Cancer de la peau : comment expliquer la hausse inquiétante des mélanomes ?

Selon certains spécialistes, « on incite au dépistage précoce de ces mélanomes, ce qui a pour conséquence involontaire les surdiagnostics ».

De Meryl Davids Landau
Publication 13 févr. 2024, 18:06 CET
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Un dermatologue examine des grains de beauté à la recherche d’une coloration ou de bords irréguliers, signes de cancer.

PHOTOGRAPHIE DE MICROGEN IMAGES, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Alors que le nombre de patients atteints d’un mélanome a fortement augmenté au fil des années, le taux moyen de mortalité reste stable, signe d’un surdiagnostic plutôt que d’une épidémie de cancers de la peau.

Chaque année, plus de 15 000 nouveaux cas sont diagnostiqués en France. Le mélanome cutané est même le premier des cancers en termes d’augmentation de fréquence. Chez l’homme, le nombre de cas incidents de mélanome cutané a été multiplié par cinq (+371 %) entre 1990 et 2018. Chez la femme, il a été multiplié par trois (+189 %) entre 1990 et 2018.

Selon les spécialistes, cette augmentation résulte d’un surdiagnostic de ce cancer, et non pas de risques environnementaux accrus ou d’un dépistage plus poussé. Une étude parue récemment dans la revue BMJ Evidence-Based Medicine vient étayer la théorie selon laquelle la plupart des patients reçoivent des diagnostics de mélanome inutilement. Elle suggère qu’il y aurait peu de chances que les cellules cutanées prélevées lors d’une biopsie et paraissant anormales au microscope occasionnent des problèmes de santé actuels ou futurs.

« Beaucoup de personnes ne saisissent pas à quel point il y a un surdiagnostic du mélanome. C’est assez inquiétant », explique Adewole Anderson, auteur principal de l’étude et dermatologue à l’école de médecine Dell de l’université du Texas. « On détecte des tumeurs totalement bénignes. »

En comparant le taux moyen de mortalité au risque de se voir diagnostiquer un mélanome au cours de leur vie, les chercheurs de cette étude - qui se concentrait sur des sujets américains - ont conclu que le surdiagnostic de ce cancer concernait 65 % des femmes blanches et 50 % des hommes blancs. L’étude ne portait que sur des personnes blanches, plus enclines à développer la maladie.

L’étude révèle que la plus grande catégorie de surdiagnostics (plus de 85 %) concernait les grains de beauté les plus fins situés sur la couche supérieure de la peau, connus comme des cancers de stade 0 ou in situ.

Selon une étude publiée il y a plusieurs années, les surdiagnostics constituent l’un des problèmes les plus préjudiciables et coûteux en médecine. Ils donnent lieu à des traitements inutiles qui, outre l’aspect financier, laissent des séquelles. Les patients atteints d’un cancer de la peau peuvent se voir refuser une assurance-vie. Ils vivent aussi souvent en permanence avec le sentiment d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

« Les patients parlent de leur peur de mourir, de s’exposer au soleil, de récidive. Certains prennent des décisions radicales, qu’il s’agisse de se marier ou d’avoir des enfants », rapporte Adewole Anderson. « Nous faisons du mal à un nombre important de personnes. »

 

DES CANCERS QUI N’EN SONT PAS

Les mélanomes sont la forme de cancer de la peau la plus dangereuse, car ils peuvent se propager à l’ensemble du corps s’ils sont à un stade avancé et peuvent, dans un faible pourcentage de cas, être mortels.

Lorsqu’un dermatologue remarque des grains de beauté suspects sur la peau d’un patient, il effectue une biopsie et envoie le prélèvement à un pathologiste, qui observe les cellules à l’aide d’un microscope à fort grossissement. S’il s’avère que celles-ci sont cancéreuses, le patient retourne chez son médecin pour se faire retirer la tumeur et une petite zone autour de cette dernière.

« C’est un acte plus invasif, qui laisse une cicatrice plus importante » qu’un simple prélèvement par biopsie, indique Nicholas Gulati directeur de la clinique pour la détection précoce du cancer de la peau de l’école de médecine Icahn de l’hôpital Mont Sinaï, à New York.

Dans la plupart des cas, le diagnostic d’un mélanome est une question d’appréciation du pathologiste.

« Sous le microscope, tous les systèmes organiques, pas seulement la peau, présentent des caractéristiques qui font penser à un cancer », mais qui n’en sont pas forcément un, précise Earl Glusac, chercheur en dermatologie au Yale Cancer Center, qui avait partagé ses craintes quant au surdiagnostic des mélanomes il y a plus de dix ans.

Dans un article de synthèse, des chercheurs avaient alors conclu que les procédures existantes ne permettaient pas de faire correctement la distinction entre des excroissances cutanées bénignes et malignes. Bon nombre d’entre elles ne présentent aucun danger, comme cela a été documenté dans une étude parue en juin, qui concluait que les personnes souffrant d’un mélanome in situvivent en réalité plus longtemps que celles sans diagnostic, ce qui indique « un dépistage important des maladies à faible risque parmi les patients ».

Pour le chercheur en dermatologie, l’augmentation des surdiagnostics de mélanomes de stade précoce s’explique par la hausse du nombre de personnes qui réalisent un dépistage des cancers de la peau. Plus il y a de grains de beauté à examiner, plus ces derniers sont nombreux à tomber dans la « zone grise ». À cela s’ajoute aussi, sans que l’on sache vraiment pourquoi, le changement de la taille des grains de beauté faisant l’objet d’une biopsie. Alors que les dermatologues n’effectuaient auparavant des prélèvements que pour les grains de beauté de la taille d’une pièce de dix centimes minimum, ils réalisent désormais des tests pour ceux ne mesurant qu’un cinquième de cette taille.

Earl Glusac attire également l’attention sur le fait que les pathologistes, afin de se protéger en cas de faute professionnelle, identifient des lésions précoces comme des mélanomes. Ce type de cancer est l’un de ceux qui font l’objet du plus grand nombre de poursuites.

« Aucun dermatologue ne veut voir quelqu’un présentant une excroissance qui pourrait être un mélanome ressortir de leur cabinet sans qu’un prélèvement ait été effectué », ajoute le chercheur en dermatologie. « Et aucun pathologiste ne veut passer à côté d’un mélanome, car le patient pourrait mourir de cette erreur. »

 

UNE FRÉQUENCE DE DÉPISTAGE QUI VARIE

Aucun essai clinique n’a été réalisé pour documenter l’efficacité du dépistage pour la détection de cancers précoces chez l’ensemble des patients. En avril dernier, un groupe de spécialistes de l’U.S. Preventive Services Task Force s’est prononcé contre le dépistage régulier du cancer de la peau pour tous.

Pourtant, certaines organisations comme la Skin Cancer Foundation préconisent des dépistages annuels. Composée de professionnels de la santé, l’American Academy of Dermatology, n’a pas pris position sur la question, mais encourage ses membres à effectuer des dépistages périodiques parmi la population.

Les médecins sont d’accord sur un point : il faut s’examiner régulièrement et consulter un dermatologue uniquement lorsque des grains de beauté apparaissent, changent d’apparence, démangent ou saignent. Faire une biopsie de ces excroissances est essentiel, car le médecin ne peut pas dire s’il s’agit d’un cancer invasif juste en les regardant, souligne Nicholas Gulati.

Pour Adewole Anderson, les dermatologues doivent être honnêtes avec leurs patients quant au manque de connaissances sur l’efficacité des dépistages complets. Il souhaite également que soit réalisé un essai clinique à grande échelle à long terme, qui suit des patients qui se font dépister et d’autres qui ne le font pas afin de déterminer si cette procédure présente des avantages pour la santé dans le diagnostic et le retrait des cancers de stade 0.

« Nous ne devrions pas faire la promotion du dépistage du mélanome chez des personnes qui n’en présentent aucun symptôme », estime-t-il. « On incite au dépistage précoce de ces mélanomes, ce qui a pour conséquence involontaire les surdiagnostics. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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