Perdre du poids permet-il d'être en meilleure santé ? Pas forcément.

« La société part du principe erroné qu’un poids élevé est synonyme de mauvaise santé ». Or il serait préférable de s’intéresser davantage à nos comportements et habitudes alimentaires et sportives, plutôt que se limiter à la perte de poids.

De Meryl Davids Landau
Publication 6 avr. 2023, 10:25 CEST
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Lors d'un programme obligatoire d'amaigrissement et de remise en forme, un agent de police malaisien prend une pause pour essuyer la sueur de son visage.

PHOTOGRAPHIE DE Manan Vatsyayana, AFP, Getty Images

Nous l’entendons souvent : pour être en meilleure santé, il faudrait absolument se débarrasser de nos « kilos en trop ». C’est une croyance répandue, mais qui n’est pas étayée par la science.

Les problèmes engendrés par cette croyance ne sont pas seulement théoriques. Le mécontentement à l’égard du poids est si répandu dans notre société qu’il est considéré par les spécialistes comme un problème de santé mentale, et ce à l’échelle mondiale. Une étude publiée en février a révélé que 30 % des jeunes filles dans le monde admettaient avoir des croyances et habitudes malsaines liées à l’alimentation, telles que des troubles du comportement alimentaire. Par ailleurs, de plus en plus de personnes pratiquent un régime dans l’objectif de perdre du poids. Des rapports récents viennent cependant suggérer que le fait d’appliquer certains changements liés au mode de vie, en intégrant par exemple davantage d’activité physique, serait plus bénéfique pour la santé que le simple fait de mincir.

« Aucune preuve solide ne permet d’affirmer qu’une surcharge pondérale entraîne automatiquement une détérioration de la santé, ou à l’inverse, qu’une perte de poids entraîne une amélioration de la santé », argue Jeffrey Hunger, professeur adjoint de psychologie à l’Université Miami dans l’Ohio qui, au fil de ses recherches et analyses de données, a conclu que les politiques de santé publique devaient cesser de mettre autant l’accent sur le poids des citoyens et citoyennes. « La société part du principe erroné qu’un poids élevé est synonyme de mauvaise santé », et ce message est soutenu par les gouvernements, les organisations médicales et les médias.

Katherine Flegal, scientifique de la nutrition qui a longtemps travaillé pour les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) des États-Unis, ajoute que la déclaration de consensus sur la perte de poids du groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) ne mentionne que très peu les bienfaits de la perte de poids sur la santé. Bien que les experts du groupe recommandent des interventions comportementales intensives pour les adultes dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur ou égal à 30 (le seuil actuel de l’obésité), le résumé des résultats de recherche précise que « aucune preuve » n’indique que la perte de poids peut bel et bien réduire le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer ou de décès.

Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de trouver des preuves. L’une des études les plus importantes sur le lien entre la perte de poids et la réduction du risque d’affections cardiovasculaires n’a pas abouti à des résultats concluants. L’essai clinique de dix ans, mené dans 16 centres au début des années 2000, était financé par les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis et portait sur plus de 5 000 personnes en surpoids souffrant de diabète de type 2. Les participants sélectionnés pour l’intervention intensive sur le mode de vie, qui visait à réduire les calories ingérées et augmenter l’activité physique, ont effectivement perdu 6 % de graisse corporelle, contre 3,5 % pour le groupe de contrôle. Cette perte de poids ne s’est toutefois pas traduite par une diminution des incidents cardiovasculaires.

Selon deux études publiées récemment, certains comportements seraient toutefois capables d’entraîner une réelle amélioration de la santé et de la longévité. La première étude établit un lien solide entre un régime alimentaire plus sain et plus végétal et une réduction des taux de cancers, de maladies cardiovasculaires et de décès. La seconde révèle quant à elle que les personnes qui font au moins 8 000 pas par jour, plusieurs fois par semaine, voient leur espérance de vie augmenter de dix ans en moyenne.

Malgré ces données, dans notre culture occidentale contemporaine, un poids élevé est aujourd’hui encore perçu comme « terrible et dangereux », déplore Flegal. La scientifique a été la cible de nombreuses critiques en 2005 après la publication d’un article pour les CDC qui démontrait que l’obésité (y compris l’obésité sévère) n’était responsable que de 5 % de la surmortalité : un chiffre bien inférieur aux estimations antérieures. Ses recherches allaient jusqu’à suggérer que le taux de décès était légèrement inférieur chez les personnes en surpoids (mais pas obèses) que chez celles qui affichaient un poids dit « normal ».

Bien qu’approuvés par les CDC, les résultats des recherches de Flegal et ses collègues ont été vivement critiqués.

 

L’IMC N’EST PAS UN INDICATEUR FIABLE DE BONNE SANTÉ

Selon les mesures actuelles, un poids est « normal » si l’IMC se situe entre 18 et 25. On parle de surpoids si l’IMC est fixé entre 25 à 30, et d’obésité s’il est supérieur ou égal à 30. Certains spécialistes estiment toutefois que ces limites, qui permettent de déterminer si un poids peut être considéré comme normal, devraient être réévaluées.

En effet, les mesures de ce type ont commencé à être fixées de manière quelque peu arbitraire dès les années 1980, explique Flegal. Dans ses calculs, l’Institut national de la santé des États-Unis s’était par exemple basé sur le poids moyen des personnes âgées de 20 à 30 ans, une tranche d’âge qui n’est pas représentative de l’ensemble de la population.

Il est vrai que le poids moyen de la population est en augmentation. Bien que les causes de ce phénomène ne soient pas bien comprises, elles sont probablement liées à des facteurs génétiques, socio-économiques et environnementaux, mais aussi comportementaux.

Pour la scientifique, ces mesures arbitraires sont donc dérangeantes. Si nous les suivons, nous pouvons officiellement « être soudainement atteints de cette maladie » simplement parce que nous franchissons une limite de poids, alors que d’autres troubles médicaux nécessitent une évaluation minutieuse par un médecin, bien souvent complétée d’analyses de sang et d’examens d’imagerie, avant de pouvoir arriver à un diagnostic.

Utiliser le poids comme un indicateur de bonne santé ne fait pas du tort qu’aux personnes en surpoids, mais à tout le monde, avertit Hunger. Après avoir analysé les données de plus de 40 000 participants à l’enquête nutritionnelle annuelle du gouvernement américain, le scientifique et ses collègues ont constaté que près de 50 % des personnes en surpoids et 29 % des personnes obèses présentaient de nombreux marqueurs de bonne santé (les niveaux de tension artérielle et de cholestérol, par exemple). En revanche, 30 % des personnes affichant un poids « normal » ne présentaient pas de tels marqueurs. Ces constatations impliquent que notre perception de la santé physique n’est pas aussi fiable que nous avons tendance à le penser.

Les personnes qui présentent un poids élevé mais qui n’ont pas de problème de santé (on parle alors d’obésité « métaboliquement saine ») sont souvent plus actives physiquement, et sont dotées de meilleures aptitudes cardiorespiratoires, ont révélé les scientifiques dans un compte-rendu publié l’année dernière dans la revue BMJ Open Sport & Exercise Medicine. « Compte tenu des multiples avantages de l’activité physique, il est grand temps de préconiser ce mode de vie au-delà de l’influence qu’il peut avoir sur [le poids]. »

 

LA PERTE DE POIDS N'EST PAS LA CLÉ D'UNE BONNE SANTÉ

Une perte de poids peut présenter des bienfaits indéniables pour la santé des personnes très corpulentes. Patty Nece, qui souffre d’obésité sévère et préside le groupe de défense des patients Obesity Action Coalition, soutenu par l’industrie pharmaceutique, affirme que l’arthrose de ses genoux s’aggrave lorsque son poids augmente. Des recherches ont également montré que l’apnée du sommeil pouvait être liée à un poids plus élevé, et que les personnes dont l’IMC est supérieur à 40 avaient davantage de risques de subir des complications après une opération de remplacement de la hanche.

Les études sur les régimes alimentaires, qui se déroulent sur de longues périodes, n’ont toutefois pas établi de lien entre une perte de poids conséquente et durable et des améliorations significatives de la tension artérielle, du cholestérol, des triglycérides et d’autres marqueurs de bonne santé, comme l’ont indiqué des chercheurs dans la revue Social and Personality Psychology Compass.

Selon la psychologue Traci Mann, directrice du Health and Eating Lab de l’Université du Minnesota et co-autrice de l’étude, cela s’explique notamment par le fait que, bien que de nombreuses personnes qui suivent un régime perdent du poids à court terme, la grande majorité d’entre elles reprennent du poids dans l’année suivante. « C’est un modèle prévisible », soutient-elle. Une étude, qui examinait plus de 150 000 personnes en surpoids sur une période de dix ans, a démontré que la probabilité qu’une personne présentant un IMC supérieur à 30 atteigne un poids « normal » était de seulement 1 sur 100 environ.

La biologie et la complexité de la physiologie humaine sont en cause. « Lorsque notre corps détecte une famine, il met en place toutes les adaptations nécessaires pour nous aider à survivre », explique Mann. Le métabolisme change pour pouvoir fonctionner avec moins de calories. Pendant ce temps, le cerveau veille à mettre la priorité sur la recherche de nourriture, un processus facilité par les hormones de l’appétit comme la ghréline, dont la production ralentit habituellement après un repas, mais reste élevée chez les personnes qui suivent un régime.

Ces adaptations sont importantes pour les personnes qui sont réellement affamées, mais peuvent rendre la vie difficile aux personnes qui espèrent perdre du poids. « Même si l’on n’ingère que très peu de calories, on commence à reprendre du poids, ce qui donne l’impression que l’on manque de volonté », poursuit Mann. C’est ce qui est arrivé à Patty Nece : durant son régime, elle ne mangeait que 900 calories par jour et faisait de l’exercice régulièrement, mais « mon poids continuait d’augmenter ».

Des études proposent également que les taux de glucose dans le sang seraient liés à la perte de poids. Le Diabetes Prevention Program, lancé à la fin des années 1990, demandait par exemple à ses participants atteints de prédiabète de perdre 7 % de leur poids corporel en limitant leur consommation de calories et en faisant 150 minutes d’exercice par semaine. En dix ans, ces interventions ont permis de retarder le développement du diabète de 34 % par rapport au groupe de contrôle, ce qui a conduit l’American Diabetes Association à recommander ces comportements à toutes les personnes atteintes de prédiabète.

Mann et d’autres chercheurs estiment toutefois qu’il est plus probable que cette amélioration ait été le résultat de l’augmentation de l’activité physique, plutôt que de la perte de quelques kilos. « L’importance de l’exercice physique a été sous-estimée dans cette étude », affirme-t-elle.

Récemment, après avoir analysé les données relatives au diabète, des chercheurs de l’Université Northwestern ont invité les professionnels de santé à commencer les dépistages de la maladie chez tous les adultes âgés de 35 à 70 ans, quel que soit leur poids. Le dépistage n’est actuellement recommandé qu’aux personnes en surpoids et qui sont âgées de plus de 45 ans.

Selon A. Janet Tomiyama, professeure de psychologie à l’Université de Californie à Los Angeles et co-autrice de l’étude Social and Personality Psychology Compass, il serait préférable d’ignorer le nombre indiqué sur nos balances et de s’intéresser davantage à nos comportements et habitudes, plutôt que se limiter à la perte de poids.

« Bouger plus, faire de bonnes nuits de sommeil, ajouter un fruit ou un légume à son repas, gérer son stress : voilà des méthodes qui peuvent nous permettre à tous d’être en meilleure santé, quel que soit notre poids », et même si elles ne nous rendent pas plus minces.

Ces comportements ne sont pas qualifiés de « sains » sans raison. « Ils nous permettent d’être en meilleure santé », reprend Mann. « L’exercice n’est pas bon pour la santé juste parce qu’il nous fait maigrir. Ce n’est pas parce que l’on ne perd pas de poids que les bienfaits pour notre santé n’existent pas. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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