Les bénéfices insoupçonnés de la frustration

Bien qu’elle soit souvent vue comme destructrice, la frustration peut aussi être un puissant outil pour s’épanouir, apprendre et s’améliorer, comme le révèlent plusieurs études.

De Ted Spiker
Publication 17 sept. 2025, 17:11 CEST
Bien qu’elle puisse sembler constituer un recul, la frustration mobilise les systèmes de menace et de ...

Bien qu’elle puisse sembler constituer un recul, la frustration mobilise les systèmes de menace et de récompense du cerveau et nous aide en fait à nous adapter aux défis qui se présentent à nous.

PHOTOGRAPHIE DE Cat Box, Shutterstock

Nous sommes sans cesse frustrés. L’aiguille de la balance ne veut pas bouger. La promotion tant attendue n'arrive pas. La file d'attente n’avance pas. Le wifi ne fonctionne pas. Des grands objectifs d’une vie aux plus petits tracas, la frustration fait partie intégrante de nos journées.

Selon les psychologues, ce sentiment pénible est bien plus qu’un agacement passager. Souvent considérée comme moins grave que l’anxiété ou la dépression, la frustration peut pourtant déferler dans le cerveau et dans le corps et ainsi favoriser l’agressivité, le stress et la tension dans les relations, comme l’explique Odilia Laceulle, maître de conférences en psychologie du développement à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas. Il s’agit d’ailleurs de la principale émotion éprouvée au travail. Toutefois, de plus en plus d’études montrent qu’elle joue un rôle central dans l’apprentissage, la croissance et l’épanouissement.

La science est désormais en train de lever le voile sur les étonnants bénéfices de la frustration. Ainsi que le rappelle Ayelet Fishbach, professeure distinguée de l’Université de Chicago titulaire de la chaire de sciences du comportement et de marketing. Contrairement à la colère, qui cible souvent une cause extérieure, ou au stress, qui peut provenir d’une accumulation de d’exigences, la frustration « est fondamentalement l’émotion qui signale que les choses ne progressent pas comme prévu, c’est un retour d’information qui invite à réévaluer ses objectifs et à se demander si l’on devrait procéder autrement », explique-t-elle.

Selon Helena González-Gómez, professeure spécialiste des comportements organisationnels à la NEOMA Business School, ce réajustement peut renforcer la focalisation sur un objectif et nourrir la persévérance. La frustration peut être précisément ce qui conduit vers quelque chose de meilleur. Certaines études suggèrent que les étudiants confrontés à l’échec dans des situations frustrantes ont ensuite tendance à mieux s’en sortir dans les situations appelant une résolution de problèmes.

« Si vous êtes développeur et que vous bloquez sur quelque chose, vous trouvez simplement une solution, un raccourci qui, peut-être, rend plus efficace un programme que vous êtes en train de développer, illustre Helena González-Gómez. C’est donc bénéfique pour la créativité, chose qui, à long terme, favorise une meilleure santé. »

La même leçon se présente dès le plus jeune âge. Ainsi que le souligne Odilia Laceulle, les nourrissons qui apprennent à ramper ou à marcher se frustrent eux aussi, mais cette exaspération les motive à persévérer. « Quand ils veulent vraiment faire quelque chose, ils s’entraînent, encore et encore. Et cela ne pose pas de souci s’ils éprouvent un petit de frustration et d’énervement à cause de cela, car cela les motive à atteindre un objectif. »

Apprendre à changer de perspective sur ce sentiment universel pourrait être la clé pour faire de certains obstacles de la vie une source de résilience. Voici comment s’y prendre.

 

CE QUE LA FRUSTRATION FAIT AU CORPS

Lorsqu’un objectif est inatteignable, le cerveau réagit comme s’il se trouvait face à une menace. L’amygdale détecte le problème et le signale à l’hypothalamus pour activer une réaction de type combat-fuite qui inonde le corps de cortisol et d’autres hormones du stress. Parallèlement, l’activité du cortex préfrontal, la région qui contribue à la régulation des émotions et à la planification, a tendance à s’inhiber, ce qui nous rend plus impulsifs ou irritables.

Si des examens par IRM ont montré que la douleur émotionnelle mobilise des circuits neuronaux similaires à ceux de la douleur physique, la science de la frustration s’articule autour de l’aspect qui caractérise cette dernière : l’empêchement d’atteindre un objectif. Cela signifie que les systèmes de récompense et les structures du cerveau jouent un rôle dans les réactions émotionnelles que nous pouvons avoir face à des éléments frustrants.

Des études montrent que l’absence de récompense dans les situations frustrantes, combinée au fait de ne pas arriver à atteindre un objectif, entraîne une baisse de la dopamine. De plus, le stress qui en résulte est corrélé à des taux élevés de cortisol. Cette baisse peut nous rendre agités, nous démotiver et prédisposer à l’agressivité. Au fil du temps, des épisodes répétés de frustration peuvent affaiblir le système immunitaire, provoquer des troubles du sommeil et de la fatigue, saper la motivation et accroître le risque d’épuisement ou de dépression.

 

COMMENT EXPLOITER LE POUVOIR DE LA FRUSTRATION ?

Voyez dans les obstacles des éléments fonctionnels. La première étape est de prendre conscience du fait qu’il y a des obstacles partout, qu’il s’agisse du travail, d’apprendre un nouveau hobby ou une nouvelle compétence, voire de réapprendre une compétence que l’on maîtrisait. La frustration est une donnée de nos efforts, et non un effet secondaire. « Un changement comportemental implique que cela ne se passera comme il faut au début, explique Ayelet Fishbach. Si vous savez cela à l’avance, alors vous pouvez avoir un plan et anticiper l’obstacle. » Ses travaux montrent que la recherche volontaire de l’inconfort peut nourrir la croissance personnelle, notamment lorsque l’on sait que celui-ci fait partie de la progression.

Changez de perspective sur la frustration. Au lieu de voir la frustration comme un échec, voyez-la comme la preuve que vous êtes confronté à un défi qui est dans vos cordes. Par exemple, les examens académiques adaptatifs deviennent plus difficiles à mesure qu’un étudiant progresse ; ils sont délibérément conçus pour être frustrants. La difficulté que l’on rencontre n’est alors pas un revers, remarque Ayelet Fishbach, c’est la preuve d’un progrès.

Régulez vos émotions sur le moment. Il n’est pas sain de refouler ses sentiments sur le long terme, mais une étude suggère qu’il peut être bénéfique de retenir sa frustration dans les situations urgentes. Si vous êtes trop frustré, vous pouvez agir. Une régulation temporaire de la frustration libère les ressources cognitives nécessaires pour résoudre le problème qui se présente à vous.

Évacuez votre frustration de manière constructive. Toutes les manières d’évacuer ne se valent pas. Se défouler violemment peut nuire aux relations, mais en parler avec quelqu’un peut permettre de retrouver du recul. « Cela vous aidera à réguler, affirme Odilia Laceulle. Cela remettra aussi un peu les choses en contexte. Donc si cela vous semble insurmontable, peut-être que quelqu’un peut vous aider à voir cela sous un autre angle. »

Aidez les autres à surmonter leur frustration. Aider les autres ne permet pas seulement de soulager leur stress, cela peut également stimuler votre propre motivation. Des recherches de l’équipe d’Helena González-Gómez montrent que les effets indésirables de la frustration peuvent disparaître grâce à une « remédiation de service », un processus par lequel on rectifie ses échecs et frustrations.

Distinguez le signal de la situation. Si vous vous éloignez de la situation ou que vous pratiquez une technique de relaxation comme la respiration profonde, vous régulez possiblement mieux votre réaction à la frustration. Mais vous vous éloignez aussi d’une potentielle leçon, prévient Ayelet Fishbach. Pour tirer profit de la frustration, explique-t-elle, vous devez réfléchir à l’obstacle et appliquer les connaissances que vous en tirez aux prochains défis.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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