Les compléments alimentaires sont-ils mauvais pour le foie ?

Les problèmes de foie liés à la consommation de plus en plus fréquente de compléments alimentaires sont en augmentation. Voici comment s'en protéger, d'après les experts.

De Ali Pattillo
Publication 5 août 2025, 22:45 CEST
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L'industrie des compléments alimentaires est en plein essor. Des pilules et des poudres promettent d'améliorer votre santé intestinale, d'accélérer votre métabolisme et même de vous aider à vivre plus longtemps. Cependant, ces produits ne sont pas réglementés comme les autres médicaments, et certains peuvent même s'avérer nocifs.

PHOTOGRAPHIE DE Francesco Zerilli, Zerillimedia, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Depuis une trentaine d’années, les compléments alimentaires sont devenus une véritable obsession. Aujourd’hui, plus d’un adulte américain sur deux en consomme, espérant ainsi soulager un large éventail de troubles, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Sur TikTok, certains influenceurs avalent de la berbérine pour « booster » leur métabolisme, pendant que des célébrités vantent les vertus de la mousse de mer sur la digestion, et que des adeptes du biohacking misent sur la curcumine pour prolonger leur espérance de vie.

Pour beaucoup, ces produits apparaissent comme des raccourcis prometteurs vers un meilleur bien-être mental ou un corps plus sculpté. Pourtant, des études récentes soulignent que ces substances pourraient parfois faire plus de mal que de bien. Depuis vingt ans, les scientifiques ont constaté une augmentation brutale des lésions et insuffisances hépatiques liées à l’utilisation de compléments alimentaires. De nombreux patients consultent également pour des effets secondaires moins graves, mais bien réels, tels que des sautes d’humeur, des problèmes gastro-intestinaux, de la fatigue, des calculs rénaux, la perte de cheveux et de l’hypertension artérielle.

Trois facteurs clés expliquent cette hausse préoccupante : la présence croissante de substances toxiques dans certains produits, des interactions médicamenteuses dangereuses, et des doses souvent bien supérieures aux recommandations – un phénomène connu sous le nom de « mégadosage ».

« Tout le monde cherche une solution miracle, un élixir de jouvence : quelque chose de très facile à prendre, sous forme de comprimé, et qui permettrait de ralentir le processus de vieillissement ou de prévenir les maladies chroniques », affirme JoAnn Manson, médecin, épidémiologiste et endocrinologue au Brigham and Women’s Hospital dans le Massachusetts, et professeure à l’école de médecine de l’Université Harvard.

Pas moins de 84 % des consommateurs sont convaincus que ces produits sont sûrs et efficaces. Pourtant, parmi les dizaines de milliers de compléments alimentaires disponibles sur le marché, la plupart n’ont pas fait l’objet de tests d’efficacité ou de sûreté, et selon le ministère français de la Santé, leur authenticité, leur composition exacte et leur qualité ne sont pas garanties. D’où l’importance, rappelle Manson, de rester prudent.

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Lorsque le foie est endommagé, la bilirubine peut s’accumuler dans le sang et entraîner une jaunisse, c'est-à-dire un jaunissement de la peau, des muqueuses et des yeux. Certains médecins constatent ce type de symptômes chez des patients, potentiellement en lien avec la prise de certains compléments alimentaires.

PHOTOGRAPHIE DE Mid Essex Hospital Services NHS Trust, SCIENCE PHOTO LIBRARY

LES (MODESTES) BIENFAITS DES COMPLÉMENTS ALIMENTAIRES

Depuis des milliers d’années, les humains ont recours aux plantes, herbes, végétaux, minéraux et métaux pour soigner leurs maux ou préserver leur bien-être.

Cependant, des ingrédients qui étaient autrefois imprégnés d’une sagesse ancestrale ont été transformés en produits industriels qui inondent les rayons des pharmacies et les réseaux sociaux, souvent sous forme de comprimés, de capsules, de poudres, de barres, de gommes et de liquides.

« Nous faisons face à une crise mondiale de maladies liées à l’alimentation. Beaucoup de personnes sont malades et souffrent », déplore Dariush Mozaffarian, cardiologue et doyen de la Tufts Friedman School of Nutrition Science and Policy.

Selon certains sondages, 52 % des Américains estiment que leurs symptômes sont « ignorés, rejetés ou non pris en compte » lorsqu’ils consultent un professionnel de santé. Le système médical occidental traditionnel « les abandonne », précise Mozaffarian, si bien que beaucoup se tournent vers des alternatives plus naturelles et « DIY », souvent sous forme de compléments alimentaires.

Pour certains problèmes de santé, certaines carences et certaines étapes de la vie, une supplémentation ciblée peut s’avérer bénéfique. Les femmes enceintes prennent par exemple de l’acide folique pour prévenir les malformations congénitales, tandis que les personnes âgées bénéficient souvent d’un supplément en B12. Il est prouvé que les oméga-3 peuvent soutenir la santé cardiovasculaire, et que les probiotiques peuvent soulager le syndrome de l’intestin irritable.

De nombreuses études soutiennent ces utilisations. La majorité des autres promesses faites par ces produits, quant à elles, ne sont toutefois pas à la hauteur.

« Il n’existe pas de données solides indiquant que les compléments alimentaires à base de plantes sont nécessaires au maintien d’une bonne santé générale », indique Marwan Ghabril, hépatologue et professeur de médecine à la faculté de médecine de l’Université de l’Indiana. « Lorsqu’il s’agit de traiter un problème de santé spécifique ou d’atteindre un objectif thérapeutique, il est encore plus difficile de proposer une réponse simple ou universelle. »

De manière générale, une consommation modérée de compléments courants, dans les doses recommandées, ne présente pas de risques majeurs : le surplus est souvent éliminé naturellement par l’organisme, notamment dans l’urine, explique Mozaffarian.

Néanmoins, certains compléments et certaines doses requièrent une prudence toute particulière.

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    Le foie joue un rôle central dans l’élimination des déchets présents dans le sang, ainsi que dans le stockage et le métabolisme des graisses. Sur cette image, on distingue les ramifications complexes des vaisseaux sanguins qui se déploient à partir des gros vaisseaux principaux pour irriguer l’ensemble du tissu hépatique. Ce réseau de vaisseaux imprègne le tissu et l'irrigue de sang.

    Micrographie de Susumu Nishinaga, SCIENCE PHOTO LIBRARY

    POURQUOI RESTER PRUDENT ?

    L’essor massif de l’industrie des compléments alimentaires s’accompagne aujourd’hui d’une réalité préoccupante : aux États-Unis, 20 % des lésions hépatiques d’origine médicamenteuse sont aujourd’hui liées à la prise de compléments alimentaires ou de plantes médicinales. Certaines analyses évoquent même les 43 %. En parallèle, le nombre d'Américains inscrits sur la liste des transplantations pour une insuffisance hépatique d’origine médicamenteuse causée par ces produits est passé de 1 à 7 % entre 1995 et 2020 : une augmentation spectaculaire en seulement vingt-cinq ans.

    Certains médias américains ont récemment rapporté des cas de patients arrivant aux urgences avec des yeux jaunes, des douleurs abdominales, de la fatigue : des symptômes d'insuffisance hépatique liés à la prise de compléments alimentaires, même ceux de marques « testées cliniquement ». 

    Certains produits sont régulièrement mis en cause, comme l’extrait de thé vert, souvent trouvé dans les compléments amaigrissants ou les « boosters » de métabolisme, mais aussi les compléments destinés à la musculation, parfois contaminés par des stéroïdes anabolisants, et certains compléments nutritionnels à ingrédients multiples.

    Et ces substances sont loin d’être marginales : en 2024, des chercheurs ont constaté que 15 millions d’Américains prenaient des composés reconnus comme potentiellement toxiques pour le foie, comme le curcuma, l’ashwagandha, l’actée à grappes noires, la garcinia cambogia, le thé vert et la levure de riz rouge.

    « Si les vitamines et les minéraux simples sont généralement bien tolérés, malgré quelques mises en garde [la niacine peut être hépatotoxique à fortes doses], j’éviterais en général tout ce qui contient des ingrédients à base de plantes ou d’herbes médicinales », indique Ghabril. 

    Ces substances peuvent nuire à la santé de différentes façons. L’extrait de thé vert, par exemple, peut entraîner une inflammation du foie, et certains compléments destinés à la musculation peuvent entraver ou bloquer l’écoulement de la bile. Les produits contenant plusieurs ingrédients sont encore plus complexes à évaluer, car il est difficile pour les scientifiques d’identifier précisément les substances actives responsables des effets observés.

    L’industrie des compléments subit également des problèmes fréquents d’étiquetage et de falsification, ce qui complique également la détection des effets secondaires. Il n’est pas rare que les consommateurs mélangent plusieurs compléments, parfois riches en composés bioactifs, et les prennent à des doses élevées ou en combinaison avec des médicaments. Les fabricants, de leur côté, substituent parfois certains ingrédients par des alternatives moins coûteuses.

    Dans de rares cas, des analyses ont même révélé la présence de contaminants dangereux, tels que des métaux lourds comme le plomb ou l’arsenic, des médicaments de synthèse, des bactéries, des levures ou des champignons : des substances qui ont été associées à des troubles tels que la démence, les infections, la fragilité osseuse ou l’appendicite, en particulier chez les personnes âgées ou immunodéprimées.

     

    ATTENTION AUX DOSES TROP ÉLEVÉES

    Le mégadosage, qui consiste à consommer des micronutriments bien au-delà des doses recommandées, représente lui aussi un danger, surtout dans le cas des substances liposolubles qui s’accumulent dans l’organisme.

    « En matière de compléments, plus n’est pas forcément mieux », prévient Mozaffarian.

    Selon le cardiologue, des doses excessives de vitamines peuvent en effet perturber les fonctions normales du corps et provoquer des effets indésirables, comme des troubles digestifs, des maux de tête, des palpitations cardiaques ou de l’insomnie. Les femmes y seraient particulièrement sensibles du fait de leur morphologie, de leur métabolisme et des spécificités de leurs défenses immunitaires.

    Ghabril souligne également que les réactions aux compléments peuvent varier selon les individus, en fonction de leur génétique ou de leur système immunitaire : ce qui est anodin pour l’un peut ainsi être gravement toxique pour un autre.

    « Il est bien établi que les compléments alimentaires, y compris ceux à base de plantes, peuvent provoquer des lésions hépatiques, tout comme certains médicaments sur ordonnance. Il est urgent, pour protéger la population, d’assurer une meilleure sécurité et un encadrement plus strict de la commercialisation et de l’usage de ces produits. »

     

    COMMENT FAIRE LES BONS CHOIX ?

    Comment en est-on arrivé là ? Les compléments alimentaires ne sont pas régulés aussi rigoureusement que les médicaments. Bien qu’au sein de l’Union européenne, les fabricants soient tenus de garantir la sécurité de leurs produits (ce qui n’est pas le cas aux États-Unis), ils n’ont en effet pas à prouver leur efficacité avant de les commercialiser.

    « Il est vraiment regrettable qu’aux États-Unis, les fabricants de compléments alimentaires puissent réaliser des millions de dollars de bénéfices sans avoir à tester leurs produits », déplore Mozaffarian. « Nous devrions les obliger à réinvestir une partie de leurs bénéfices dans des études visant à démontrer l’efficacité de leurs produits. »

    Avec la masse de produits proposés sur le marché, il devient difficile de faire la distinction entre les compléments fiables et ceux dont la qualité est douteuse.

    Si vous envisagez de prendre des compléments alimentaires, Manson, Ghabril et Mozaffarian recommandent de toujours en parler à votre médecin. Procurez-vous des compléments auprès de fournisseurs reconnus testés par des laboratoires indépendants, évitez le mégadosage, vérifiez les risques d’interactions médicamenteuses ou de contaminations, et ne vous attendez pas à un miracle.

    « Les compléments ne peuvent remplacer ni une alimentation équilibrée, ni les fondements d’un mode de vie sain, comme l’exercice physique et le sommeil », précise Manson.

    Et c’est bien là l’essentiel pour améliorer sa santé. « La formule magique pour une vie longue et saine est bien connue : manger des aliments peu transformés, majoritairement végétaux, faire de l’exercice, bien dormir, éviter les substances nocives, et trouver une manière de donner du sens à sa vie », explique Mozaffarian. « Nous devons puiser nos vitamines dans notre assiette. »

    Ces principes semblent peut-être moins glamour que les grandes promesses de ces « pilules miracles », mais au moins, ils fonctionnent réellement, conclut-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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