Comment scroller à l'infini affecte votre cerveau

La pluie d'images explicites, de scandales et de mauvaises nouvelles ne se contente pas de nous contrarier, elle altère notre réponse au stress et nuit à notre santé mentale.

De Julia Ries Wexler
Publication 15 sept. 2025, 10:47 CEST
L'amygdale (en orange) agit comme un système d'alarme dans notre cerveau : en présence de danger, elle ...

L'amygdale (en orange) agit comme un système d'alarme dans notre cerveau : en présence de danger, elle envoie des signaux de détresse à l'hypothalamus. Cependant, lorsque ces signaux sont émis à répétition, notamment en cas d'exposition constante à de mauvaises nouvelles, le cerveau n’a plus le temps de récupérer et de reprendre le contrôle.

ILLUSTRATION DE Kateryna Son, SCIENCE PHOTO LIBRARY

La première fois que Roxane Cohen Silver a constaté l'impact psychologique négatif des médias, c'était en 1999. Elle s'était rendue à Littleton, dans le Colorado, pour mener des recherches sur la fusillade de Columbine et avait observé une tendance alarmante : les parents et les élèves du lycée frappé par la fusillade avaient, pour la plupart, bien du mal à affronter les journalistes qui les interrogeaient et les filmaient, quelques heures à peine après la tragédie.

Quelques années plus tard, c'est avec les attaques du 11 septembre 2001 que la professeure de psychologie, médecine et santé publique au sein de l'université d'État de Californie, à Irvine, a commencé à réaliser à quel point les médias pouvaient être néfastes. Après avoir suivi plusieurs sujets pendant trois ans, elle a découvert que plus ces personnes se tenaient informées au sujet des attaques terroristes, plus elles étaient susceptibles de signaler des problèmes de santé mentale et physique au fil du temps.

Vingt ans plus tard, il est désormais clair que les cascades de mauvaises nouvelles peuvent perturber la réponse au stress de notre organisme et entraîner une série de problèmes psychologiques dans les jours, les semaines, les mois et même les années qui suivent. Voici les mécanismes à l'œuvre derrière ce phénomène.

 

L'ACTUALITÉ STIMULE VOTRE RÉPONSE AU STRESS

L'humain est conditionné pour rester attentif aux menaces, indique E. Alison Holman, psychologue et collègue de Roxane Cohen Silver à l'UC Irvine. Quelques milliers d'années en arrière, cette vigilance nous permettait de survivre face à des prédateurs comme les ours ou les lions des montagnes. De nos jours, ce même instinct est stimulé par les gros titres sensationnels.

Lorsque vous percevez une menace, qu'elle soit réelle ou à travers un écran, votre réponse combat-fuite s'active et votre organisme libère du cortisol et de l'adrénaline, deux hormones qui vous fournissent l'énergie et l'acuité mentale nécessaires pour affronter ladite menace.

Une fois la menace disparue, votre corps retourne à la normale. En cas d'exposition répétée, le système reste activé en permanence, nous explique Sara Jo Nixon, professeure de psychiatrie et de psychologie à l'University of Florida College of Medicine. Avec le temps, cette activation permanente use le mécanisme et perturbe à la fois la réponse au stress et le système de récompense du cerveau.

Les effets se font ressentir dans notre vie quotidienne. Nous perdons de l'intérêt pour ce qui nous procurait du plaisir, comme nos loisirs ou nos amis, poursuit Nixon, et nous nous sentons progressivement plus fatigués, désespérés, anxieux. « Cela peut grandement affecter votre qualité de vie et vos capacités fonctionnelles », indique la scientifique.

 

DE L'ÉCRAN AUX SYMPTÔMES DE STRESS POST-TRAUMATIQUE

Après son étude sur le 11 septembre, Roxane Cohen Silver s'est intéressée aux effets de l'attentat à la bombe du marathon de Boston en 2013. Entretemps, les réseaux sociaux s'étaient démocratisés et les images gores de membres arrachés avaient soudainement fait irruption dans l'esprit de la population. « On n'avait jamais vu cela auparavant », se souvient Roxane Cohen Silver. Contrairement aux journaux et aux bulletins d'information traditionnels, le contenu partagé sur les réseaux sociaux est rarement inquiété par une quelconque ligne éditoriale. En d'autres termes, tout y passe.

En étudiant cet attentat à la bombe, Roxane Cohen Silver et E. Alison Holman ont découvert deux tendances majeures. Premièrement, les personnes exposées à ces images violentes étaient plus susceptibles de signaler des symptômes de stress post-traumatique, comme des cauchemars, une hypervigilance ou un émoussement affectif, dans les six mois suivant le drame.

Deuxièmement, les individus qui avaient consommé plus de six heures de média par jour signalaient davantage de symptômes psychologiques aigus, comme des rêves indésirables, des troubles du sommeil ou des souvenirs intrusifs, que les personnes présentes lors de l'événement. « C'est ce qui nous a le plus frappé dans ces découvertes : les personnes qui étaient sur le site de l'attentat présentaient un stress inférieur à celles qui avaient consommé une quantité excessive de médias », indique Holman.

Les études menées sur d'autres événements dramatiques, comme la pandémie de COVID-19, la violence raciale, les ouragans, les épidémies du virus Ebola ou le tsunami au Japon, ont également constaté que lorsque des individus étaient exposés à des nouvelles bouleversantes, leur niveau de stress grimpait en flèche et leur bien-être en souffrait, à la fois sur l'instant et ultérieurement.

L'exposition répétée plonge également le cerveau dans une boucle de rumination, comme l'ont constaté Roxane Cohen Silver et son équipe. Chaque titre ou image difficile réactive le trauma et force le cerveau à vivre et revivre la même séquence. Pour ceux qui ont vu la bombe exploser, l'événement traumatisant a pris fin en quittant la scène. Pour ceux qui ont vécu en boucle la scène à travers leurs écrans, le traumatisme ne s'est jamais arrêté.

 

PIÉGÉS PAR UN FLOT CONSTANT DE MAUVAISES NOUVELLES

Après l'attentat à la bombe du marathon de Boston, une question intriguait Roxane Cohen Silver : qui est le plus susceptible de se tourner vers les médias pendant un événement traumatique ? Pour y répondre, elle a étudié la fusillade du 12 juin 2016 à Orlando, en Floride, qui avait frappé la boîte de nuit le Pulse. Leurs résultats ont révélé l'existence d'un cercle vicieux : une personne voit une histoire bouleversante, ressent du stress, clique sur d'autres titres similaires et ressent encore plus de stress, résume Roxane Cohen Silver.

De manière générale, ce cercle affecte tout le monde, mais le risque d'être absorbé est encore plus grand pour les personnes qui s'identifient aux victimes ou sont déjà sujettes à la peur et à l'anxiété. Par la suite, avec l'intention d'atténuer leur anxiété, ces personnes deviennent hyper-vigilantes face aux potentielles menaces. « Vous commencez à vous inquiéter en permanence des malheurs qui pourraient survenir à nouveau », indique E. Alison Holman.

Cela augmente la probabilité d'aller directement trouver refuge dans les médias lors de la prochaine catastrophe et d'être à nouveau aspiré dans le cycle, reprend Roxane Cohen Silver. « C'est un cycle dont il est presque impossible de s'échapper », déclare-t-elle. Vous le connaissez peut-être sous le nom de doomscrolling, ou de défilement anxiogène dans sa version française.

 

ACCUMULATION DE STRESS

Depuis le début des recherches de Roxane Cohen Silver, le paysage médiatique s'est transformé. De nos jours, un flot constant d'informations défile sur nos téléphones, délivrant à toute heure son lot de mauvaises nouvelles. Sur les réseaux sociaux, les images se montrent plus explicites que jamais, indique E. Alison Holman, et les algorithmes veillent à nous exposer toujours plus au même contenu.

L'année 2020 nous a montré tout le mal que pouvaient infliger les cycles sans fin de mauvaises nouvelles. Il y a eu la pandémie, une récession économique, des émeutes raciales et des catastrophes climatiques. Les dernières années n'ont pas été bien différentes : les guerres à Gaza et en Ukraine, l'instabilité politique, les inondations et les ouragans ont piégé les audiences dans une série de crises interminable.

« Lorsque les événements se produisent à la chaîne, votre corps n'a plus le temps de reprendre le contrôle », déclare E. Alison Holman. Les preuves sont indéniables, cette diffusion de traumatismes multiples à travers une multitude de plateformes nuit à notre bien-être psychologique.

 

COMMENT CONSOMMER RAISONNABLEMENT L'ACTUALITÉ

Naviguer dans l'actualité sans se laisser submerger peut sembler impossible, mais les chercheurs donnent quelques pistes simples pour affronter l'agitation en toute sérénité.

E. Alison Holman recommande tout d'abord de prendre une grande inspiration avant de dégainer son téléphone ou d'allumer la télévision. Soyez attentifs à vos émotions. Puis, alors que l'information défile sous vos yeux, continuez à respirer profondément, cela vous aidera à rester détendu et connecté à votre corps pour mieux détecter ses réactions. Si votre corps se tend, votre rythme cardiaque s'accélère ou vos épaules se resserrent, faites une pause. Ces signes indiquent que l'actualité déclenche votre réaction au stress et qu'il est temps de prendre ses distances.

Le seuil est différent pour chacun de nous ; certains peuvent endurer 15 à 20 minutes de défilement, alors que d'autres ne dépassent pas les cinq minutes. « Vous devez établir votre propre seuil », indique E. Alison Holman. Évitez de fureter sur votre téléphone pendant la journée, ajoute-t-elle. Choisissez plutôt un ou deux créneaux pour consulter l'actualité et utilisez un minuteur. « Votre corps et votre cerveau ont besoin de pauses », recommande Nixon.

Enfin, suivez l'exemple donné par Roxane Cohen Silver, qui évite à tout prix les images explicites, car elle ne connaît que trop bien leurs effets destructeurs. Par exemple, lorsqu'elle lit un article sur Gaza, elle cache de sa main les images bouleversantes. De cette façon, elle se tient à la page de l'actualité internationale tout en se protégeant de son impact psychologique. « Je prends mes recherches très au sérieux dans ma vie personnelle », conclut-elle.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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