National Geographic identifie un cinquième océan terrestre

Le 8 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des océans, les cartographes de National Geographic ont annoncé que le courant rapide qui entoure l’Antarctique distingue les eaux de cette région. Elles méritent donc leur propre nom : l’océan Austral.

De Sarah Gibbens
Publication 10 juin 2021, 10:17 CEST
fifth-ocean

Le détroit de Gerlache se trouve au large de la côte ouest de la péninsule Antarctique, au sein de la grande bande d’océan qui entoure l’Antarctique. Elle a été reclassée sous le nom d’océan Austral par les cartographes de National Geographic. Le détroit était autrefois considéré comme faisant partie du Pacifique.

PHOTOGRAPHIE DE Jasper Doest, Nat Geo Image Collection

Ceux qui connaissent l’océan Austral, cette masse d’eau qui encercle l’Antarctique, savent qu’il n’est semblable à aucun autre.

« Toute personne qui y est allée aura du mal à expliquer pourquoi il est si fascinant mais tout le monde s’accorde à dire que les glaciers y sont plus bleus, l’air plus froid, les montagnes plus intimidantes et les paysages plus captivants qu’ailleurs », assure Seth Sykora-Bodie, spécialiste des sciences marines à l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA en anglais) et explorateur National Geographic.

Depuis que National Geographic a commencé à publier des cartes en 1915, il a reconnu quatre océans : l’Atlantique, le Pacifique, l’océan Indien et l’océan Arctique. Depuis le 8 juin 2021, Journée mondiale des océans, l'institution reconnaît l’océan Austral comme le cinquième océan de notre planète.

« L’océan Austral est reconnu depuis longtemps par les scientifiques mais puisqu’aucun accord international n’a jamais été trouvé, nous ne l’avions jamais reconnu officiellement », explique Alex Tait, géographe pour la National Geographic Society.

Les géographes ont longtemps débattu pour déterminer si les eaux qui entourent l’Antarctique possédaient suffisamment de caractéristiques uniques pour mériter une dénomination propre. Ils hésitaient sur le fait qu’elles ne soient que de simples extensions froides des océans Pacifique, Atlantique et Indien.

« D’une certaine manière, c’est un peu de la géographie de pointe », déclare M. Tait. Avec le comité d’orientation des cartes de la National Geographic Society, ils envisageaient ce changement depuis des années. En effet, les scientifiques et la presse utilisaient de plus en plus le terme océan Austral.

Cette modification s’aligne avec l’initiative de la Society qui vise à préserver les océans terrestres et à attirer l’attention du public sur une région dont les besoins en conservation sont particulièrement élevés.

« Nous l’avons toujours classifié mais nous l’avions étiqueté un peu différemment [des autres océans] », explique M. Tait. « Ce changement était l’ultime étape pour affirmer que nous souhaitions le reconnaître au vu de son écologie singulière. »

La biologiste marine et exploratrice National Geographic Sylvia Earle a salué cette mise à jour cartographique.

« Bien qu’il n’existe qu’un seul océan interconnecté, bravo à National Geographic d'avoir officiellement reconnu l’étendue d’eau entourant l’Antarctique comme étant l’océan Austral », a écrit Mme Earle par e-mail. « Bordé par le très rapide courant circumpolaire antarctique, c’est le seul océan à en toucher trois autres et à envelopper complètement un continent plutôt que d’en être entouré. »

 

UN OCÉAN DÉFINI PAR SES COURANTS

Alors que les autres océans sont définis par les continents qui les encerclent, l’océan Austral, lui, est défini par un courant.

Les scientifiques estiment que le courant circumpolaire antarctique (CCA) est issu de l’ouverture entre l’Antarctique et l’Amérique du Sud survenue il y a près de 34 millions d’années. Ainsi, l’eau a pu s’écouler sans obstacle jusqu’au pôle le plus au sud de la Terre.

Le CCA s’écoule d’est en ouest autour de l’Antarctique, au sein d’une bande fluctuante centrée autour d’une latitude de 60° sud. Cette ligne est désormais considérée comme la frontière nord de l’océan Austral. Au sein du CCA, les eaux sont plus froides et légèrement moins salées que celles au nord.

La Journée mondiale de l'océan

Ce circumpolaire s’étend de la surface jusqu’au plancher océanique. Il transporte davantage d’eau que tout autre courant océanique dans le monde. Il achemine les eaux des océans Atlantique, Pacifique et Indien. Il contribue au système de circulation mondial appelé circulation thermohaline, lequel permet de transporter la chaleur autour du globe. Les eaux denses et froides qui sombrent dans les fonds marins au large de l’Antarctique aident également à stocker le carbone dans l’océan profond. Par ces deux procédés, l’impact de l’océan Austral sur le climat de la planète est crucial.

Les scientifiques étudient actuellement les conséquences du changement climatique induit par les Hommes sur l’océan Austral. Ils ont pu déterminer que les eaux des océans qui passent dans le CCA se réchauffent. Toutefois, les impacts sur l’Antarctique ne sont pas encore bien clairs. Certaines des fontes les plus rapides de la calotte et des plateformes glaciaires ont été observées là où le CCA passe le plus proche de la surface terrestre.

 

UN ENVIRONNEMENT UNIQUE

Pour le moment, en enfermant les eaux glaciales du sud, le CCA contribue à maintenir le froid de l’Antarctique et l’écologie distincte de l’océan Austral. Des centaines d’espèces sont endémiques à cette région.

L’océan Austral « englobe des écosystèmes marins uniques et fragiles qui abritent une faune marine merveilleuse, notamment les baleines, les pingouins et les phoques », note Enric Sala, explorateur National Geographic.

En outre, l’océan Austral affecte d’autres régions du monde. Les baleines à bosse, par exemple, se nourrissent de krill au large de l’Antarctique. Ensuite, elles migrent loin au nord pour hiverner, au sein d’écosystèmes très différents, cette fois-ci au large de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale. Certains oiseaux marins migrent également dans les deux sens.

En attirant l’attention sur l’océan Austral, la National Geographic Society espère sensibiliser sur sa conservation.

Les impacts de la pêche industrielle sur des espèces telles que le krill (Euphosiacea) ou la légine australe (Dissostichus eleginoides), commercialisée sous le nom de bar chilien, inquiètent les scientifiques depuis de nombreuses années. En 1982, des limitations sur le nombre de prises ont été imposées dans la région. En 2016, la plus vaste aire marine protégée (AMP) du monde a été désignée au sein de la mer de Ross, au large de l’Antarctique occidental. De nombreuses organisations s’efforcent de mettre en place davantage d’AMP afin de protéger les zones d’alimentation les plus essentielles de l’océan Austral, par exemple au large de la péninsule antarctique. 

« Beaucoup de nations dans le monde soutiennent la protection de certaines de ces aires face à la pêche industrielle », affirme M. Sala.

 

CARTOGRAPHIER LE MONDE TEL QU’IL EST

Depuis la fin des années 1970, la National Geographic Society emploie un géographe qui supervise les changements et les ajustements apportés à chaque carte publiée. Alex Tait occupe ce poste depuis 2016.

Il explique qu’il adopte une approche journalistique pour superviser ce processus. Pour lui, il faut rester au fait de l’actualité et de savoir qui contrôle les différentes régions du monde.

« C’est important de garder en tête qu’il s’agit d’une politique cartographique et non la position de National Geographic sur les différents conflits [géopolitiques] », assure-t-il. Par exemple, selon les cartes de National Geographic, les îles Falkland sont contrôlées par le Royaume-Uni, bien que l’Argentine les revendique également. Pour les zones contestées, M. Tait travaille en collaboration avec une équipe de géographes et d’éditeurs afin de déterminer la disposition qui représente au mieux une région donnée.

Des changements mineurs ont lieu toutes les semaines voire toutes les deux semaines. Les modifications majeures, comme la dénomination de l’océan Austral, sont plus rares.

D'une manière générale National Geographic a suivi l’Organisation hydrographique internationale (OHI) pour les noms marins. Même si elle n’est pas directement responsable de l’attribution des noms, l’OHI collabore avec le Groupe d’experts des Nations unies pour les noms géographiques afin d’apporter une homogénéisation des dénominations à l’échelle internationale. Dans ses directives de 1937, l’OHI a reconnu l’océan Austral mais a finalement rejeté cette appellation en 1953, pour cause de controverses. Depuis, elle a délibéré sur la question, mais n’a pas encore reçu l’accord de l’ensemble de ses membres pour rétablir le nom d’océan Austral.

En revanche, le U.S. Board on Geographic Names utilise cette dénomination depuis 1999. En février, la NOAA a officiellement reconnu l’océan Austral comme une entité distincte.

Selon M. Tait, cette nouvelle politique de National Geographic aura un impact sur la façon dont les enfants apprennent à voir le monde au travers des cartes qu’ils utilisent à l’école.

« Je pense que l’un des plus grands impacts se fait à travers l’éducation. Les élèves assimilent des informations sur le monde océanique grâce aux océans qu’ils étudient. Si l’océan Austral n’est pas inclus, alors il n’est pas possible de connaître ses spécificités et de se rendre compte de son importance. »

 

La National Geographic Society s’est engagée à mettre en lumière et à protéger les merveilles de notre monde. Elle a financé le travail des explorateurs Sylvia Earle, Enric Sala et Seth Sykora-Bodie. Pour en apprendre plus sur le soutien que la Society apporte aux explorateurs marins, cliquez ici.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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