Trouver le "flow" : comment aider ses enfants à s'épanouir ?
Avez-vous déjà entendu parler du "flow" ? Les experts affirment que cet état d’immersion totale dans une tâche ou une activité présente de grands bénéfices pour la santé mentale des enfants.

Lorsque les enfants disposent de temps ininterrompu pour poursuivre leurs passions, comme jouer de la guitare, ils peuvent entrer dans ce qu’on appelle un « état de flow ». Les experts affirment que cet état d’immersion totale dans une activité peut aider les enfants à s’épanouir.
Pour Emme, sept ans, tout tourne autour des dragons.
Pendant la pandémie de COVID-19, Emme s’ennuyait, un sentiment qu’elle exprimait librement et fréquemment. « Une fois qu’elle a découvert les dragons, c’est comme si elle reprenait vie » se souvient Lizzie Goodman, sa mère. Emme disparaissait dans sa chambre pendant des heures, créant une encyclopédie des créatures, pleine d’histoires détaillées et de diagrammes anatomiques. « Je lui disais de monter s’habiller, et ensuite elle se laissait aspirer par ce jeu », rit Lizzie. « Et je devais la sortir de là et lui dire : "Allez, reviens." »
Avant de découvrir les dragons, Emme était probablement en proie à une forme de profonde langueur.
« Vous n'êtes pas déprimé », clarifie Jeffrey Froh, professeur de psychologie à l’université Hofstra, « mais tout ne va pas de manière optimale. »
Selon les psychologues, les gens s’épanouissent quand ils se sentent engagés dans leur vie quotidienne, entretiennent des relations avec les autres et poursuivent des objectifs leur procurant un sentiment d’accomplissement et de maîtrise. L’incertitude et la peur ont également contribué à cette forme singulière de langueur chez les enfants. « Notre sentiment de menace et de sécurité est simplement en surchauffe », estime Jeffrey Froh, rendant difficile la poursuite de quoi que ce soit de stimulant.
Mais comme l’a découvert Emme, il existe un antidote : le « flow ». C’est l'état dans lequel on se trouve lorsque l'on est immergé dans une tâche ou une activité, avec de nombreuses caractéristiques propices à l’épanouissement. Les enfants qui l'expérimentent sont entièrement absorbés par ce qu’ils font, au point d’en perdre la notion du temps ou même de leurs besoins physiques comme manger ou dormir.
« Nous avons tous un désir inné de nous épanouir », note Jeffrey Froh. « Et encourager cet état là chez nos enfants les aide à poursuivre et atteindre leur potentiel. »
LA SCIENCE DU FLOW
Alors, que se passe-t-il dans le cerveau de quelqu’un en état de flow ? Beaucoup de choses, et le résumer demeure complexe.
Charles Limb, chirurgien et neuroscientifique à l’université de San Francisco, a étudié l’activité neuronale de musiciens de jazz jouant du piano et a constaté que « de larges zones du cortex préfrontal [associées à l’auto-surveillance] se désactivent quand ils improvisent. » Dans le même temps, les régions cérébrales responsables du traitement sensoriel et moteur semblent augmenter [leur activité] lors de tâches créatives. Des schémas similaires ont été observés chez des rappeurs, des comédiens et des caricaturistes capables d'improviser en permanence.
En résumé, les imageries cérébrales montrent que lorsqu’une personne est immergée dans une activité en flow, sa conscience de soi disparaît, mais sa conscience de l’activité s’intensifie. Une danseuse, par exemple, ne ressent peut‑être plus ses muscles, mais elle est hyper‑attentive à la musique qui dirige ses mouvements.
Cela pourrait-il s’appliquer aux enfants ? Charles Limb suppose qu’il existe différents niveaux d’états de flow selon l’activité et l’expertise de l’individu, par exemple un enfant aimant dessiner comparé à un artiste professionnel. Lors d’une étude en cours, l’équipe de Charles Limb a examiné l’activité cérébrale d’enfants non formés musicalement âgés de neuf à onze ans pendant un jeu improvisé. Comme dans son expérience avec des musiciens, Charles Limb a comparé l’activité cérébrale des enfants lorsqu’ils jouaient une séquence mémorisée et quand ils interprétaient une mélodie qu’ils inventaient. Le dispositif était conçu pour que chaque note, quelle qu’elle soit, ne soit jamais « fausse ».
« L’activité cérébrale des enfants était beaucoup plus atténuée comparée à celle des musiciens professionnels », indique le neuroscientifique. « Cela pose la question intéressante du schéma [du flow] chez les enfants comparé à celui des adultes entraînés. »
Ce qui est clair, cependant, c’est qu’il « y a une grande différence dans le cerveau quand les enfants passent de la mémorisation à l’improvisation », ou des exercices routiniers à des activités dans lesquelles ils peuvent se plonger entièrement.
Du point de vue neurochimique, la dopamine, qui intervient dans l’apprentissage, la mémoire et la régulation émotionnelle, joue un rôle important dans les états de flow.
« Le flow stimule vraiment les circuits dopaminergiques du cerveau », ou les voies par lesquelles ce neurotransmetteur circule, souligne Joydeep Bhattacharya, professeur de psychologie à l’université de Londres. Il suppose que chez les personnes qui atteignent fréquemment le flow, ces circuits sont « lentement remodelés et façonnés au fil du temps. »
Des épisodes réguliers de flow pourraient donc renforcer la motivation à apprendre et la capacité à gérer les émotions. Dans ses recherches, Joydeep Bhattacharya a établi un lien entre la capacité à entrer en flow et l’intelligence émotionnelle chez des élèves apprenant le piano, bien qu’il précise que l’étude montre une corrélation, pas une causalité.
Alors en tant que parents, comment aider son enfant à atteindre ce niveau d'épanouissement ?
1 - TROUVER CE QUI LES INTÉRESSE
Comme tout parent ayant vu un enfant absorbé par un dessin ou un château fait de briques peut en témoigner, « les enfants ont une tendance naturelle et inhérente à expérimenter le flow », selon Joydeep Bhattacharya. Mais parfois, ils ont besoin d’un petit coup de pouce.
Puisque la motivation intrinsèque est cruciale pour atteindre le flow, il est important de découvrir les passions de votre enfant.
« Parlez avec les enfants de ce qui les intéresse », dit Michelle Harris, travailleuse sociale clinicienne à New York et fondatrice de Parenting Pathfinders. Elle ajoute que les parents doivent encourager les enfants à proposer leurs propres idées plutôt que de leur suggérer ce qu’ils peuvent ou doivent faire. Une fois qu’ils s’approprient l’activité, ils sont plus susceptibles de s’y tenir. Pour les plus jeunes en revanche, « n’hésitez pas à suggérer des idées si les enfants ont du mal à en trouver. »
Ce qui constitue une activité en flow dépend fortement de chaque individu. « Pour les enfants, il faut découvrir ce qui allume leur feu intérieur », estime David Shernoff, psychologue de l’éducation à l’université Rutgers. « Plus ils peuvent reprendre ces types d’activités en flow, plus ils développent motivation et sens. »
2 - OFFRIR DES TEMPS ININTERROMPUS
Nous vivons à une époque de distractions et d’agendas surchargés, qui peuvent tuer le flow. « Éteignez la télévision, trouvez un espace avec peu de distractions, et faites savoir aux enfants que c’est un moment pour juste apprécier ce qu’ils font », dit Harris.
Jeffrey Froh abonde : « Beaucoup de temps de jeu non structurés, vraiment beaucoup, est impératif. » Il applique ce principe avec ses propres enfants : sa fille de onze ans et son fils de quatorze ans sont limités à deux activités extrascolaires pour garantir qu’ils disposent de suffisamment de temps non structuré pour explorer leurs propres centres d'intérêts et leur imaginaire.
3 - SOUTENIR LES ENFANTS À CHAQUE ÉTAPE
Le flow nécessite un équilibre délicat : la tâche doit être assez difficile pour susciter l’intérêt, mais pas trop pour ne pas décourager. Les parents peuvent soutenir cet équilibre en apportant de l’aide au début et en se retirant au fur et à mesure que l’enfant gagne en confiance.
Avec des Lego, par exemple, vous pouvez commencer avec un kit où « vous suivez la notice de montage et savez exactement ce que vous allez construire », propose David Shernoff. Mais dès que votre enfant maîtrise les bases, construisez quelque chose de nouveau ensemble. N’oubliez pas de poser des questions : Quelle couleur pour la cheminée ? La porte s’ouvre‑t‑elle vers l’intérieur ou l’extérieur ? Laissez l’enfant prendre les décisions.
Participer à des activités en flow est aussi un excellent moyen de se connecter avec vos enfants, et lorsqu’ils se sentent connectés à d’autres (amis, famille, professeurs) cela encourage aussi le flow et combat la langueur qui pourrait s'installer. Dans ses recherches sur le flow à l’école, David Shernoff a découvert que le soutien des enseignants et des camarades renforçait l’engagement des élèves.
« Partager l’expérience de flow avec des amis », relève David Shernoff, « la rend significative et crée un lien. » Et lorsque amis et professeurs donnent un avis immédiat, cela aide les enfants à atteindre (et dépasser) leurs objectifs.
4 - DÉVALORISER LA NOTION DE PERFORMANCE
Lorsque les parents se focalisent sur la performance ou les résultats, ils peuvent involontairement étouffer le plaisir que les enfants retirent de l’activité. « Vous n'avez pas besoin d’être Mozart pour jouer du piano, et vous n'avez pas besoin d’être Michael Jordan pour jouer au basket », dit Charles Limb. Encouragez plutôt les enfants à s’engager dans des activités ouvertes, sans trop d’étapes ou de règles à suivre. Créez une bande dessinée sans penser à la publier, ou chantez sur la bande-son d'un film que vous aimez.
Charles Limb est convaincu que la créativité est universelle, bien qu’elle nécessite de la pratique. « Quand les enfants s’engagent dans ces activités, ils développent la créativité dans leur cerveau », dit-il. Et plus les enfants activent leur nature créative via le flow, plus ils sont susceptibles de conserver ces compétences une fois adultes.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
