’autres dysfonctionnements du système nerveux autonome.

Une tension artérielle élevée, ou toute chose interrompant un flux de sang et d’oxygène régulier en direction du cerveau peut entraîner une troisième maladie, la démence vasculaire. Les symptômes peuvent apparaître soudainement ou petit à petit. Bien qu’AVC ne rime pas toujours nécessairement avec démence vasculaire, « avec plusieurs AVC, une part suffisamment importante de votre cerveau meurt, de sorte que vous n’avez plus assez de tissus sains pour fonctionner », explique Josef Coresh, qui doit ouvrir un Institut du vieillissement optimal au Centre Langone Health de l’Université de New York en novembre.

Un type de démence fronto-temporale endommage les lobes frontaux du cerveau et modifie la personnalité, le comportement social et la capacité à contrôler ses émotions. Un autre, dû à une détérioration des lobes temporaux (situés de part et d’autre de la tête, près des oreilles) entraîne une perte de vocabulaire, entrave l’élocution et fait oublier la destination des objets de tous les jours. Il peut être d’origine génétique, comme d’autres types de démence, et il peut survenir plus tôt, à la quarantaine ou à la cinquantaine.

Des infections virales telles que l’encéphalite virale, la grippe et l’herpès sont également associées à la démence, ainsi que la consommation excessive d’alcool et ou les lésions cérébrales.

Selon Timothy Rittman, l’inflammation est un facteur. Après l’invasion d’un virus, un AVC ou un coup sur la tête, les cellules immunitaires du cerveau, uniques en leur genre, affluent et tentent de réparer la zone. Elles laissent une cicatrice qui perturbe le fonctionnement normal et interrompt les connexions entre neurones, explique-t-il. « Et c’est peut-être l’inflammation qui pousse ces protéines [présentes dans le cerveau] à changer. »

La perte d’audition, qui affecte la plupart des personnes de plus de 70 ans, peut aussi contribuer à la démence. Certains traitements délivrés sur ordonnance constituent également un risque, notamment ceux servant à soigner les brûlures d’estomac, la dépression, l’incontinence, les symptômes de la maladie de Parkinson et d’autres problèmes de santé.

Pour compliquer encore un peu plus les choses, la recherche a montré que de nombreuses personnes sont atteintes d’une « démence mixte », qui pourrait être déclenchée par plusieurs facteurs. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi les symptômes varient selon les individus.

 

CE QUE NOUS SAVONS ET CE QUE NOUS NE SAVONS PAS

Josef Coresh surnomme le cerveau « la dernière frontière » à cause de sa complexité insurmontable. Il compare son activité à celle du cœur. « Le cœur est un muscle et une plomberie que l’on peut observer. Mais le cerveau est une machine électrochimique [qui fonctionne] à une échelle nanoscopique très fine. Il comporte un gigantesque réseau composé de dizaines de noyaux et de milliards de chemins. »

Nous savons énormément de choses sur ce que font les différentes régions du cerveau et sur les liens qu’elles entretiennent. Selon Josef Coresh, l’étape suivante est de rapporter des changements chimiques à des changements du réseau cérébrale puis à des changements de comportement.

Timothy Rittman remarque que sous le microscope, on aperçoit une accumulation de touffes de protéines à l’intérieur et autour des neurones. « Que font ces protéines ? Aux neurones ? Pour faire décliner la cognition ? demande-t-il. C’est la question à un million en ce qui concerne la démence. »

 

IDENTIFIER LES PERSONNES À RISQUE

Chez les personnes porteuses d’une mutation génétique qui augmente grandement le risque de survenue de la maladie d’Alzheimer ou d’une démence fronto-temporale, des changements dans l’activité du cerveau peuvent apparaître des décennies avant que les premiers symptômes ne se manifestent. Pour savoir si cela valait également pour d’autres groupes, Timothy Rittman et d’autres chercheurs de Cambridge ont analysé des données fournies par U.K. Biobank contenant des informations sur la santé, la génétique, le mode de vie et l’acuité mentale d’un demi-million de participants. Une fois les personnes souffrant de démence mises à part, les tests cognitifs ont montré des signes qui portent à croire que le déclin neurologique peut être observé jusqu’à neuf ans avant le diagnostic.

Josef Coresh et une équipe de l’École de médecine de l’Université Johns-Hopkins se sont associés à l’Institut national du vieillissement et, ensemble, ils ont employé une approche différente de celle de l’équipe britannique. Ils ont examiné le plasma sanguin de près de 11 000 adultes âgés de 45 à 65 ans en espérant y découvrir des liens entre certaines protéines et un risque cognitif. D’après Josef Coresh, ils ont réussi à identifier trente-deux protéines susceptibles d’être découvertes vingt à trente ans avant la manifestation d’une démence. Certaines affectent le processus de maladie vasculaire, provoquent une inflammation toxique pour les cellules nerveuses ou affectent la transmission entre ces dernières.

À l’avenir, ces protéines pourraient servir à dépister les personnes à risque, et pourraient servir d’indicateurs précoces en vue d’un diagnostic et d’une intervention.

 

PRÉVENIR LA DÉMENCE ?

Selon certains experts, bien que des facteurs de risque soient établis, il pourrait être possible de protéger la santé du cerveau et de prévenir la démence grâce aux mêmes habitudes qui permettent d’éviter le cancer, le diabète et les cardiopathies : avoir une alimentation nutritive, faire de l’exercice physique, ne pas fumer, et maintenir sa glycémie et sa tension artérielle sous contrôle.

Une étude qui s’est déroulée sur trois décennies a montré que l’apparition d’hypertension en milieu de vie est corrélée à un risque accru de démence plus tard. « Heureusement, les maladies vasculaires sont largement évitables […] et l’hypertension et le diabète sont soignables », indique Josef Coresh. Il note que « le niveau de démence [par habitant] est en fait en train de chuter aux États-Unis et en Europe, car les gens mènent une vie plus saine. » Selon certaines estimations, sur les trente dernières années, le nombre de cas a chuté de 15 % par décennie.

Timothy Rittman propose une perspective encourageante. « Nous faisons de bons progrès vers une compréhension qui pourrait ensuite conduire à de la prévention et / ou à un traitement », affirme-t-il.

Mais cela n’aide pas ceux qui souffrent actuellement de ces maladies qui bouleversent complètement la vie ; et cela n’aide pas non plus leurs proches. Melissa Toms Minotti a notamment raconté les démêlés de son père avec la démence vasculaire afin de souligner le stress, la peine et l’imprévisibilité que subissent les aidants.

La responsabilité de ses soins a principalement échu à sa mère, à son frère et à sa sœur. Son père oscillait entre des jours où il était relativement cohérent et d’autres où il ne souvenait que de peu de choses. Parfois, son attitude de gentleman à l’ancienne laissait la place à la grossièreté et à des humeurs grincheuses. Des frais de télémarketing sont apparus sur ses relevés bancaires. Il avait supervisé de grands projets de construction mais un jour, il est tombé dans la confusion et était incapable de mesurer l’endroit où accrocher un tableau au mur. « Des choses simples, très simples, se souvient-elle. Chaque changement grignotait un peu plus de terrain, le rendait moins capable de fonctionner. » 

« Nous sommes tous touchés par cela d’une manière ou d’une autre, souligne-t-elle. Chacun a une histoire à raconter. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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